Pendant trois soirs, l’artiste contemporaine aussi féministe que provocatrice ORLAN imagine une œuvre vivante qui croise les genres, les formes et les mondes.
Certains la connaissent pour ses performances-opérations chirurgicales interrogeant le rôle de l’artiste, d’autres pour ses cheveux bicolores, mais ce ne sont que des détails face à l’immensité de l’œuvre artistique de Mireille Suzanne Francette Porte dite ORLAN.
Au fil des décennies, la native de Saint-Etienne crée un œuvre protéiforme dont elle est à la fois objet et sujet, celle qui dissèque et celle qui est disséquée. En travestissant et modifiant son apparence, elle ne cesse de montrer pour mieux dénoncer : le statut du corps de la femme, les complexités changeantes du l’intimité, du désir, du narcissisme de la société moderne, sa pensée punk et politisée habite chacune de ses créations.
Cette réflexion hybride et tentaculaire, elle l’importe au Salò du 20 au 22 avril. Pendant trois nuits, elle déploie une œuvre d’art multimédia et vivante, charnelle, sensuelle, et profondément critique. Et explore ainsi le potentiel de la nuit et du club comme acte créatif. Antidote, partenaire du club, l’a rencontré pour parler Botox, selfies et culture queer (et cuir).
Photo : Corps-Sculpture par ORLAN, 1965
Antidote : La DJette féministe Piu Piu aux platines, le collectif lesbien les Kidnapping en clubbing… Votre choix musical semble indiquer une volonté de message féministe, qu’en est-il vraiment ?
ORLAN : Nous avons surtout les Chicks on Speed avec lesquelles je vais faire une performance, et je pense que les textes des chansons que j’ai écrites vont répondre à votre question.
Et nous avons aussi Madmoizel qui est très cuir, et Circé Deslandes qui va être la seule femme qui va parler de la bite et la chanter. Et nous aurons tous sur nos visages mon sexe ouvert. Ce sera tout feu tout femme, des vraies, des fausses, des presque, des entre-deux, des alters, des néos, des Chicks, des speed, des Madmoizel, des post-women, des hurlantes, des susurrantes, des femmes chantant « Ta Bite », des autres chantant « Ma Vulve et Ta Vulve », toujours riantes, musicales, performantes et sexes, pour une soirée orlanesque, déréglée et inoubliable !
Vous avez beaucoup travaillé autour du corps, de l’apparence, des modifications : que ressentez-vous face aux selfies, aux filtres et à la retouche ?
Moi qui essaye de retoucher le vivant, qui fais un art charnel, et qui ai fait des opérations chirurgicales pour enlever le masque de l’inné, et qui se réinvente, se ré-imagine, et pour les autoportraits loin des standards et des stéréotypes que l’on nous propose, je suis très intéressée par les selfies, les filtres, la retouche et les manipulations. Reste à savoir dans quelle direction elles vont et si elles sont rebelles ou soumises, et si elles subissent la loi de l’idéologie dominante de l’instant.
En 1993, ORLAN présentait Omniprésence, une vidéo de sa septième intervention chirurgicale.
Et que pensez vous de la place grandissante et vulgarisée du Botox ?
Le Botox est tout aussi bien que se teindre les cheveux, ou se mettre du vernis à ongle, ou s’acheter les crèmes les plus chères en croyant bêtement que ça va être efficace. Mais bien sûr, j’espère que les bio-technologies et la génétique vont prendre le relais pour enrayer la maladie de la vieillesse et de la mort.
Depuis le début de votre carrière, les Gender Studies ont explosé. Les questions de genre ont-elles eu un impact sur votre travail ?
J’ai toujours dit depuis le début de ma carrière que : « je suis un femme et une homme », j’ai fait beaucoup de performances avec une pancarte le disant, et il n’y avait pas les Gender Studies en France.
Quel rapport avez-vous au monde de la nuit ?
J’aime la nuit, mais j’aime la nuit en général pour travailler. J’aime aussi danser, et certaines boîtes de nuit dont Salò, font des passerelles et créent des porosités entre un monde qui n’est pas sensibilisé aux autres arts que la musique et la danse. Je suis donc ravie que le club m’ait donné une carte blanche comme à Larry Clark, Charlie Le Mindu ou Michel Gondry… Et comme j’ai changé l’esthétique du bloc opératoire, je change l’esthétique de la nuit. Pour moi, pas de paillettes dans la salle mais de l’art et du sexe, du sexe ouvert, mon sexe de femme ouvert sur tous les visages aussi bien hommes que femmes – le public deviendra également oeuvre. Et je suis très heureuse de faire ma première performance avec les Chicks on Speed, avec lesquelles j’espère collaborer pendant très longtemps !
La résidence d’ORLAN au Salò aura lieu du jeudi 20 au samedi 22 avril 2017. Plus d’informations et réservations sur la page de l’événement Facebook.