Texte : Antoine du Jeu.
Photo : Indianara Siqueira.
26/11/2019
Dans leur documentaire, présenté dans la sélection de l’ACID lors du dernier festival de Cannes, Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa ont suivi Indianara Siqueira dans son combat pour améliorer les conditions de vie des LGBTQ. Le portrait brûlant d’une activiste dans un Brésil de plus en plus inégalitaire, homophobe et transphobe.
Un pays lointain aux couleurs arc-en-ciel où les frontières ont été abolies, où l’imaginaire n’arrête pas de s’étendre et où l’armée, les évangéliques, tout ce qui porte un uniforme n’ont pas voix au chapitre : voici quel pourrait être le rêve utopique d’Indianara Siqueira, activiste transgenre, qui accueille à la Casa Nem de Rio de Janeiro des homosexuels et des personnes transgenres ostracisés. Le documentaire, brut et sans chichi, que lui consacre Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa suit justement la vie collective plus ou moins précaire qu’elle a mise en place dans ce refuge.
Précaire d’abord parce que le lieu, créé en 2016, semble en sursis permanent et que le film, en lui-même, tend à la fois vers sa fermeture (causée par les socialistes alors au pouvoir) et l’élection de Jair Bolsonaro comme si ces deux événements, survenus chacun en 2018, étaient liés, aussi inéluctables et désespérants l’un que l’autre. Tout prépare l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, le film le montre bien. La transphobie est grandissante au Brésil et tue : rien qu’en 2017, 179 trans y ont été assassinés, en faisant le pays le plus meurtrier au monde pour la communauté LGBTQ. En manif ou en privé, Indianara ne manque d’ailleurs jamais une occasion d’égrener les noms des disparus. À près de 50 ans, elle-même se voit comme une survivante dans un pays où l’espérance de vie pour les trans est de seulement 35 ans… De l’enterrement dépouillé qui ouvre le film à celui de la conseillère municipale Marielle Franco, ouvertement lesbienne, tuée par balle en mars 2018, où se retrouve une immense foule endeuillée, la mort est en effet omniprésente.
Voilà pourquoi la Casa Nem, sorte d’oasis de fortune aux murs tagués et à l’ambiance quelque peu insalubre, fait à ce point office de foyer de résistance. On s’y fédère, on y échappe un temps aux violences sociales et sexuelles, on s’y politise, on s’y amuse aussi, se déhanchant en string topless dans une piscine gonflable… Le tout sous l’égide d’Indianara, tenancière à poigne qui est présente dans tous les plans ou presque. Qu’elle défile seins nus pour la légalisation de l’avortement ou qu’elle se présente aux élections législatives, à chaque fois elle impressionne par sa détermination, la force de ses convictions, faisant de son corps – marqué par la vie et les hormones de mauvaise qualité – un véritable instrument de combat politique.
Mêlant l’intime au politique, l’effervescence de la rue à la vie en communauté, le documentaire alterne les moments passés à la Casa Nem et les excursions en manifestations pour protester contre tout ce qui ne tourne pas rond dans le pays. Des scènes collectives la plupart du temps, mais où l’attention est toute entière focalisée sur Indianara : si le film lui dessine un portrait vibrant, il peine en revanche à faire exister les autres personnages gravitant autour d’elle, souvent relégués au rang de satellites éphémères. Reste néanmoins Mauricio, son improbable mari, ancien militaire issu d’une famille ultra conservatrice, passant à présent ses journées dans un slip de bain moulant à la forme proéminente. Le duo qu’il compose avec Indianara donne lieu aux scènes les plus touchantes et réjouissantes de ce documentaire, qui jalonnent le parcours exceptionnel de cette matriarche révolutionnaire.
Indianara d’Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa (Brésil, 2019, New Story distribution) sortira en salles le mercredi 27 novembre 2019.