Açaï bowls, poke bowls, jus verts pressés à froid, gluten free, avocado toasts… Ces nouveaux plats ne vous ont probablement pas échappé, sans que vous ayez eu besoin de traverser l’Atlantique. La nourriture healthy envahit la capitale. Épiphénomène ou véritable mouvement de fond ? Analyse.
Pendant tout l’été, rue de Lancry, dans le quartier bobo branché du 10e arrondissement de Paris entre République et Belleville, Pierre-François et ses acolytes ont fait de la peinture et ont fait tester leurs recettes à leurs potes car ils ouvraient le 2 septembre leur restaurant, Natives.
Le principe du lieu ? Des açaï bowls, des poke bowls et des jus pressés à froid. « Que ça ? », serait-on tentés de demander. « Oui, on veut faire du sain bon », répond du tac au tac le gérant du lieu, qui bossait dans la finance et a décidé de tout quitter pour faire ça. « C’était il y a deux ans au Brésil pour le Mondial de football. Avec les deux personnes qui sont devenues mes associés, on a eu un déclic. Puis à Los Angeles en début d’année, j’ai eu une révélation sur les poke bowls [recette hawaïenne à base de riz, de poisson cru et de crudités très en vogue en Californie] ». Trentenaire parisien qui reconnaît adorer manger de la viande, Pierre-François fait partie de ces Français (Parisiens ?) qui ont observé que notre façon de manger avait changé. Mais changé comment ? Si tout le monde mange la même chose ?
Le restaurant bio et healthy My Free Kitchen est situé 1 Bis Rue Bleue, Paris 9.
Est-ce que Paris devient la Californie de la food ? Tout porte à la croire. Une certaine partie de la population en tout cas, enfin restauration puisque les cantines healthy pullulent dans le centre de Paris, dont Natives serait la métonymie. Season, PH7, Wild&The Moon, Nous, My Free Kitchen, les Cafés Pinson, etc. Dans le 15e, le restaurant Frame Brasserie, avec à sa tête le chef américain Andrew Wigger ne propose pas une cuisine américaine mais bien californienne.
Comme si la Californie n’était plus une région du monde mais un pays tant elle rayonne à l’international. « La Californie influence les Etats-Unis. Los Angeles est déjà une source d’inspiration pour New York, décrypte Pierre-François du restaurant Natives. Alors imaginez nous petits Français ! » Pour Hélène Capgras, responsable luxe et beauté chez Martine Leherpeur Conseils, une ville comme Paris est « très largement au niveau en termes de healthy conscious » par rapport à Los Angeles. « N’oublions pas que la Parisienne se doit d’être mince et gourmande ! »
Inspirée alors, largement copiée, mais pas métamorphosée, Paris sera toujours Paris. Et les Parisiens avec. Hélène Capgras analyse cette ambivalence : « Le parisien est sauvé par sa superficialité. Il peut acheter une machine à jus super chère, se mettre à manger très sainement, mais ça ne l’empêchera pas de faire des écarts, de se ruer sur une planche de charcuterie avec un verre de vin le soir ! Ce que ne fera pas un Californien d’ailleurs ». Paris 1 – Californie 0.
Elle nous fait remarquer que les rues de Paris sont à l’image de cette ambiguïté si française. « Il y a des rues healthy et des rues terroir. Vous avez vu le nombre d’épiceries fines qui ouvrent aussi en ce moment ? » Épiceries fines et pourfendeurs de la bonne bouffe, pour certains d’entre eux, la Californie de la nourriture, ils ne veulent pas en entendre parler, ou alors pas sous cet angle. Victor Lugger, co-fondateur des restaurants italiens Big Mamma, vient d’ouvrir son troisième restaurant dans le 17e, Mamma Primi, petit frère de Ober Mamma et East Mamma. Pour eux, la healthy food et la mode de l’açaï ou des poke bowls, « ce n’est pas dans leurs habitudes ». Forcément, chez Big Mamma, on célèbre la bonne chère à l’italienne alors cette mode ne le concerne que de loin mais le phénomène n’a pas échappé pas au restaurateur passionné de bouffe depuis toujours. « Ce qui va rester, analyse-t-il, ce n’est pas cette histoire de Californie mais surtout l’idée sur le long terme que l’on va devenir de plus en plus végétarien, en mangeant de moins en moins de viande et de poisson. Le sans gluten, ils n’en font pas encore dans ses restaurants car pour le faire vraiment sérieusement, il faut mettre en place des fours parallèles, ce genre de choses », mais ils y songent.
Même si seulement 1% de la population française est réellement intolérante (chiffre de l’Association Française Des Intolérants Au Gluten), tout le monde aime manger du sans gluten de temps en temps. La preuve, les lieux “gluten free” poussent eux aussi comme des champignons. « Oui, reconnaît Victor, il y a une mouvance. Mais parce que désormais on fait du veggie et du sans gluten sans privation et gourmand, ce qui n’était pas le cas avant ! Le jour où je ferai du sans gluten, ce sera tout aussi généreux ».
Le groupe Big Mamma, déjà propriétaires des restaurants Ober Mamma et East Mamma vient d’ouvrir aux Batignolles à Paris sa nouvelle trattoria baptisée Mamma Primi.
Alors c’est ça qui a changé, on mange désormais bien et bon ? Pierre-François de Natives le pense en tout cas. « À cause de tous les scandales alimentaires avec lesquels notre génération a grandi, on a eu un éveil au goût de manière générale, qui a été fait parallèlement à un éveil au “bien manger”, à la nourriture santé. Regardez les japonais. Ils mangent des légumes et du poisson cru, ce sont eux qui vivent le plus longtemps sur la planète. Californie ou pas, je pense que c’est surtout ça qui est en train de se passer. Et tant mieux si les gens suivent.»
Carnet d’adresses :
Frame Brasserie, 28 rue Jean Rey, Paris 15
Natives, 55 rue de Lancry, Paris 10
Café Pinson, 6 rue du Forez, Paris 3 et 58 rue du Faubourg Poissonnière, Paris 10
Nous, 8 rue de Châteaudun, Paris 9 et 16 rue de Paradis, Paris 10
Season, 1 rue Charles-François Dupuis, Paris 3
Wild & The Moon, 55 rue Charlot, Paris 3
PH7, 21 rue Le Peletier, Paris 9
Mamma Primi, 71 rue des Dames, Paris 17