Depuis une poignée d’années, celui qui a fait trembler la ville lumière au rythme de sa techno menaçante évolue au cœur de ce que de nombreux amateurs de hip-hop considèrent comme la nouvelle capitale du rap : Atlanta. Une affiliation confirmée à travers la sortie d’Evil World, nouvel album de Brodinski à travers lequel il confirme son affiliation avec la capitale de l’État de Géorgie, dont il catalyse la scène émergente.
En 2015, Vice dévoilait Noisey Atlanta, une série-documentaire qui nous invitait à plonger au cœur de la capitale de l’État de Géorgie et tentait de décrypter, par le biais d’entretiens avec 2 Chainz, Gucci Mane, Migos ou encore Young Thug, comment la ville du Sud des États-Unis était devenu le nouveau centre névralgique du rap. C’est également cette scène foisonnante que Brodinski s’attache à explorer depuis environ cinq ans. Fer de lance de la scène électronique française de ces années 2010, l’ancien patron du label Bromance, aujourd’hui 32 ans au compteur, a en effet choisi d’y multiplier les incursions afin d’y cultiver sa différence. « J’ai commencé ce métier très jeune, et il y a un moment où musicalement, je ne m’y retrouvais plus », se souvient-il. « Il y a quelques années, j’ai commencé à entrevoir un changement, une cassure que je pouvais opérer, et j’ai foncé. Certains artistes adorent faire des choses très régulières pendant vingt, trente ans… et c’est génial – c’est aussi ça, l’art ! Mais moi, j’avais envie d’autre chose. »
Ce désir de renouvellement émerge aux alentours de l’année 2013, lorsque Louis Rogé (son nom à la ville) est appelé, aux côtés de Daft Punk et Gesaffelstein, à travailler sur le sixième album de Kanye West, Yeezus (il a participé à la production des titres « Black Skinhead » et « Send it Up »). Une collaboration qui contribue à renforcer les liens toujours plus étroits entre musiques hip-hop et électroniques, et conduit le Français à consolider son intérêt pour le rap, en particulier pour celui émanant d’Atlanta. « La réflexion a vraiment commencé à partir de ce moment-là, commente-t-il. C’est durant cette période que mon envie d’aller rencontrer les rappeurs d’Atlanta pour leur proposer des sons, différents de ceux sur lesquels ils ont l’habitude de bosser, est vraiment née. »
Aux États-Unis, qu’il parcourt alors régulièrement sous sa double casquette de DJ et producteur, Brodinski fait la rencontre de Derek Schklar alias The Devil, un beatmaker qui l’introduit à de nombreux rappeurs d’Atlanta, où il se rend pour la première fois en 2014. Le rémois d’origine y fait la connaissance de poids lourds comme Future et Trouble, mais également de personnages plus discrets, comme Peewee Longway ou Bloody Jay, que l’on retrouve tous deux sur son premier album Brava (2015). Une première collaboration avec le fief de la Dirty South, qui précise rapidement ses désirs et ambitions. « À partir de janvier 2016, juste après Brava, j’ai commencé à aller régulièrement à Atlanta, rembobine-t-il. Je me suis dit que j’avais fait entrer ces rappeurs dans mon monde, en jouant les tracks qu’on avait faits ensemble dans des clubs et festivals électroniques, mais que c’était à mon tour de vraiment entrer dans le leur. »
Une scène émergente foisonnante
Le producteur enchaîne ainsi les allers-retours entre Paris et Atlanta, où il explique être toujours bien reçu. « Bon, c’est quand même un peu Mars là-bas… tu prends ta fusée pour y aller [rires] ! », lance-t-il. « Mais les gens sont super sympa. Ce truc qu’on appelle la southern hospitality, c’est assez réel. Et puis, je me marre trop avec les gens que je rencontre là-bas, avec lesquels j’ai tissé de vrais liens humains. Déjà, à partir du moment où j’ouvre la bouche… ils explosent de rire [rires]. Ils m’appellent « Sweet Lou », parce que je suis souvent en col roulé, ils trouvent que j’ai un peu des manières quand je parle, avec mes mains… bref, ils se marrent trop. Et moi aussi, du coup. »
De ces allées et venues (et de cette proximité) naît Young Slime Season (2016), une mixtape réalisée en collaboration avec l’artiste Drugmoneyusa, qui met en exergue cette irrépressible envie de briser les frontières et de rallier les univers (on y retrouve aussi bien les producteurs français Myd et Ikaz Boi que les rappeurs américains Slimelife Shawty et Zack Slime Fr). S’en suit The Sour Patch Kid (2017), garni des apparitions de 21 Savage et Young Nudy – « des gens qui sont depuis devenus des éléments fédérateurs de la scène d’Atlanta… mais mieux vaut être là trop tôt que trop tard, comme on dit », lâche Brodinski dans un sourire.
Lil Reek et Brodinski.
Et puis, en 2018, l’artiste français enchaîne les sorties : son EP Brain Disorder, une collection de six morceaux avec la présence notable de Johnny Cinco ; la mixtape The Matrix, pensée main dans la main avec le rappeur HoodTich Pablo Juan ; sans oublier le premier EP du prometteur Lil Reek, accompagné d’un clip signé Kim Chapiron. Au sujet de ce dernier, le producteur précise :
« J’ai vite compris qu’un rappeur qui est en train de commencer sa carrière va être davantage intéressé par ma démarche, parce qu’il va se dire : « Ok, on va faire des trucs différents, et peut-être que parce qu’on fait des trucs différents, particulièrement aux États-Unis, où tu peux faire littéralement tout ce que tu veux, où il y a une route pour tout… ça marchera. » C’est ce défi-là qui m’intéresse. »
Un passage de relai
Désireux de relever ce challenge, et de s’ancrer toujours plus profondément au sein de cette scène qui l’anime tant, Brodinski est aujourd’hui de retour avec son nouvel album : Evil World. Poignant, efficace et marqué par une énergie vorace, cet opus à l’atmosphère inquiétante nous entraîne dans les tréfonds de la capitale géorgienne. « Je me demande toujours ce que les gens qui écoutent ma musique pensent de moi en me rencontrant pour la première fois… parce que je ne suis pas du tout dark ! », s’exclame-t-il. « J’imagine que c’est une question d’émotions, et que celles provoquées par les sonorités dark sont celles qui me touchent le plus… C’est bizarre, hein ? »
Pour Evil World, Brodinski s’est entouré d’une dizaine de rappeurs rencontrés à Atlanta, dont il parle avec passion. « Il y en a certains, vraiment… je les ai vraiment trouvés dans l’endroit le plus dark de la forêt », note-t-il en riant. Il y a Doe Boy (« Gang »), un artiste « très créatif », affilié à Future, qui suscite aujourd’hui un intérêt fort aux États-Unis. Ou encore 645AR (« Fast »), « un mec avec une voix très très très aigu… presqu’un extraterrestre », avec lequel notre artiste se dit « très heureux » d’avoir travaillé. Sans oublier le jeune XanMan, « qui va tout péter », ou SPLURGE, « un petit trop fort qui doit avoir la moitié de mon âge ».
Brodinski.
« C’est très important pour moi de garder du lien avec des gens qui sont parfois une, voire deux générations au-dessous de moi », conclut le producteur. « Quand j’avais 18 ans et que j’ai rencontré DJ Mehdi, ou encore les 2 Many DJ’s… ce sont des gens qui m’ont énormément apporté, et beaucoup appris. Ce que j’ai compris en allant à Atlanta, et en rencontrant de plus en plus de petits jeunes, c’est que même si je ne suis pas un producteur de rap, ou un Américain, et que je n’ai pas grandi dans le même quartier qu’eux, je peux malgré tout leur apporter quelque chose. Et peut-être, à l’avenir, créer une nouvelle démarche artistique musicale. Une vraie différence. C’est tout ce que je souhaite. »