Qui est Davit Giorgadze, le photographe du nouveau numéro d’Antidote : Survival ?

Article publié le 15 février 2019

Texte : Antoine Leclerc-Mougne.

Originaire de Géorgie, le jeune photographe et artiste Davit Giorgadze, 22 ans, vit désormais à Berlin où il s’est fait connaître pour ses portraits réalisés à l’argentique et collages, à travers lesquels il compose une véritable poésie visuelle. Il signe l’ensemble des photos de ce numéro printemps-été 2019 d’Antidote : Survival.

Il y a encore quelques années, rien ne destinait Davit Giorgadze à devenir photographe. Élevé à Tbilissi, capitale de la Géorgie, il passe ses étés entre la région de Guria et la petite ville de Kobuleti, dont sont respectivement originaires son père et sa mère. Très vite, dès l’âge de six ans, il se passionne pour le football, au point d’intégrer l’école OLIMP, axée sur le sport. C’est là, jusqu’à l’adolescence, sur le terrain et en parallèle de ses cours de danse, de natation, d’échecs et de chant qu’il nourrit sa fibre artistique en observant le monde qui l’entoure.

Passionné de cinéma et fan de réalisateurs comme Alejandro Jodorowsky ou Krzysztof Kieslowski, Davit commence à tour­ner des vidéos avec de vieilles caméras soviétiques. Parmi les rushs qu’il accumule, il décide d’extraire des natures mortes et des portraits, et crée ainsi ses premières images, pleines de sensibilité.

Une envie née de son obsession pour les vieux journaux quoti­diens géorgiens, à la qualité d’impression remarquable, et dont les images argentiques de la rubrique nécrologique, reprenant les passeports ou pièces d’identité des défunts, l’ont toujours intrigué. Aujourd’hui, Davit signe pour Antidote toutes les images du dernier numéro: Survival, mettant en lumière la notion de survie de façon poétique.

ANTIDOTE. Vous utilisez des appareils argentiques, contrairement à beaucoup de photographes actuels. Pourquoi ce choix ?
DAVIT GIORGADZE. Je n’ai jamais aimé la haute définition ou les parfaites images publicitaires. J’ai toujours trouvé ça surfait, comme si c’était des créatures sans âme. Je dois dire que je suis assez fermé à l’idée de faire des retouches. Ce qui me plaît dans l’argentique, c’est le processus : la sensation de documenter et l’attente qu’il suscite avant de voir les images. Je n’aime pas du tout voir le résultat immédiat quand j’ai pris une photo. L’important pour moi c’est d’être présent quand je photographie mais d’être quelqu’un d’autre quand je vois mes images.

De ce fait, votre univers paraît très modeste et intime. Vous préférez d’ailleurs shooter des gens lambdas plutôt que des mannequins ou des célébrités. Comment l’expliquez-vous ?
Je crois que j’essaie de développer quelque chose d’assez personnel car à travers mes images, j’ai toujours voulu présenter et mettre en avant des gens qui m’intéressent. On peut parler de personnes lambdas, mais au final nous sommes tous lambdas et pour moi, cela nous rend tous uniques et incroyables. On ne doit pas forcément devenir quelqu’un pour être vu. On est tous déjà quelqu’un et pour cela, il faut juste être honnête avec qui on est vraiment, coller à sa véritable identité. Quand je photographie une célébrité ou un modèle, j’aime qu’ils se présentent sans filtre et avec le moins d’insécurité possible. La seule raison pour laquelle je n’aime pas photographier exclusivement des mannequins, c’est parce que je trouve que cette sélection faite et proposée par l’industrie de la mode est assez ennuyante et peu expressive.

« Le monde de la nuit géorgien est en plein essor, brut, avec une vraie diversité et des gens qui se soutiennent les uns les autres tout en se battant pour défendre ce en quoi ils croient : notamment la cause et les droits LGBT dans un pays qui reste l’un des plus homophobes au monde. »

Vous adorez la nature morte et au-delà de la photo­graphie, vous réalisez aussi des collages et des installations avec des objets et des accessoires.
Mélanger le portrait, la nature morte, le collage et les objets, c’est le cœur de mon travail; je vois ça comme un tout indissociable. C’est comme différentes strates qui viendraient s’assembler. Voilà pourquoi j’apprécie autant travailler avec le texte qu’avec l’image ou les objets, ou que j’aime par exemple mélanger des références sexuelles et des références littéraires.

Vous êtes originaire de Géorgie. Que pouvez-vous nous dire sur la scène artistique émergente de votre pays ?
Depuis quelque temps, la Géorgie a enfin trouvé sa place sur la scène internationale. Les artistes géorgiens ont toujours été là bien sûr, mais c’est vrai qu’il y a une sorte de hype autour de la scène géorgienne en ce moment. Elle devient plus mainstream d’une certaine façon. Particulièrement dans la musique et la mode (notamment avec le créateur Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga et du label Vetements, ou encore la marque Situationist dirigée par le créateur lrakli Rusadze, ndlr).

Mais pour moi, l’une des choses les plus inspirantes qu’on puisse trouver dans mon pays, c’est la musique géorgienne. Le monde de la nuit y est en plein essor, brut, avec une vraie diversité et des gens qui se soutiennent les uns les autres tout en se battant pour défendre ce en quoi ils croient : notamment la cause et les droits LGBT dans un pays qui reste l’un des plus homophobes au monde.

Comment avez-vous réagi quand Antidote vous a proposé de photographier un numéro entier ?
C’était inattendu ! Et vraiment intéressant de me découvrir dans un univers plus mode tout en restant qui je suis, peu importe le projet qui m’était assigné. C’est un honneur d’avoir pu faire ce que j’aime et de travailler avec autant de personnes formidables. Ça m’a apporté de véritables opportunités car j’ai réalisé des choses que je n’aurais pas fait seul dans mon travail.

Comment avez-vous choisi de traiter le thème de ce numéro : Survival ?
La survie est quelque chose d’assez bizarre pour moi car elle peut être très abstraite. Tous les jours, on se bat pour survivre à notre propre condition. Savoir qui on est et ce qu’on veut constitue déjà un aspect conséquent de la survie. En tant que photographe, dans mon travail, je fais face à cette notion. Je travaille toujours avec ce que j’ai et ce qui me rend heureux, en évitant de voir les aspects négatifs et de les prendre trop en considération. C’est aussi ça la survie. Et c’est ce que j’ai voulu rendre à travers mes photos.

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