Comment les stars de Disney sont devenues les égéries du luxe

Article publié le 24 janvier 2017

Texte : Alice Pfeiffer
Photo : Campagne Series 5 automne-hiver 2016 de Louis Vuitton par Bruce Weber.

Si les anciens membres du Mickey Mouse Club apparaissent à l’affiche des plus grandes campagnes, c’est parce qu’ils véhiculent un message clair : la promesse de pouvoir radicalement se réinventer.

Un régiment de femmes androgynes vous fixe, bras croisés ou mains sur les hanches. Imposantes, presque viriles, elles sont à l’affiche de la nouvelle campagne Louis Vuitton. Au milieu d’elles, une brune pulpeuse aux longs cheveux bouclés et au visage poupin contraste discrètement. Contre toute attente, il s’agit de Selena Gomez. L’esthétique tomboy a beau être branché, la chanteuse pop et ex-Disney Channel (et Justin Bieber) charme la mode, malgré un physique a priori opposé. Elle est aussi la nouvelle égérie Coach, est apparue récemment sur les couvertures d’une ribambelle de Vogue, Harper’s Bazaar, et faisait la controverse déguisée en femme-enfant hypra-sexualisée pour le magazine V.

De gauche à droite : Vogue Australia septembre 2016, V Magazine printemps 2015

Un parcours hors du commun ? Précisément le contraire. Elle s’inscrit dans la mythologie de la Disney Kid devenue soudaine égérie de la mode. Encore et toujours, le même parcours : d’abord un succès explosif chez les 5 à 12 ans, suivie d’une crise d’adolescente tardive, puis d’un pétage de plomb, et d’un deuxième volet de gloire dans leur nouvelle famille d’adoption, le luxe qui aurait comme assagi ces rebelles par le pouvoir transcendantal du vêtement.

FABRIQUE D’UNE RÉBELLION MAÎTRISÉE

Attention, si beaucoup de stars du Mickey Mouse Club craquent, toutes ne sont pas nécessairement draguées par la mode. N’oublions pas les arrestations multiples de Lindsey Lohan, qui tente aujourd’hui de se relancer en inventant un nouvel accent pseudo-britannique – le « Lilohan » – ou Britney Spears post-crâne rasé, qui accumule les tristes chorégraphies.

Campagne Calvin Klein printemps-été 2016.

Réussir à se reconvertir en modeux est un exercice bien plus périlleux et contrôlé qu’il ne le semble. Prenons le cas de Justin Bieber, désireux de lâcher son look minet à mèche. Il ne tombe pas (visiblement) dans la cocaïne (contrairement à LiLo qui se vante de n’en avoir avoir pris « que 10 à 15 fois ») : il boit plutôt du sirop codéiné et accumule tatouages et musculation. Sa rébellion tiède, finalement plus proche d’un relooking, permet de surprendre ses anciens fans, choquer doucement les parents, tout en restant dans le domaine de la légalité – un facteur important pour une Amérique puritaine. Bientôt, le voilà en train de cligner de l’œil sur la couverture du magazine i-D, cheveux peroxydés, tenues parfaitement calculées entre hip-hop et punk. Le message est clair : ce mash-up est une façon de signifier une émancipation hors de la case enfermante de laquelle il était autrefois prisonnier.

Idem pour Miley Cyrus : elle coupe ses cheveux, fume de la Salvia (une herbe légale), twerke, se découvre pansexuelle – et indique, en choquant sans réellement s’aliéner, qu’elle a repris possession d’un corps autrefois sexualisé de force. En deux temps trois mouvements (de hanches), elle apparaît dans la campagne Marc Jacobs, sur une flopée de couvertures de magazines pointus, et collabore avec Jeremy Scott.

Campagne Marc Jacobs printemps-été 2014

Aujourd’hui, une nouvelle fournée de Disney Girls charme l’empire de l’éphémère – des toutes jeunes filles qui transforment habilement leurs coups de gueules en contestations engagées et 3.0. Rowan Blanchard, âgée de 15 ans, se dit sexuellement queer, féministe, pose devant l’objectif de l’artiste Petra Collins pour la couverture de Wonderland ; elle défilait aussi récemment pour Opening Ceremony et était invitée au défilé Chanel. Le message est clair : à la croisée de deux générations, elle prouve que l’on peut, dès le plus jeune âge, militer sans pour autant sortir de codes girly – rassurante pour les parents et radicale pour les minettes.

Quant à Selena Gomez et Zendaya, les deux se démarquent en s’exprimant haut et fort contre la féminité ambiguë attendue des héroïnes du Mickey Mouse Club, à la fois virginales et sexuelles, et dont le physique est contrôlé à la perfection pour répondre à des normes excluantes. Pour chaque ex-enfant Disney, la chaîne devient une plateforme de gloire, dont le rejet engrange un nouveau chapitre de notoriété : ils incarnent l’Amérique bienséante pour mieux la déconstruire après – sans jamais crier trop fort.

Rowan Blanchard a tenu un discours sur le féminisme et le droit des femmes en marge du défilé Opening Ceremony printemps-été 2017.

LE DISNEY KID ET LA MODE : UNE PROMESSE DE RÉINVENTION PERSONNELLE

Et les impacts sont multiples. D’abord, le buzz indéniable sur les réseaux sociaux. Comme le souligne le magazine économique Fortune, « les intérêts sont assez clairs lorsque l’on caste Selena Gomez : 107 million de followers sur Instagram – une simple photo d’elle en train de siroter un coca récolte 6 millions de Likes. Sur Twitter, elle a 46 millions d’abonnés, deux fois plus que Trump. » Son public de millenials la suit depuis son plus jeune âge : il a grandi avec elle, a eu ses blues adolescents au même âge. Il a pleuré quand elle s’est fait larguer, hurlé quand les médias people l’ont montrée du doigt plus dodue qu’auparavant.

when your lyrics are on the bottle 😛 #ad

Une photo publiée par Selena Gomez (@selenagomez) le

Aujourd’hui, la revoilà rayonnante à l’affiche de campagnes. Elle apparaît indépendante, femme forte, moins provoc’, (vaguement) plus alternative. La mode devient donc l’élément salvateur qui lui a ouvert ses bras, qui lui a permis de se relever et se réinventer dans une société jeuniste et infidèle. Sa tenue devient donc l’enveloppe et le chaperon symbolique de sa nouvelle vie, comme si les deux étaient intimement liés.

Selena, Rowan, Zendaya deviennent les plus rebelles des filles sages, les plus sages de rebelles, et nous réconcilie tous, mères strictes et enfants en mal d’encanaillement, faux jeunes, faux vieux, autour d’un perfecto, plus bankable que jamais.

À lire aussi :

[ess_grid alias= »antidote-home2″]

Les plus lus

Pré-commandez le numéro automne-hiver 2024/2025 d’Antidote

Pré-commandez le numéro automne-hiver 2024/2025 d’Antidote sur Antidote.Bigcartel.com.

Lire la suite

Interview avec Saweetie, star incontournable du rap américain

Après une apparition remarquée à la Fashion Week de Paris, et forte de nombreuses collaborations avec notamment Jhené Aiko, Doja Cat, H.E.R. ou encore Rihanna pour sa marque Fenty Beauty, Saweetie aka Icy Grl – comme le nom du single qui l’a propulsée sur le devant de la scène en 2018 – n’a encore jamais sorti d’albums après de nombreuses années de carrière. Peinant à trouver sa place et réclamée par ses fans, la rappeuse américaine de 30 ans est cette fois prête : nous avons discuté de son album qu’elle prépare enfin pour 2024, après son retour avec le single “Richtivities” ; mais aussi de son ressenti en tant que femme dans le rap et en tant que rappeuse parmi les autres rappeuses, ou encore de son rapport à la mode et au cinéma avec, pourquoi pas… un futur rôle de vilain  dans un film de super-héros.

Lire la suite

Awich : la boss du rap game japonais

Awich revient ici sur son parcours hors normes, de l’assassinat de son mari alors qu’elle n’avait que 24 ans à sa renaissance grâce à la musique à l’aube de la trentaine. Au passage, la reine du rap japonais raconte également son enfance passée face aux campements militaires américains installés au Japon, dépeint l’évolution du rôle des femmes au sein de la société nippone, et explique pourquoi elle a lancé une marque de saké dans lequel elle fait mariner des têtes de serpents venimeux.

Lire la suite

Commandez le numéro printemps-été 2024 d’Antidote

Commandez le numéro printemps-été 2024 d’Antidote.

Lire la suite

Rencontre avec le DJ croate Only Fire, avant la sortie de son nouvel EP « Moana Lisa »

Avec leurs voix robotiques clamant des paroles salaces sur des beats entêtants, les titres du jeune DJ croate Only Fire se sont rapidement imposés sur la scène électro internationale, de Paris à Berlin, où il vit aujourd’hui, en passant par New York et Zagreb, où il a grandi. Après avoir mixé lors d’une Antidote Party en juillet 2023, où il instantanément fait grimper la température, le jeune DJ de 24 ans revient ce vendredi 1er mars avec « Blowjob Queen », un single annonçant la sortie de « Moana Lisa », un nouvel EP au titre tout aussi kinky, disponible en pré-commande avant sa sortie à la fin du mois. Rencontre.

Lire la suite

Newsletter

Soyez le premier informé de toute l'actualité du magazine Antidote.