Les nouvelles nuits queer de Paris (ou comment militer en dansant)

Article publié le 4 novembre 2016

Texte : Alice Pfeiffer
Photo : Anna Fouquère

Jeudi OK, Fils de Venus, Shemale Trouble… le clubbing LGBTQIA+ de la capitale fuit les segmentations, et rassemble tous les genres, identités et sexualités par la fête.

Salò, c’est le film lourdement controversé de Pier Paolo Pasolini, qui imagine une dystopie fasciste et ultra-violente sous le régime de Mussolini. Aujourd’hui, c’est aussi un lieu parisien qui vient de remplacer le Social Club, et qui se décrit comme « dédié aux mouvements alternatifs, attaché aux principes de contre-culture, d’indépendance et de libre-expression», et avec des affinités queer. Quel lien entre l’œuvre et la boite de nuit ? L’auteur du premier, homosexuel et marxiste, et la clique du second (notamment Anne-Claire Gallet, derrière les soirées cultes les « Flash Cocotte »), invoquent – pour mieux exorciser— des stigmates politiques houleuses…au moins le temps d’une nuit.

La soirée de pré-lancement réunissait une foule des plus diverses, et une programmation composée de l’artiste Abel Ferrara et Vikken, DJ branché, producteur et performeur trans. Et révèle, au passage, une évolution radicale des nuits queer parisiennes en 2016 : ne cherchez plus les réponses là où vous pensiez les trouver. Adieu bars-piliers, soirées labellisées gay ou lesbiennes, aujourd’hui, la capitale voit le fleurissement de soirées nomades, qui convertissent des espaces inattendus pour une nuit. Le but ? Un rapprochement inclusif de tous les genres, identités et sexualités, faisant sauter les frontières pré-écrites. On revient de loin.

BAR HOMO OU LESBIENNE, UNE SEGMENTATION DEVENUE EXCLUANTE ?

Soirée Les Amours Alternatives au Pigallion.
Photo : Soraya Daubron

L’an prochain, cela fera 10 ans que le Pulp, légendaire club lesbien, aura fermé ses portes. Si il jouait un rôle clé à l’époque face à la représentation inexistante ou sexiste des homosexuelles, il interdisait néanmoins la présence des hommes. Aujourd’hui, ce genre de sélection – pour ne pas dire ségrégation – se compte sur les doigts d’une main.

« Avant, c’était du « chacun chez soi » : il y avait le Pulp d’un côté pour les filles, et le Queen de l’autre pour les garçons », se rappelle Vikken – une approche qui se révèle être excluante pour beaucoup d’autres personnes aux identités trans, non-binaires, neutres. Il dit remarquer de la méfiance et de la violence à l’égard d’homme et femmes trans dans des milieux hétéros comme LBGT : « Beaucoup de personnes sont transphobes sans même s’en rendre compte, la norme à laquelle ils-elles se réfèrent étant «  femme = vagin – homme = pénis » et les pratiques sexuelles qui y sont « forcément » associées, dit-il, ajoutant qu’il remarque une évolution. On y pose moins – voire pas – de questions sur l’identité et/ou l’orientation de telle ou telle personne. À mes yeux, en réunissant des minorités qui ne se mélangeraient pas naturellement en soirée, l’objectif affiché est de créer une certaine unité. »

Quant à Bruce et Naelle Dariya, à la tête des soirées Shemale Trouble, leur but est de créer un rendez-vous « trans-encouraged et cis-friendly » [cisgenre : quand le genre d’une personne est en adéquation avec son genre assigné à la naissance]. Autrement dit, qui encourage une visibilité trans mais n’exclue pas les personnes non-minorées.

Le duo se dit frustré « des personnes trans cantonnées à des postes de physio ou de servir de faire valoir sur les photos de soirée, alors on a décidé de ne plus être sujet mais de se positionner en tant qu’acteurs et actrices. On voulait aussi donner de la visibilité à des artistes trans, d’avoir notre espace et notre propre autonomie à une époque où des monopoles tendent à se construire ». Ainsi, ce sont des gens aux mêmes valeurs, aspirations, idéaux, et modes de vies qui s’y retrouvent, défendant une identité politique commune ; en somme « des personnes qui se définissent par leur lutte politique contre le cis-tème oppressant, l’hétéro-patriarcat blanc. Notre soirée permet de célébrer nos modes de vie », disent Bruce et Naelle.

DES RENDEZ-VOUS AVANT TOUT CULTURELS

Soirée Barbieturix à la Machine du Moulin Rouge.
Photo : Marie Rouge

Le collectif Fils de Venus, qui, en guise de promotion Facebook, se contente de lancer un « On t’aime mon petit loup ♥ », se fait remarquer pour avoir donné leur première scène française à Abra et Tommy Genesis ; House of Moda, qui invite chacun.e, selon leur page Facebook à « réveiller la diva en soi ».
On pense aussi à Possession, soirées techno queer (et toujours lookées) ; Jeudi OK, la sauterie de rigueur underground pré-week-end, également lancée par Anne-Claire ; aux Amours Alternatives, association portée par « son intérêt pour toutes les cultures alternatives, sexualités, et mouvements sous-représentés », selon une de ses fondatrices Soraya Daubron. Mais aussi, les Kidnapping, fidèles au poste avec leur lancer de jambon ; les Gina X par l’outrageuse artiste multimédia Dora Diamant, pour ne nommer qu’elles.

« Les lieux interdits aux filles ou aux mecs n’ont plus lieu d’être : la priorité est d’offrir un espace safe pour personnes aux identités minorées…tout en écoutant des musicien.nes pointu.es et partageant nos principes », dit Rag, à la tête du collectif Barbieturix et des soirées Wet for Me, tenues par des femmes mais qui « ont évolué d’un nuit lesbienne à une nuit par des filles ouvertes à tout.es : nous voulons être les allié.es des tous les genres et sexualités ». Ainsi, les line-ups sont des plus diverses, passant en toute fluidité de figures new-yorkaises (et tout à fait modeuses) de Venus X au groupe Ile et Vilaine ou encore l’artiste électro Fatima Al Qadiri.

Car la scène queer est assurément à la mode, permettant l’explosion de figures come Zebra Katz, Mykki Blanco, Angel Haze, cela prouve une autre chose : « Paris est plus mélomane que jamais – le premier facteur de rencontre est la fête, la rencontre se passe par des qualités communes autre que le genre : les goûts musicaux. Cela entraîne une nouvelle unité, mixité et volonté de vivre ensemble », dit Naila Guiguet, DJ connue sous le nom de Parfait et à la tête des nuits Possession.

Soirée Wet for Me au Cabaret Sauvage.
Photo : Marie Rouge

Idem pour Harmony Coryn, à la tête la plateforme de e-commerce et soirées nomades Black New Black, pluridisciplinaires et queer. Pourquoi lier mode et soirées mixtes ? « Les vêtements font partie d’un récit culturel, d’une ouverture globale. Particulièrement la nuit, le vêtement permet de raconter ses goûts, ses envies, ses valeurs. La philosophie queer s’apparente à la vision de nombreuses sous-cultures musicales, underground, urbaines – une envie de montrer des gens aux marges de la société, souvent invisibles, hors carcans, engagés. La nuit, le queer, la mode, ont tout à voir », dit-elle de son initiative mêlant différentes performances d’une jeune scène parisienne : le duo de rap Orties, l’artiste Regina Demina, la musicienne Princess Century du groupe Austra.

À l’aube d’élections inquiétantes, dans un climat plus réac’ que jamais, ou le retour de la Manif pour Tous est virulent, les droits de personnes trans vont à reculons, la fête permet une façon d’échanger, militer, sans passer par la parole, de promouvoir « une solidarité, une bienveillance au cœur de la société, de partager en dansant », ajoutent Bruce et Naelle.

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