Texte : propos de Céline Pham recueillis par Géraldine Sarratia pour Magazine Antidote : Borders été 2017
À l’heure où Taïwan devient le premier pays d’Asie à autoriser le mariage gay, une série de cinq témoignages prouve la complexité et l’extrême individualité de chaque expérience. Voici celui de Céline Pham, chef d’origine vietnamienne de 29 ans.
Pour la majorité des homosexuels, il y a un avant et un après leur coming out, ce moment où ils ou elles ont dit leur préférence sexuelle. Et si ce franchissement de frontière est un motif récurrent de la vie homosexuelle, il reste avant tout un acte personnel et singulier.
C’est un des motifs narratifs qui rythment la vie de beaucoup d’homosexuels : à un moment donné de leur vie, ils diront et assumeront socialement leur préférence sexuelle. Un franchissement de frontière qui reste un acte extrêmement singulier, qui prend des sens et des valeurs très différents selon les cultures, les origines sociales et les individus. Un croisement de luttes ou d’oppressions aussi nommé « intersectionnalité », qui rend singulière l’expérience et le combat de chacun. Car il n’y a pas un mais une infinie variation de coming out, comme celui de Céline Pham, chef d’origine vietnamienne de 29 ans.
UNE DÉCLARATION TARDIVE
À 28 ans, après avoir pourtant découvert et affirmé ma sexualité à 13 ans, j’ai fait un coming out inversé, un peu contraint par la tristesse. Je venais de me séparer de ma conjointe avec qui j’étais restée six ans. J’ai appelé mon père pour qu’il m’emmène à l’aéroport, je voulais partir loin. Je n’avais pas quelqu’un à lui présenter mais bien le contraire. C’est sorti, enfin. Je lui ai dit que c’était terminé, qu’elle -ma soi-disant « coloc »- m’avait quittée et que j’étais malheureuse comme les pierres. Il la connaissait très bien, elle venait régulièrement dans ma famille. Il était très triste pour moi, pour ma rupture. Je pense qu’il était soulagé que j’arrive enfin à mettre des mots dessus. Les non-dits étaient lourds.
« Je n’avais pas quelqu’un à lui présenter mais bien le contraire. C’est sorti, enfin. Je lui ai dit que c’était terminé, qu’elle -ma soi-disant « coloc »- m’avait quittée et que j’étais malheureuse comme les pierres. »
J’avais essayé de lui parler à plusieurs reprises, impossible, les mots ne venaient pas. À 27 ans, pendant un voyage de famille au Vietnam. Je m’étais dit que ce serait le voyage du coming out. Mon frère me soutenait, me tendait des perches, souvent il lançait à table d’un regard complice : « Céline a quelque chose à vous dire ». Je savais que mon père était au courant, qu’il en parlait avec mes frères. Mais je n’y arrivais pas.
J’ai un autre cousin homosexuel, c’est tabou dans la famille. Les jours passaient. Je me retrouve une matinée face à mon père, il me fait redécouvrir son enfance au Vietnam, m’emmène sur des lieux importants pour lui. On est resté sur un banc à attendre que ça sorte. Et ça ne sortait pas. J’ai continué à être avec mon ex, à venir avec elle le dimanche chez mes parents. Dans sa famille à elle, j’étais pleinement acceptée.
Ce qui me gênait le plus, c’était la réaction de ma mère. Sans doute parce qu’elle vient de la campagne profonde du Vietnam, et qu’elle est très traditionnelle, je me disais bêtement qu’elle serait déçue de moi. Je pense que la différence de culture m’a retenue et m’a fait peur. La famille et la filiation, c’est très important pour elle. Elle voyait aussi disparaître l’éventualité de me voir un jour avec des enfants. Du coup, triste, en pleurs, je lui ai enfin dit : « J’aimerais que C. revienne ». Elle a été compréhensive et m’a consolée. Elle m’a dit que nous n’étions pas faites l’une pour l’autre. Une douleur sourde m’a frappé la poitrine, mes larmes ont coulé encore plus fort, cette fois pas pour la tristesse de la rupture mais pour cette compréhension inattendue.
» Avec le temps, les rencontres et l’expérience, je me suis rendue compte que je ne pouvais plus mentir si je voulais réussir à transmettre des émotions à travers ma cuisine. »
Il n’y pas qu’avec ma famille que le coming out a été difficile. Dans mon métier, le monde si particulier de la restauration, je n’osais pas le dire au début. Je me suis pris de plein fouet la découverte d’un milieu homophobe et machiste, surtout à l’école et lors de mon apprentissage. Cela m’a totalement refroidie. Je suis restée très longtemps dans le placard, mais en prenant de l’assurance au niveau culinaire. Avec le temps, les rencontres et l’expérience, je me suis rendue compte que je ne pouvais plus mentir si je voulais réussir à transmettre des émotions à travers ma cuisine. Maintenant, c’est moi la première qui tourne en dérision et remixe toutes les blagues potaches, remarques blessantes, entendues au fil des années… Je crois qu’il il vaut mieux en rire qu’en pleurer.
Cet article est extrait du Magazine Antidote : Borders été 2017 photographié par Olgaç Bozalp.