« Gay, hétéro ou menteur » : voici un des milliers de stéréotypes stigmatisants autour d’une phobie encore trop peu reconnue.
« Bye Bi Amber » ou « Ciao Amber la Bi », titre élégamment le tabloïd anglais The Sun sa couverture de la rupture entre l’actrice Amber Heard et Johnny Depp, suite à une attaque violente de la jeune femme par son mari à coups de téléphone portable en plein visage. Selon le journal trashissime, monsieur aurait été poussé à l’agression physique par son anxiété débordante que la jeune femme, ouvertement bisexuelle, ne le trompe avec une amie – suggérant, dans un amalgame inquiétant, que son orientation rimerait avec voracité sexuelle, incapable de monogamie. Un exemple de plus prouvant à quel point le B du prisme LGBTQIA+ est incompris.
SOMMES NOUS TOUS BI (OU PRESQUE)/SECRÈTEMENT BI ?
La chanteuse et comédienne Soko s’est affichée un temps au bras de l’actrice Kristen Stewart, tout en clamant sa bisexualité.
L’appellation peut prêter à confusion: ‘bi’ ne veut pas dire aimer ‘les deux sexes’ – une binarité qui nierait un prisme plus large d’identités – mais d’avoir le potentiel d’être attiré par plus d’un seul genre et/ou sexe.
Pour le docteur Alfred Kinsey, la sexualité humaine se situerait plutôt sur une échelle, dite la Kinsey Scale, de 0 à 6, soit totalement hétérosexuel d’un côté et 100 pourcent homosexuel de l’autre. Une grande partie de la population serait quelque part entre les deux – comme aux Etats-Unis, ou une étude récente révèle qu’une personne sur trois de moins de trente ans ne se place ni à 0 ni à 6.
Les exemples de coming out bisexuels de célébrités fleurissent ces dernières années, particulièrement chez les femmes – qui sont trois fois plus nombreuses que les hommes, du moins à en parler —. On peut penser à Azealia Banks, Miley Cyrus, Kristen Stewart ou Cara Delevingne qui n’hésitent pas à s’afficher en couple homosexuel ou clamer leur fluidité.
Dans une interview accordée au magazine Paper, Miley Cyrus déclarait : « Je me souviens avoir fait part à ma mère de mon admiration pour les femmes d’une façon différente. Elle m’a demandé ce que cela voulait dire. Et je lui ai dit que je les aimais. Que je les aimais comme j’aime les garçons. »
Pourtant, ces petits jeunes reviennent de loin. Encore récemment, une actrice à Hollywood se disant ‘bi’ était souvent accusée d’être une lesbienne dans le placard, gardée de le dire par peur de perdre des rôles d’hétérosexuelles (on pense notamment à Michelle Rodriguez, qui fit, au long de sa carrière l’objet de railleries et ragots fréquents à ce sujet) ; ou encore d’être de mœurs légères, débridées, allumeuses. Il faudra attendre qu’en 2010, Anna Paquin, star de True Blood, prenne parole lors d’une campagne dénonçant l’homophobie et la biphobie et déclare « Oui, je suis bisexuelle, non, je n’ai pas une libido folle, mon attirance pour quelqu’un n’est simplement pas prédestinée ou freinée par le genre de la personne ». Plus tard, en 2014, elle tweete « Je suis aujourd’hui une mère de famille mariée et fièrement bisexuelle. Le mariage c’est une affaire d’amour et non pas de genre», au sujet de son couple avec l’acteur britannique Stephen Moyer. Chez les hommes, les exemples se comptent sur les doigts d’une main, Frank Ocean, James Franco et Ezra Miller, fréquemment accusés de nier leur ‘vraie’ identité. Pourquoi tant de trouble ?
« HOMO, HETERO, OU MENTEUR »
« Gay, straight or lying » chante une vieille rengaine « biphobe » – ou la discrimination des bisexuels. Pour les femmes bies, ça ne serait qu’un effet de style, un jeu avec des codes hautement fétichisés par la mode comme le porno – qui ne contribuerait qu’à renforcer un fantasme hétéronormé (cf. les deux jeunes femmes déguisées en écolières virginales se galochant dans le groupe russe Tatu.) Pour les hommes, il s’agirait forcément d’un gay refoulé – une figure inquiétante qui met en péril un ordre patriarcal.
La biphobie a une caractéristique particulière, celle de recevoir les foudres et moqueries aussi bien des milieux gays que hétérosexuels, explique Vanessa de Castro, Porte-parole de FièrEs, une association féministe portée par des lesbiennes, bies, trans. Les clichés réducteurs n’en finissent pas : « La bisexualité n’existe pas, elle n’est qu’une passade », « La bisexualité n’est qu’une mode », « Contrairement aux lesbiennes et aux gays, les bisexuels ne sont pas discriminés », « Les bisexuels sont forcément infidèles » , « Les bisexuels sont incapables de choisir un camp », dit-elle, ajoutant que « ces idées biphobes contribuent à l’invisibilisation de la bisexualité ainsi que de la biphobie ».
Ce choix est donc perçu comme, au contraire, l’absence de décision, une zone de flottement ou une transition avant d’accepter sa ‘vraie’ nature. Encore et encore, c’est une définition de soi qui est ignorée, réfutée, accusée, car elle bénéficierait de pouvoir ‘choisir’ entre deux identités plus ou moins acceptables dépendant du milieu où l’on se trouve. Pourtant, une femme bisexuelle en couple avec une autre femme ne reçoit-elle pas la même discrimination que n’importe quelle relation homosexuelle ? « Dans la vie de tous les jours comme dans les milieux queer, on est dans un état permanent d’acceptation conditionnelle, ce qui est le contraire absolu de l’acceptation ! », ajoute l’activiste Robyn Ochs.
Proud to be a happily married bisexual mother. Marriage is about love not gender. @eqca @NOH8Campaign @ItGetsBetter pic.twitter.com/UhFeXVMGTY
— Anna Paquin (@AnnaPaquin) 9 juin 2014
« Etre bisexuel est troublant car cela explose vraiment les carcans et une logique binaire: non la femme bie n’attend pas secrètement un homme pour avoir une ‘vraie’ sexualité, non l’homme bi n’est pas un homosexuel inassumé» s’exclame Vincent-Viktoria, président-e de Bi’Cause, première association porte-paroles des bisexuel-le-s en France, qui défend la devise « Parce que l’amour est un droit », et célèbrera ses 20 ans l’an prochain. « Après un long et douloureux combat pour les droits gay, la bisexualité est trop souvent vu comme voulant le beurre et l’argent du beurre, une trahison à la cause. Pourtant, la voilà, la vraie explosion des cadres mentaux ! »
Combattre la biphobie est donc l’affaire de tous les milieux, pour revenir à une pensée profondément queer, ou soutenant « tout ce qui porte le trouble dans l’ordre binaire et normatif des genres » comme le définit Anne-Emmanuelle, auteur de Le Grand Théâtre du genre. Et donc de permettre une acceptation de toutes les différences, inconditionnellement.