L’édito de Maxime Retailleau, rédacteur en chef du nouveau numéro d’Antidote
« Shantih shantih shantih »
Ce numéro « Karma », c’est un pas de côté dans un monde marqué par une quête de productivité, d’efficacité trop souvent obstinée et aveugle, qui cherche encore à se donner l’illusion qu’il peut tout contrôler pour éviter de se remettre en cause. Fondée sur des croyances trompeuses, la logique capitaliste poursuit sa course effrénée alors que les mythes qu’elle a fait naître s’affaissent un peu plus chaque jour, annonçant une crise de la rationalité désincarnée encouragée par la prise de conscience croissante à l’égard des effets du dérèglement climatique.
« On récolte ce que l’on sème », prévenait pourtant l’une des principales lois karmiques, il y a déjà plusieurs millénaires. Or chaque période de grands bouleversements est aussi l’aube d’une nouvelle ère emplie de multiples possibles. Celle qui s’annonce pourrait ainsi délaisser la poursuite obsessive de la rentabilité au bénéfice d’une quête d’épanouissement et d’harmonie entre l’humain, la Terre et tous·tes ceux·celles qui la peuplent. C’est en tout cas ce dont rêve Corine Sombrun, qui a suivi une formation chamanique après être entrée subitement en transe lors d’une cérémonie rituelle et considère cet état mental dionysiaque comme une porte d’entrée vers la remise en cause de l’égocentrisme. Une aspiration qu’elle partage avec les Radical Faeries contemporaines, membres d’un mouvement gay né à la fin des années 1970 qui s’est inspiré du paganisme ou encore de l’esprit camp pour se rebeller contre les valeurs patriarcales et encourager l’essor d’un rapport plus vertueux à notre environnement.
Ce numéro rassemble par ailleurs la chanteuse Kali Uchis, l’actrice Agathe Rousselle – premier rôle féminin de Titane, la Palme d’or du Festival de Cannes 2021 – ou encore le mannequin, acteur et danseur Alton Mason, qui s’expriment sur leur rapport personnel à la notion de karma et expliquent en quoi elle les pousse à se surpasser chaque jour. L’iconique Béatrice Dalle, interviewée par le réalisateur canadien Bruce LaBruce, revient quant à elle sur sa relation toute particulière au Christ, tandis que l’écrivain Simon Johannin signe une nouvelle exclusive retraçant l’éveil spirituel qu’il a traversé ces derniers mois. Ce thème a également inspiré nombre de designers, qui multiplient les motifs et références ésotériques dans leurs collections comme autant de fragments étayant les ruines d’un monde en reconstruction, pour paraphraser le poète T. S. Eliot, dont le chef-d’œuvre moderniste The Waste Land trouve dans l’ère actuelle une nouvelle caisse de résonance.
L’attrait pour la spiritualité est également au cœur de la démarche du photographe Lee Wei Swee, qui signe les photos de ce numéro et vise à faire émerger une effervescence collective lors de chacun de ses shootings, par le biais d’un délaissement volontaire de son ego. Une vision collaborative qui rappelle en partie celle du rappeur Laylow, dont la longue et fructueuse association avec le réalisateur Osman Mercan a joué un rôle déterminant dans le succès exponentiel qu’il rencontre. Des cercles vertueux qui leur assurent les faveurs du karma ?