À l’heure où Taïwan devient le premier pays d’Asie à autoriser le mariage gay, une série de cinq témoignages prouve la complexité et l’extrême individualité de chaque expérience. Voici celui d’Ari De B, danseuse, militante queer et figure emblématique de la scène voguing et waacking parisienne.
Pour la majorité des homosexuels, il y a un avant et un après leur coming out, ce moment où ils ou elles ont dit leur préférence sexuelle. Et si ce franchissement de frontière est un motif récurrent de la vie homosexuelle, il reste avant tout un acte personnel et singulier.
C’est un des motifs narratifs qui rythment la vie de beaucoup d’homosexuels : à un moment donné de leur vie, ils diront et assumeront socialement leur préférence sexuelle. Un franchissement de frontière qui reste un acte extrêmement singulier, qui prend des sens et des valeurs très différents selon les cultures, les origines sociales et les individus. Un croisement de luttes ou d’oppressions aussi nommé « intersectionnalité », qui rend singulière l’expérience et le combat de chacun. Car il n’y a pas un mais une infinie variation de coming out, comme celui d’Ari De B, danseuse, militante queer et figure emblématique de la scène voguing et waacking parisienne.
UN ÉVEIL INTIME ET POLITIQUE
J’ai fait mon coming out à 21 ans, quand j’ai rencontré cette fille dont je suis tombée follement amoureuse et qui est restée ma copine pendant trois ans. Jusque-là, je pensais que j’étais hétérosexuelle, même si j’ai toujours eu des histoires avec des filles, tout simplement parce que je n’avais pas de cadre pour penser l’homosexualité féminine, personne à qui m’identifier.
« Mon coming out, ça été à la fois la découverte de mon orientation sexuelle, mais aussi celle de ma politisation et de ma conscientisation des enjeux de sexe, race et classe. »
Cette fille évoluait dans le milieu queer radical, squat et anarchiste. Je m’y suis greffée et ça a été une révélation. Tout a fait sens. Mon coming out, ça été à la fois la découverte de mon orientation sexuelle, mais aussi celle de ma politisation et de ma conscientisation des enjeux de sexe, race et classe. J’ai eu tout à coup la sensation de faire l’expérience, dans ma chair, de l’intersectionnalité que j’étudiais à la fac en Gender Studies. Ça a été fou, une épiphanie physique et intellectuelle.
Je l’ai dit tout d’abord à ma mère, de vive voix. Je suis née en Algérie de parents algériens. Ma mère vient d’une famille middle-class, mon père, kabyle, de la classe paysanne. Tous deux sont devenus profs. Ils se sont exilés en France à cause de la guerre civile. L’homosexualité dans ma famille, ça n’était pas une option. Cela n’a jamais été mentionné.
Performance d’Ari De B sur un clip de Tami T.
Quand je l’ai dit à ma mère, elle a eu un silence puis m’a dit en souriant : « libertine », j’ai trouvé ça drôle. Elle m’a aussi dit qu’elle ne m’avait jamais vue aussi heureuse que depuis que je m’étais découverte queer.
Mon père, ça a été plus compliqué. Je lui ai dit par téléphone. Le face-à-face était impossible pour moi. Je lui ai dit que j’étais amoureuse d’une fille de ma classe. Il m’a dit que j’étais malade, que c’était une phase, que j’avais dû avoir été déçue par les hommes. Ce sujet a été tendu pendant un an environ, puis nous n’en avons plus jamais reparlé. Aujourd’hui, je suis danseuse, ma spécialité est le waacking et je fais du voguing, mais je viens du milieu hip-hop. Mon coming out y a pris du temps, j’ai dit que j’étais bisexuelle – ce qui est vrai dans les faits mais aussi plus facile à verbaliser. Mon identité de gouine politique est plus compliquée à exposer… Expliquer le retournement du stigmate en deux minutes, ce n’est pas facile !
» Mon coming out y a pris du temps, j’ai dit que j’étais bisexuelle – ce qui est vrai dans les faits mais aussi plus facile à verbaliser. Mon identité de gouine politique est plus compliquée à exposer… »
Je fais maintenant partie de la scène voguing – la Ballroom Scene – que j’ai découverte à San Francisco en 2011, lors d’un voyage avec ma copine de l’époque. Là encore, ça a été une révélation, moi qui avait toujours dansé. C’était la cristallisation de mon identité queer politique, à l’intersection même des identités de genre, de race et de classe, sublimées par une danse. Autrement dit, la perfection. C’était la danse de la politique, la politique de la danse, tout ce dont j’ai toujours rêvé.
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Cet article est extrait du Magazine Antidote : Borders été 2017 photographié par Olgaç Bozalp.