Alors que Kanye West a joué les D.A pour les premiers Pornhub Awards et que la chanteuse Brooke Candy vient de réaliser un porno « avant-gardiste » pour la plateforme vidéo, l’industrie du X semble de plus en plus s’infiltrer dans les milieux de la pop culture et du divertissement. Décryptage du meilleur plan à trois de l’année.
En septembre dernier, à la surprise générale, Kanye West a été engagé comme directeur artistique des Pornhub Awards, première cérémonie du genre à récompenser le contenu publié sur la plateforme porno. La rencontre paraît incongrue et pourtant entre le rappeur et le site, c’est une histoire de cul d’amour qui dure depuis un petit moment. Invité sur le plateau du talk-show de Jimmy Kimmel en août dernier, le rappeur reconnaissait sans gêne que sa vie de famille ne l’empêchait pas de continuer à s’offrir des petits plaisirs solo en se connectant au premier site porno du monde…
Dès le lendemain de la diffusion de l’interview, cette fidélité sans faille de plusieurs années a été récompensée par la plateforme elle-même, qui a offert à Yeezy un abonnement premium à vie (boîtes de mouchoirs en papier non fournies). De quoi le convaincre d’accepter le job de directeur artistique des Pornhub Awards quelques semaines plus tard. Pour l’occasion, Kanye West y a présenté en avant-première une collection de sweat-shirts reprenant les catégories de prix de la cérémonie (« Nicest tits », « Hottest Female Ass »…) ainsi que son clip « I love it » dans lequel il narre son amour du sexe et du porno : « I’m a sick fuck, I like a quick fuck » ( « Je suis un putain de taré, j’aime la baise rapide »), répète-t-il à tue-tête dans le refrain. Une preuve suffisante, s’il en fallait encore une, que le porno est enfin sorti de sous le manteau et qu’il a bien investi les têtes de gondole du supermarché de la pop.
Photo : Kanye West lors des Pornhub Awards en septembre 2018.
GAVAGE AU POP PORN
La frontière entre porno et entertainment a toujours été poreuse. En témoigne le documentaire Pop Porn, réalisé par les journalistes Vincent Coquebert et Olivier Lemaire puis diffusé en 2016 sur Canal +, qui démontrait que l’imagerie pornographique, de la télé à la littérature en passant par la pub, la mode ou la musique, s’était diluée voire banalisée dans la pop culture. Sauf qu’aujourd’hui ce paradigme du cul s’est presque inversé. Désormais, ce n’est plus uniquement les acteurs de la pop comme Kanye West, Nicki Minaj ou Beyoncé ou des marques de mode qui vont piocher dans l’imagerie porno, mais bien l’industrie du porno qui fait appel à eux pour produire un nouveau type de contenus.
Après avoir produit et diffusé le clip « Loner » du rappeur Mykki Blanco fin 2016, Pornhub va encore un peu plus loin. Le site vient par exemple de proposer à la chanteuse Brooke Candy, qui a sorti fin août le clip de son single « My Sex » faisant l’apologie du coït, de réaliser son premier film porno queer alternatif intitulé « I Love You ». Quant à XHamster, concurrent direct de Pornhub, il proposait il y a un an de produire la saison 3 de la série Sense8, alors annulée par Netflix. Bref, la liste des projets pop initiés par l’industrie porno s’allonge de mois en mois et pourrait bien exciter un peu plus les pourfendeurs d’une société ultra-pornifiée.
Photo : « I Love You » réalisé par la chanteuse Brooke Candy.
Depuis, la plateforme de streaming américaine à qui on doit House of Cards et Stranger Things a elle aussi ouvert ses portes au porno en produisant Cam : un film d’horreur se déroulant dans l’univers du webcam-porn. Pour l’occasion, Netflix a d’ailleurs fait appel à l’ancienne actrice porno et camgirl Isa Mazzei pour écrire le scénario. De quoi alimenter les critiques de celles et ceux qui voient cette diffusion subtile du porno d’un mauvais oeil. Dans une récente interview au journal britannique The Guardian, le réalisateur chilien Sebastian Lélio, oscarisé en 2017 pour son film Une femme fantastique, déclarait que « le porno est partout et son omniprésence nous rend insensibles – l’érotisme a été transformé et endommagé ».
« Cette “pop-culturisation” du sexe est l’évolution naturelle d’une industrie du X qui cherche à se démocratiser et à paraître plus cool aux yeux du public. Car plus c’est cool, plus on y adhère facilement »
Certains acteurs du milieu y voient pourtant des conséquences positives. « Cette “pop-culturisation” du sexe est l’évolution naturelle d’une industrie du X qui cherche à se démocratiser et à paraître plus cool aux yeux du public. Car plus c’est cool, plus on y adhère facilement, nous explique Stéphane Rose, journaliste et directeur de collections au sein de la maison d’édition érotique La Musardine. De plus, à l’heure de #metoo et de la libération de la parole féministe, le porno se doit de changer d’image et de se montrer plus engagé ».
Photo : le film d’horreur Cam produit par Netflix.
PORN D’ABONDANCE
En fricotant ainsi avec la pop culture et l’entertainment, le porno se tourne enfin vers de nouvelles valeurs. Celles d’une industrie moins machiste et sexiste, plus ouverte et plus respectueuse des attentes des consommatrices et consommateurs. Voilà pourquoi la plateforme Pornhub (encore elle) se plaît à jouer les marques de mode. En sortant sa deuxième collection capsule avec la marque de vêtement Richardson, le site porno a déclaré vouloir promouvoir une « une culture de la liberté et de la sexualité plus inclusive », à travers une série de 13 pièces en édition limitée (claquettes, casquettes, bombers, hoodies estampillés du logo du site).
« En sortant sa deuxième collection capsule avec la marque de vêtements Richardson, Pornhub a déclaré vouloir promouvoir une “une culture de la liberté et de la sexualité plus inclusive” »
Cette idée d’un porno plus pop en lien avec les enjeux de société actuels, on le retrouve aussi dans Visionaries Director’s Club : un tout récent projet de Pornhub ayant pour vocation de « diversifier la production porno », et dont «The Gift », le premier épisode (un porno lesbien alternatif) a été réalisé par la jeune rappeuse Young M.A. L’idée ? Offrir à une jeune génération de plus en plus adepte de ce type de contenus la possibilité de prendre le relai, à l’image d’Erika Lust, réalisatrice suédoise de porno féministe qui vient de lancer son appli XConfessions, axé sur le modèle du swipe de Tinder, permettant aux utilisateurs de parler de fétichismes porno et de fantasmes.
Photo : la collection capsule de Pornhub X Richardson.
Une façon pour l’industrie du porno de briser les tabous qui lui sont liés, surtout quand elle subit encore injustement la censure (inefficace) de la part d’institutions dont les mœurs et les idées liées au sexe se rapprochent de celles d’une église mormone du 18e siècle perdu au milieu de l’Utah. Tumblr, l’un des seuls réseaux sociaux à encore accepter la pornographie, vient d’annoncer pour le 17 décembre prochain l’interdiction définitive de toute publication à caractère sexuel. Tout ça alors que les contenus haineux (racisme, homophobie, sexisme) continuent de fleurir sur la toile…
Heureusement le porno, qui a toujours une corde à son arc, préfère en rire. Et c’est peut-être pour cette raison que le label porno Brazzers a récemment lancé son « Comedy spit roast », soit des vidéos de stand-up porn dans lesquelles les vedettes du X come Missy Martinez ou Bonnie Rotten s’essayent au métier d’humoriste graveleuse et potache. Et non, ce n’est pas une mauvaise blague (de cul).
Photo : l’actrice de films X Missy Martinez reconvertie en comédienne de stand-up.