C’est seulement récemment que Rick Owens a compris l’origine de l’un de ses gestes les plus iconiques. Après des années à enrouler ses bottes dans un entrelacs de lacets formant un pentagramme — une signature devenue emblématique de ses défilés — le créateur vient de réaliser que cette idée n’était pas née du néant. « Je pensais l’avoir inventé, » confie-t-il, « mais j’ai découvert que mon méga-laçage était en réalité un souvenir de la botte portée par Joseph Beuys dans sa performance de 1965 How To Explain Pictures To A Dead Hare. » Une révélation survenue juste avant le lancement de sa nouvelle collaboration avec Dr. Martens, comme si les esprits s’étaient alignés.
L’épiphanie du laçage.
Depuis ses débuts, Owens travaille le cuir comme une matière vivante, un prolongement du corps. Ses wrapping boots, reconnaissables à leurs lacets infinis, sculptent la jambe comme un totem. Le pentagramme qu’elles dessinent n’a jamais été purement décoratif : c’est une architecture de tensions, une écriture du chaos. Mais cette architecture, Owens la portait en lui sans le savoir. En redécouvrant l’œuvre de Beuys, il la reconnecte à une mémoire collective : celle de l’art performatif européen des années 1960, où le vêtement était autant un outil de métamorphose qu’un manifeste politique.
Joseph Beuys, l’ancêtre spirituel.
Beuys, figure majeure de l’art conceptuel allemand, est resté célèbre pour ses actions radicales : vivre une semaine, enfermé avec un coyote dans une galerie, brancher une ampoule sur un citron, ou expliquer des images à un lièvre mort, en 1965. Sur les clichés de cette dernière performance, l’artiste porte une paire de bottes massives, liées d’un enchevêtrement de lanières — étrangement proches des créations de Rick Owens. Chez l’un comme chez l’autre, la botte n’est pas qu’un accessoire : c’est un instrument rituel, une armure qui donne corps à la pensée. Owens ne copie pas Beuys, il le prolonge, et sans le savoir, il en est l’héritier.
Dr.Martens l’objet brut devenu fétiche.
C’est dans ce moment de révélation que naît la nouvelle collaboration entre Rick Owens et Dr. Martens. Une rencontre entre deux icônes : la chaussure ouvrière et l’architecte du sublime gothique. Owens reprend ainsi le modèle « 1460 Bex » et y appose son rituel : les lacets deviennent pentagrammes, la rigueur devient mysticisme. Ce n’est plus une boot, mais un symbole — celui de la fusion entre l’énergie prolétaire et la dévotion artistique.
Le rituel continue.
Dans l’histoire des défilés Rick Owens, les lacets dessinant des pentagrammes apparaissent comme des invocations : des gestes qui se répètent, se transforment, mais gardent leur pouvoir d’attraction. Rick Owens n’a peut-être pas « inventé » son méga-laçage, mais en le rejouant, il a réveillé un souvenir enfoui dans la matière — et prouvé que, dans la mode comme dans l’art, la mémoire collective est parfois le plus beau des accidents.