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« À mon âge, on ne perd pas la tête avec le succès » : rencontre avec Philippine Leroy-Beaulieu, actrice phare de « Emily in Paris »

À 61 ans, Philippine Leroy-Beaulieu connaît un sommet de carrière sur le tard grâce au rôle de Sylvie Grateau dans la série Emily in Paris de Darren Star, diffusée depuis 2020 sur Netflix. Un personnage de parisienne snob et un peu hautaine, avec lequel l’actrice partage peu de points communs, si ce n’est une indépendance à toute épreuve et une soif de liberté qui l’a guidée tout au long de son parcours d’actrice, débuté dans les années 1980. Jouissant aujourd’hui d’une reconnaissance à l’international, Philippine Leroy-Beaulieu est par ailleurs devenue une icône, à l’instar de Sylvie, multipliant les apparitions remarquées sur les tapis rouges. Antidote l’a rencontrée en marge de la promo de la quatrième saison.

Élevée par un père acteur très connu en Italie et une mère styliste chez Dior à l’époque où la maison était encore dirigée par le couturier Marc Bohan, Philippine Leroy-Beaulieu a débuté sa carrière dans les années 1980 avec le film Surprise Party de Roger Vadim, suivi par plusieurs succès publics, dont le plus célèbre est sans doute Trois Hommes et un couffin (1985). Dans l’ombre pendant plusieurs années, elle est parvenue au milieu des années 2010 à faire ce que peu d’actrices peuvent se targuer d’avoir accompli��: revenir sur le devant de la scène, à cinquante ans passés. Ce retour en grâce, Philippine Leroy-Beaulieu le doit à son apparition dans la série Dix pour cent, succès planétaire dans lequel elle incarne Catherine Barneville, l’épouse d’un agent impitoyable campé par Thibault de Montalembert, aux allures de bourgeoise parisienne oisive. Grâce à ce rôle, elle décroche en 2019 celui de sa vie, dans Emily in Paris, la dernière création de Darren Star, ponte d’Hollywood à qui l’on doit Beverly Hills 90210, Melrose Place et Sex and the City. Pour le monde entier, Philippine Leroy-Beaulieu devient alors le visage de Sylvie Grateau, une nouvelle figure parisienne tout sauf inactive ; libre et déterminée, elle dirige l’agence de marketing qu’elle a fondée, où travaille notamment la jeune Emily, une Américaine ingénue interprétée par Lily Collins. Patronne drôle et attachante, se révélant de plus en plus vulnérable au fil des saisons, Sylvie Grateau est devenue l’un des personnages préférés des adeptes d’Emily in Paris, qui sont nombreux·ses aujourd’hui à réclamer un spin-off centré sur ce personnage, dont le statut d’icône de mode et l’aura ont fini par déteindre sur son interprète, adepte du method dressing (une démarche qui consiste à s’habiller dans le style de son personnage le temps de la promo d’un film ou d’une série). C’est d’ailleurs en pleine tournée médiatique de la quatrième saison, sortie en deux parties l’été dernier, que nous avons pu échanger avec Philippine Leroy-Beaulieu, pour aborder via Zoom, entre Paris et New York, l’évolution du personnage de Sylvie Grateau, son rapport à la mode ou encore ses choix de carrière les plus déterminants.
Manteau en fausse fourrure, top à col montant et bottes, Balenciaga. 
Henri Delebarre : Bonjour Philippine ! Ça va ? Pas trop jet-laguée ?
Philippine Leroy-Beaulieu : Un peu… Mais tout va bien !
Vous êtes à New York pour la promo de la quatrième saison d’Emily in Paris, après un passage à Rome la semaine dernière où une partie des épisodes a été réalisée. J’imagine que vous deviez être heureuse de tourner dans la ville où vous avez grandi jusqu’à vos 11 ans…
Oui ! Les lieux d’enfance ça reste imprégné d’une manière très forte. Et puis je n’ai jamais cessé d’aller à Rome, puisque mon père [l’acteur Philippe Leroy, NDLR] y vivait et que j’ai des frères et sœurs en Italie. C’était très beau de pouvoir tourner là-bas. Je me sens à la maison quand je suis à Rome. C’est vraiment une partie de moi qui a été un peu enfouie quand je suis arrivée à Paris, parce qu’il fallait s’adapter aux Parisiens, mais quand je reviens à Rome, je retrouve ma romanité, une sorte de détente. Les Romains me font rire, ce sont des amours, j’aime leur sens de l’humour. Les goûts, les odeurs, les bruits de Rome font partie de mon ADN.
Vous vous sentez plus Romaine que Parisienne ?
Aujourd’hui je me sens aussi Parisienne, mais c’est venu plus tard.
Vous avez souvent dit que vous vous étiez sentie déracinée à votre arrivée à Paris. Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui avec cette ville, qui est le personnage principal d’Emily in Paris finalement…
J’aime énormément Paris. La plupart de mes amis y sont. J’ai plein de petites habitudes que j’adore, j’ai mon scooter… C’est quand même une ville merveilleuse. Mais c’est vrai que Rome me manque toujours. Paris est un peu étouffant parfois. Les Parisiens trouvent que je suis assez italienne dans ma manière de m’exprimer, dans mon côté un peu extraverti. Au fond, je suis quelqu’un d’assez solitaire, mais j’ai un côté très extraverti qui ressemble à Rome.
Dans la série, il y a un passage qui dit que les Français·e·s sont des Italien·ne·s de mauvaise humeur…
Les Français peut-être, mais les Parisiens je ne suis pas sûre… [rires].
Top à col montant, ceinture avec boucle métalique et sac Di Bag Folio, Tod!s.
Vous avez été élevée par un père acteur, à la grande époque de la Cinecittà, et par une mère travaillant chez Dior.
La mode et le cinéma ont été vos deux écoles ?
J’ai vécu à côté de personnes qui avaient des passions, donc je les ai observées vivre leur passion, forcément. Maintenant, en ce qui concerne la mode par exemple, ma mère baignait tellement dedans quand j’étais ado que je n’en pouvais plus, ça me gonflait en fait ! Mais elle m’a donné un œil, une curiosité aussi à travers les voyages qu’elle faisait, le fait de découvrir d’autres cultures… Donc c’est vrai que c’est une grande chance, elle m’a appris à avoir beaucoup d’ouverture et d’émerveillement sur le monde. Et puis mon père, je le voyais aussi vivre ses passions. C’était quelqu’un de très physique, qui aimait les challenges. C’est vachement inspirant de voir le courage de quelqu’un, les défis qu’il s’impose, comment il s’immerge dans ses personnages…
Il vous a donné des conseils lors de vos débuts en tant qu’actrice ?
Non. Et je pense que ça se passe rarement comme ça en fait ! On absorbe les choses. En général, de ce que je sais, la plupart des enfants d’acteurs ont eu des parents qui leur ont dit : « T’es vraiment sûr que t’as envie de faire ça ? Parce que c’est quand même un métier compliqué ! ». Donc la première chose qu’on vous fait sentir, c’est que si tu t’engages là-dedans, il va falloir que tu sois costaud ! Et puis mon père vivait loin. J’ai toujours essayé d’absorber les choses en regardant et en écoutant. Et j’ai essayé de faire pareil avec ma fille. Je pense qu’on transmet par l’exemple, pas tellement par les mots.
En parlant de relation mère-fille, dans la saison 4, votre personnage devient mère par procuration. On découvre son côté maternel avec Geneviève, la fille de son mari, interprétée par Thalia Besson.
Effectivement, Geneviève c’est la fille que Sylvie n’aurait jamais voulu avoir, mais qui lui tombe un peu dessus…
Quelle genre de mère êtes-vous de votre côté ? Quelle relation entretenez-vous avec votre fille, Taïs ?
On est super proches. J’étais vraiment une maman poule, tout en sachant aussi lui permettre de couper le cordon au moment où il le fallait [rires]. On a une relation sublime, elle est très indépendante. Elle me fascine, c’est un grand cadeau de la vie, je suis très gâtée.
Robe longue plissée, Balmain. Collier, bague et bracelet haute joaillerie Serpenti, Bvlgari. 
J’ai l’impression que Sylvie développe aussi un côté un peu maternel avec Emily. Ce n’est plus simplement son ennemie comme au tout début de la série, elle devient de plus en plus son mentor, pour aller jusqu’à lui confier les rênes de la nouvelle agence Sylvie Grateau qu’elle décide d’ouvrir à Rome…
Oui, parce qu’elle voit qu’Emily est en train d’évoluer, qu’elle a compris des choses sur l’Europe en général, et sur Paris en particulier, qu’elle n’a plus cette arrogance de petite américaine comme dans la saison 1. Il y a un rapport de confiance qui s’est mis en place, mais qui n’empêche pas le fait qu’il y a encore pas mal de frictions ! Parce que le jour où il n’y aura plus de frictions, il n’y aura plus de série ! C’est marrant parce que la France et les États-Unis sont à la fois très proches et très différents. C’est ce que Darren traite. Il y a effectivement une confiance entre Emily et Sylvie maintenant. Mais connaissant Darren, il risque de faire exploser cette confiance parce que c’est ce qu’il adore faire. Dès qu’on est sur des rails, tout à coup, il fait sauter le chemin de fer.

« C’est un métier où on adore filmer des jeunes femmes, et ça donne aux hommes des idées qui dépassent largement le cadre du travail. »

Liliane Rovère, qui était comme vous au casting de Dix pour cent, joue désormais la mère de votre personnage dans Emily in Paris. C’est vous qui avez soufflé son nom à Darren Star ?
Non, moi je n’ai rien dit. C’est la casting director qui a présenté Liliane. Évidemment, il y a un petit clin d’œil à Dix pour cent, mais c’est surtout parce que Darren la trouvait formidable… Liliane a une présence tellement rock’n’roll, c’est génial pour un rôle de mère un peu indigne. Les seules fois où je souffle des choses à Darren, c’est quand par exemple il y a une réplique où je me dis qu’on pourrait la tourner différemment. Ou quand on cherche un sens de l’humour. Parce que les gens qui écrivent avec Darren sont tous Américains, donc parfois on cherche un ton plus français. C’est des petites choses comme ça et il les prend si ça lui plaît, mais c’est un mec très indépendant quand il écrit. Il s’inspire et observe beaucoup, mais il est très secret. On ne sait jamais rien à l’avance. Tout le monde nous pose des questions sur la saison 5 mais on ne sait rien ! Quand on reçoit les premiers scénarios, on n’a pas encore les derniers, donc on ne sait pas du tout où notre personnage va aller. Et c’est bien comme ça.
Ça vous stimule d’être tenue en haleine ?
Mais ouais ! Et puis ce sont de belles surprises, parce que pour mon personnage, il y a des retournements, on apprend des trucs sur son passé, parce que j’ai l’âge qui permet de faire ça [rires] ! On peut vraiment inventer un passé à Sylvie. C’est super tout à coup d’apprendre par exemple qu’elle a fait une école de cinéma à Rome pendant un moment parce que la mise en scène l’intéressait… Ça enrichit le personnage. C’est la beauté des séries, d’offrir le temps de développer des choses en profondeur.
Trench en cuir, mocassins à franges et sac Di Bag Folio, Tod!s. 
Vous avez dit que vous vous étiez inspirée de certaines femmes pour ce rôle, comme Bette Davis, votre mère ou les femmes de son entourage. Qu’est-ce que vous puisez en elles ?
Oui, ce sont toutes des femmes très très fortes, qui ont de grosses armures, parce qu’elles sont aussi très vulnérables. Ce sont ces femmes, quand ma mère travaillait chez Dior, qui étaient en train de prendre une place dans la société à l’époque, et qui devaient se battre pour avoir des postes de pouvoir, l’égalité des salaires, etc. Elles adoptaient une attitude assez batailleuse, assez masculine, tout en ayant une allure très féminine. C’est toujours une histoire de bataille entre la testostérone et les œstrogènes de toute façon [rires] ! Ces femmes-là sont vraiment intéressantes parce qu’elles sont tout le temps sur le fil. Quand j’étais ado et que je les côtoyais, je voyais avant tout leur fragilité, même si elles adoptaient des attitudes très rentre-dedans. Bette Davis correspond tout à fait à ce genre de femmes. J’aime beaucoup ça, la faille qu’on voit derrière une armure.
Sylvie est l’incarnation du stéréotype de la Parisienne snob, hautaine et froide. Est-ce qu’elle vous ressemble ?Mais alors pas du tout [rires]. Je ne suis pas du tout snob comme elle ! J’ai un truc de sa force, de son indépendance en revanche. Je me suis toujours démerdée toute seule, c’est peut-être le point commun que j’ai avec elle. Moi, dans la vie, je suis en baskets, en jean et en T-shirt et j’aime aller à la campagne. Dès que je ne suis pas en train de travailler, je suis à la campagne, je regarde très peu mon téléphone. Mais c’est vachement intéressant de jouer un personnage très corseté comme elle.
Manteau long en toile, Prada. Chaussures à plumes, Ferragamo. 
Vous n’avez pas peur que ce rôle vous colle à la peau ?
Vous savez, on a toujours peur que les rôles nous collent à la peau ! Pas forcément dans l’œil du public, mais parce que nous, en tant qu’acteurs, on est affectés par ces rôles. Mais là je viens de tourner un film au Brésil [100 Days de Carlos Saldanha, réalisateur des films d’animation L’Âge de Glace et Rio], dans lequel je joue une maman très douce donc… L’important c’est de faire des choix qui nous entraînent ailleurs. C’est vrai que le rôle de Sylvie a beaucoup de résonance parce que la série a beaucoup de succès, mais je n’ai pas peur moi dans la vie vous savez… Je fais ce que je veux en fait [rires], je suis libre, je n’ai pas peur qu’on m’enferme.
Vous avez souvent dit en interview que vous ne compreniez pas pourquoi les gens, en particulier les jeunes, étaient obsédé·e·s par Sylvie. Est-ce que vous avez résolu cette énigme après avoir passé quatre saisons à l’incarner ?
C’est compliqué pour moi de comprendre pourquoi le regard des autres se pose sur elle de cette manière, mais j’ai l’impression que ce qui plaît c’est sa détente, dans le sens où elle n’en a rien à faire, elle vit sa vie, elle a une certaine liberté, un certain courage. Peut-être sa vulnérabilité aussi. Mais comme l’engouement pour Sylvie est arrivé dès la saison 1, je pense que c’est aussi son côté très tough qui plaît.
Vous avez raconté que les hommes ne vous draguaient pas, malgré la popularité apportée par le rôle de Sylvie, et que vous pensiez qu’ils avaient peut-être peur de vous [rires]…
C’est ce que je crois mais je n’en sais rien… C’est peut-être moi qui suis tellement obsédée par le boulot en ce moment que je ne laisse pas beaucoup de place à autre chose. Mais c’est surtout en France, parce que quand je suis à l’étranger, je me fais beaucoup plus draguer. Ce sont les Français qui me rejettent [rires].
Tenue, Miu Miu. Pendants d!oreilles Bleu In »ni, bague Illusion et bracelet Serpent Bohème, Boucheron. Chaussures, Balmain.
Comme elle, vous n’avait pas peur d’oser des looks sexy. On a beaucoup parlé de votre apparition au défilé Ami dans une robe transparente laissant entrevoir vos seins. Sur le shooting pour Antidote, vous sembliez complètement libre, comme Sylvie, qui refuse les injonctions que la société impose aux femmes de plus de 50 ans, au sens où elle n’a pas d’enfant, elle est mariée mais entretient une relation libre… D’où tenez-vous cette liberté ?
Alors déjà, moi je ne pourrais jamais être dans un couple ouvert, je ne sais pas du tout comment on fait [rires] ! En fait aujourd’hui, j’ai compris que contrairement à Sylvie, je n’ai plus trop d’armure. Parce que j’ai trouvé quelque chose de beaucoup plus solide à l’intérieur de moi. Je sais qui je suis. Je n’ai plus tellement besoin de mettre un truc dur à l’extérieur pour me protéger. En ce qui concerne le regard des autres, vraiment je m’en fiche. Peut-être parce que j’ai grandi en Italie, et que quand je suis arrivée à Paris, j’ai souffert d’être appelée « l’Italienne », d’être mal aimée par les Français au départ, quand j’étais petite… Ça a été tellement douloureux un moment, qu’aujourd’hui j’en ai plus rien à faire.

« À mon âge, on ne perd pas la tête avec le succès. »

Comme Sylvie, vous êtes devenue une icône de mode.
Vous en avez conscience ?
On n’arrête pas de me le dire, donc je finis par l’entendre [rires] ! Mais moi je ne me sens pas comme ça… En fait, moi ce que je trouve drôle, comme avec les photos qu’on a faites ensemble, c’est que quand on met un vêtement, on crée un personnage…
C’est un peu de l’acting en fait…
Voilà ! On se dit : « Qui je suis là ? », et ça c’est vraiment amusant. C’est pour ça que je suis tout le temps en jean et T-shirt, parce que j’ai envie d’être moi-même, mais quand je m’habille, c’est tout à coup pour m’amuser à changer quelque chose en moi. C’est en ça que je trouve que le vêtement est amusant, plus que « la mode ». Je n’ai jamais aimé l’idée d’être à la mode, j’aime l’idée qu’un beau vêtement ça change votre état d’esprit. Et je joue avec ça depuis que je joue dans Emily.
Veste et short à sequins, ceinture et escarpins avec chaînes en cristaux, Gucci. Boucles d’oreilles Divas’ Dream et bague Haute Joaillerie, Bvlgari. 
Les looks composés pour Sylvie par Marilyn Fitoussi, la costumière de la série, vous aident d’ailleurs à entrer dans l’état d’esprit du personnage. Le fait d’être étriquée, de porter des talons hauts… Est-ce que vous avez utilisé le vêtement pour retranscrire l’évolution du personnage au fil des saisons, qui devient plus nuancé ?
Ouais, évidemment. C’est pour ça que quand on parle de mode dans Emily in Paris, moi je dis toujours que c’est avant tout des costumes. Comme la lumière, le décor, la musique, les costumes contribuent à créer une atmosphère. On a commencé avec des silhouettes beaucoup plus sombres. Puis la manière de s’habiller d’Emily a commencé à déteindre un peu sur Sylvie, qui a commencé à porter un peu plus de couleurs. Là, quand on arrive à Rome, Sylvie porte des vêtements très différents, parce qu’il y a une douceur à Rome, parce que Sylvie y retrouve tout un passé, lors duquel elle ne s’habillait pas comme elle s’habille à Paris. Tout à coup, elle retrouve une sensualité différente, quelque chose de beaucoup plus tendre.
Je vois… Je voulais aussi parler avec vous de votre rapport à la mode, car vous avez défilé pour Weinsanto. Est-ce que vous aimeriez renouveler cette expérience ?
Non, pas forcément… Si quelqu’un me le demande et que c’est vraiment amusant, je le ferai. Mais là c’était vraiment parce que Victor [Weinsanto, le fondateur du label du même nom, NDLR] a été très proche de nous lors de la saison 2. C’est un amour et la robe qu’il a créé me faisait tellement rire. Mais c’était une histoire d’amitié, donc si une autre occasion comme ça se présente je le ferai, mais dans l’absolu, je suis actrice, je ne suis pas mannequin. Il ne faut pas tout confondre. On est avant tout une espèce d’instrument sur lequel on peut jouer plusieurs morceaux. J’ai un rapport au vêtement très ludique, il faut que ça le reste.
Lunettes CA UNICA/SE, Carrera.
Dans la dernière saison, Sylvie dénonce via une interview dans Le Monde les agissements d’un homme d’affaires puissant. Est-ce que vous avez déjà été confrontée à ce genre de comportements dans votre milieu professionnel ?
Les abus de pouvoir, ça existe partout… Dans tous les milieux, et pas qu’entre les hommes et les femmes… On les vit tous. Là, c’est spécifiquement quelque chose de sexuel, mais ça pourrait aussi être juste du harassement, de l’abus au travail… Pour moi, le thème central, c’est l’abus de pouvoir.
Mais il y a un écho à #MeToo quand même…
Effectivement oui, là on parle des femmes et de l’abus sexuel… Bien sûr, il y a des gens qui essayent. Mais moi, concernant ce que j’ai rencontré quand j’étais jeune actrice, parce que j’ai grandi avec un père acteur et que je connaissais ce milieu, j’avais des lumières rouges qui s’allumaient très très vite. J’ai toujours su subodorer le danger rapidement. Donc je ne me suis jamais retrouvée dans des situations compliquées, je m’écartais du chemin. Aussi, parce que j’ai grandi en Italie, où les hommes peuvent être assez insistants, j’ai appris à envoyer péter les gens. Donc grâce à mon éducation, via l’Italie, et à mon père, j’avais les armes pour me défendre. Mais bien sûr, on rencontre ça en permanence. Les femmes vivent ça tout le temps, pas que les actrices. Après, on ne peut pas être offensée parce qu’un homme nous fait un compliment. Ça, ça m’agace, parce qu’il y a de vraies victimes de choses graves. Si un homme vous fait un compliment et que ça vous gêne, envoyez le chier ! Il faut se défendre.
Vous avez commencé votre carrière dans les années 1980, une autre époque pour les actrices…
Ah oui… On recevait toujours des scènes de cul pas justifiées. Ou des demandes du type : « Est-ce que tu peux enlever le T-shirt ? ». Moi j’avais la chance d’avoir la liberté de dire : « Bah non.  ». Parce que j’étais armée. Mais quelqu’un de plus fragile, impressionnable, ou qui ne connaît pas le milieu se retrouve forcément à un moment devant la problématique du : « Merde, je ne vais pas avoir le rôle si je ne fais pas ça ». Et c’est terrible, c’est d’une cruauté affreuse.
Récemment, je suis tombé par hasard, en scrollant sur Instagram, sur une interview de Frédérique Bel qui raconte qu’elle a déjà entendu des producteurs ou des réalisateurs dire qu’ils ne voulaient pas faire appel à elle parce qu’ils savaient qu’elle était récalcitrante…
Bah oui… Bien sûr… C’est comme ça… Il y a une pièce d’Ariane Mnouchkine qui dit : « Aphrodite est la déesse du cinéma ». C’est un métier où on adore filmer des jeunes femmes, et ça donne aux hommes des idées qui dépassent largement le cadre du travail. Donc il faut faire très attention à ça, effectivement. Moi, il y a plein de rôles que j’ai raté parce qu’ils savaient très bien que j’étais très récalcitrante. Mais je m’en fous.
Veste à franges, Mugler. Lunettes CA UNICA/SE, Carrera.
Avant votre retour avec Dix pour cent, on vous a d’ailleurs un peu perdue de vue pendant une dizaine d’année,
du milieu des années 2000 au milieu des années 2010 environ. Pourquoi ? C’était une mise en retrait volontaire ? 
En fait, il y a des choix à un moment dans ma vie que j’ai fait – quand ma fille est née, notamment – parce que j’avais envie d’être une maman et pas qu’une actrice. J’avais envie d’être proche d’elle, donc j’ai fait des choix qui m’ont effectivement un peu éloignée du cinéma. C’est la même chose quand j’ai décidé à un moment de ma vie de partir au Brésil pendant six mois. Je me suis dit : « Tant pis si le cinéma m’oublie, j’ai envie de vivre ça ». Il y a des choix que j’ai fait aussi par rapport à ce dont on vient de parler. Mais j’ai tourné ça à mon avantage, en faisant des expériences de vie, j’ai beaucoup voyagé. Je me suis nourrie de la vie en dehors du cinéma, en fait. Donc forcément, les propositions étaient beaucoup moins intéressantes, c’est normal. À un moment, je me suis demandée si j’allais continuer. Puis il y a eu Dix pour cent, cette superbe série à laquelle j’ai eu la chance de participer et qui a été un énorme succès public, en France, aux États-Unis, partout… Ça m’a remis un peu en lumière, les gens se sont souvenus que j’existais et grâce à ça il y a eu le casting d’Emily… Le succès d’Emily, maintenant, est une chance, parce qu’à mon âge, on ne perd pas la tête avec le succès. Je suis contente de vivre ça aujourd’hui, parce que j’ai une certaine détente par rapport à ça, j’ai plus de lucidité qu’avant.
J’imagine que le rôle de Sylvie vous a ouvert des portes… Vous avez des projets de prévus ?
C’est en cours… Plus à l’international qu’en France. Mais oui, il y a des choses en cours.

« On raconte un truc sur cette société de consommation, sur comment les êtres humains essaient de trouver un sens à leur quotidien, sans perdre le romantisme de la vie et de l’amour. »

Il y a des rôles en particulier dont vous avez envie ? Peut-être à l’opposé de Sylvie, justement ?
Oui, mais on verra ce que la vie m’amène.
Qu’aimeriez-vous qu’il arrive à votre personnage pour la saison prochaine ?
C’est la question que tout le monde nous pose et à chaque fois on est là : « Vous savez quoi, Darren sait mieux que nous ! ». Parce que nous, les acteurs, on peut lui dire : « J’aimerais qu’il se passe ceci ou cela  », et en fait, c’est tout petit à côté de ce que Darren peut imaginer [rires]. Donc en fait, on préfère ne rien demander à l’univers de manifester comme on dit, et laisser Darren faire sa cuisine, car il est beaucoup plus surprenant que nous [rires].
Le dernier épisode de la saison 4 s’achève sur l’emménagement d’Emily à Rome. Est-ce que Emily in Paris va laisser place à Emily in Roma ?
Non. On en parlait encore avec Darren ce matin, on ne perdra jamais Paris. Darren adore Paris. Ce qui l’intéresse, c’est aussi le clash culturel entre les Français et les Italiens. Après les Français versus les Américains, il y a ce clash culturel là qui va se mettre en place.
Hier, Les Inrocks ont publié un article intitulé « À quoi sert encore Emily in Paris  ? »
J’ai pas vu… Mais j’imagine [rires].
J’aurais aimé savoir ce que vous répondriez à cette question [rires]…
Bah… Euh… À rien [rires] ! Juste à nous amuser quoi ! C’est du pur divertissement, hein…
Top en nappa, pantalon droit et ceintures, Tod!s. 
La série a été beaucoup critiquée pour ses clichés… Mais c’est devenu sa marque de fabrique, de jouer là-dessus…
Mais en plus, quand on arrive dans un nouveau pays pour la première fois, comme c’est le cas pour Emily dans la série, où on voit tout à travers ses yeux, on voit d’abord ce qui est cliché ! Les clichés ne sont pas là par hasard, ils s’assoient sur une vérité. Les Français sont grognons, les Italiens parlent fort, [elle adopte une voix nasillarde, NDLR] les Américains parlent comme ça… Mais au fur et à mesure des saisons, on s’attache à des choses plus profondes. Je pense que cette série sera perçue différemment avec le temps. À première vue, c’est une boîte de chocolat, qu’on mange avec beaucoup de plaisir, mais qui peut aussi faire mal au ventre. Moi, par exemple, je ne regardais pas Sex and the City quand c’est sorti. Je l’ai vue bien plus tard, et j’ai vu que ça racontait une époque d’une manière incroyable. Je pense qu’Emily in Paris aura le même destin. C’est surtout une série sur les rapports. Il y a quand même un fond de solitude dans la vie de toutes ces femmes. Elles sont toutes en train de chercher l’amour quelque part, c’est toujours la merde… Ce métier dans le marketing, les choses qu’on traite à travers les contrats que décroche l’agence de Sylvie… On raconte un truc sur cette société de consommation, sur comment les êtres humains essaient de trouver un sens à leur quotidien, sans perdre le romantisme de la vie et de l’amour dans une société qui est devenue assez cruelle et violente. Même si tout est pailleté dans l’esthétique de la série, il y a quand même un fond assez… Je pense qu’avec le temps, les gens réussiront à voir toutes ces strates, parce qu’en réalité il y a pas mal de sujets qui sont traités, et Darren en est conscient, tout comme nous les acteurs.
Le public, surtout en France je dirais, voit juste le bonbon. Mais derrière le bonbon, il y a d’autres choses. Quand la saison 1 est sortie, la presse française était très violente. Je me suis attelée à défendre la série, à demander aux gens d’avoir un peu d’humour, à faire comprendre que Darren était aussi en train de se moquer des Américains. Et je me suis fatiguée à faire ça et en fait, j’en ai pas envie. Ceux qui comprennent, comprennent. Ceux qui ne comprennent pas aujourd’hui comprendront peut-être plus tard, peut-être jamais, c’est pas très grave.
Chemise en sergé de laine, jupe en viscose imprimé et bottes, Bottega Veneta. Lunettes FLAGLAB 17, Carrera. 

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