c’était
pas mieux avant

Article publié le 1 novembre 2014

Quand le jour se confond à la nuit, qu’il n’y a plus de limite, la France devient le nouveau rêve américain.… Ou comment la pop et la mode vont sauver la fête, et la France. Une rencontre avec Olivier Rousteing.

C’est comme si la fête avait toujours appartenu aux autres. La vraie fête – celle qui brille, éclate, transcende. Les paillettes et les excès, tout ça. Adolescents des années 2000, le terme « soirée » ne nous a jamais vraiment appartenu. La fête, un truc dont nous avions été en quelque sorte exclus : d’autres, plus flamboyants, l’avaient faite avant, l’avaient faite mieux. Nos mères ont pris du LSD dans les années 1970, nos collègues de la coke au Palace dans les années 1980 et nos mecs des ecsta dans les raves des années 1990. C’était mieux avant. Nous, on a grandi dans un monde tout terne, en crise. Nos aînés se sont gavés pour nous. Il y a quelques mois, des clichés au flash des Bains Douches à la grande époque ont été exhumés pour faire le tour d’Internet. On n’avait plus qu’à rêver aux filles pleines de poitrine, de bijoux et de rouge à lèvres, de gris-gris plantés dans les cheveux. Celles que Thierry Mugler ou Jean-Paul Gaultier prenaient par la taille. Déguisées, fardées, outrancières : la princesse Gloria von Thurn avec un morceau de petit four coincé entre les dents, Grace Jones sourire écarlate et képi d’officier sur la tête, Victoire de Castellane moulée dans une robe lamée d’où pendouillent de drôles de bijoux cadres photo. Ces filles-là, elles, savaient honorer la nuit : elles s’habillaient pour elles, chaque soir, elles jouaient un rôle pour elles.

Mange ça, jeune des années 2000, sois nostalgique et tais-toi : toi, tu as grandi à l’ère de l’austérité et du minimalisme. D’ailleurs, il paraît que la fête est morte. Cachez-moi ces seins que je ne saurais voir, laissez vos formes être aspirées par de skinny skinny pants, ne vous maquillez pas trop et, surtout, n’ouvrez pas trop grand votre bouche. Pourtant, plus ou moins secrètement, on a rêvé au présent nous aussi, mais sur MTV, en regardant des clips. Ceux de mecs aux prénoms bizarres – Beyoncé, Ciara, Pharrell, Rihanna, Jay-Z, Missy Elliott, J-Lo – qui ne ressemblaient à rien de ce que l’on connaissait, et n’étaient en rien validés par notre société. Ils étaient « pop », donc populaires. Leur musique ne prétendait à rien sauf au rythme et leurs looks un peu vulgos ou « bling bling » (terme qu’il faudrait songer à renouveler) batifolaient toujours avec le mauvais goût. Mais ils avaient l’air de tellement plus s’amuser que les gardiens du bon goût qui nous assiégeaient. Reste qu’ils étaient loin, de l’autre côté de l’Atlantique. Jusqu’à ce qu’ils commencent à s’intéresser à nous, jeunesse poussée dans une vieille France snobinarde, portant sur ses épaules le poids d’une immense culture, qu’elle ne renie pas mais qu’elle crève de faire sienne.

Olivier Rousteing, 27 ans, est l’un de nos porte-drapeau les plus flamboyants. Il est depuis trois ans à la tête d’une prestigieuse marque de mode on ne peut plus française, Balmain. Et sur sa dernière campagne de pub, en tailleur noir et blanc pied-de-poule, la taille serrée par une large ceinture de chaînes qui scintillent, c’est Rihanna qui prend la pose. « Cette pièce, tu la mets sur une mannequin blonde lambda, ça ne veut plus rien dire. Sur elle, c’est ma vision de ce qu’est la France, c’est ma mode. » Il a 25 ans lorsqu’il prend les rennes de la marque. Du jamais vu ou presque dans un pays et un milieu où la hiérarchie est reine. Passé chez Cavalli avec Peter Dundas, « une des personnes les plus importantes pour moi, qui a su me faire confiance alors que je n’avais que 18 ans », il a ensuite assisté pendant longtemps Christophe Decarnin, le premier à avoir glamourisé à coup de minirobes brillantes et d’épaules au carré la maison de couture de Pierre Balmain. Aujourd’hui, si le nouvel empire du sexy à la française fascine autant dans le monde entier, c’est surtout grâce à Olivier. Car, là où son prédécesseur puisait l’érotisme de ses silhouettes dans un long râle rock flirtant avec la noirceur, lui est allé chercher du côté de ses premières amours : « La musique pop est aussi importante que l’air que je respire. » Alors que nous l’attendions dans le vestibule de son cossu studio du VIIIe arrondissement, pendant une dizaine de minutes, le dernier album de Kanye West, joué à fond – « la musique, plus elle est forte, mieux je crée » – faisait trembler les moulures.

Lorsqu’il nous reçoit dans son bureau, où des centaines d’images de ses créations shootées dans les magazines sont placardées au mur, comme dans une chambre d’adolescent, une grande tasse Starbucks, son iPhone et son Mac trônent devant lui. On savait – merci Instagram – qu’il rentrait du mariage de « Kim et Kanye » et on n’a pas pu réprimer une remarque sur son américanophilie : « La condition du rêve américain, c’est de ne pas avoir de passé. Tu pars de rien, donc tu peux tout faire. Moi je suis né dans un orphelinat, ne connaissant pas mes parents réellement, je n’ai aucune limite, je n’ai pas peur. En France, on est toujours en train de vivre sur notre passé. J’ai appris à ne plus écouter les critiques. Je n’ai pas à me cacher d’être fasciné par la culture américaine, ça ne fait pas de moi un mec moins français, au contraire », explique-t-il calmement. Car il a dû en essuyer des critiques et du mépris de ses pairs. Avec sa mode ultra-féminine et maximaliste qui ferait rougir un clip de R’n’B, portée (entre autres) par les courbes de Kim Kardashian, il a fallu assumer le premier degré : « La pop, c’est quelque chose que beaucoup de gens dénigrent. Pourtant je pense que c’est la nouvelle modernité. On a mis des bandeaux sur les seins des femmes, on a voulu en faire des brindilles, on les a cachées derrière des vêtements. On est en train de sortir d’une période sombre où on a nié tout ce qui était fun et désirable chez la femme. C’était chic pour les designers de pouvoir dire : ma femme est austère donc je suis cool. Mais oui, je fais partie de cette génération de designers qui croient en la femme. »

Croire en la femme, en sa bonne étoile et prendre Paris d’assaut. « Paris ne fait plus rêver. Quand Kanye West ou Kim Kardashian louent Versailles, ce n’est pas la France en tant que telle qui les fait rêver, c’est la France qu’ils peuvent s’approprier. Le rêve n’a d’intérêt que quand tu peux le faire tien. C’est vraiment ma vision pour Balmain. » Lorsqu’on lui dit que, nous aussi, derrière nos airs de journaliste austère, on meurt d’envie de les porter, ses robes de glamazones jusqu’au bout de la nuit, il plaisante : « C’est pas idéal, parce qu’elles pèsent une tonne et que tu peux pas non plus énormément bouger dedans ! » Mince, se dit-on, notre sujet tombe à l’eau. Mais il nous rassure vite : « Mes robes, je les construis pour faire rêver les femmes. Derrière chaque broderie, perle, tissu, il y a tout mon cœur et tous mes fantasmes. Elle sont là pour faire passer un message. Peu de femmes vont acheter la robe à 25 000, mais elles vont y penser, s’approprier la marque et le reste de la collection. » Là encore, la comparaison avec la pop musique revient : « C’est comme quand tu regardes un clip. Tu sais très bien que tu ne vas pas t’habiller comme Rihanna dans “Pour It Up”, tout en Chanel vintage, mais les filles vont s’en inspirer, aller chiner des trucs et, peut-être, un jour, s’acheter du Chanel. C’est ça la mode aujourd’hui, c’est comme une chanson au refrain entêtant. Tu as un rythme redondant dans la tête, tu ne sais pas d’où ça sort, mais t’as juste envie de l’entendre. C’est comme mes pièces, tu les vois sur Instagram, dans les magazines, tu n’as pas forcément envie de les porter pour aller chercher ton pain, mais elles t’évoquent quelque chose. » Le marketing de la pop appliqué à la mode : Olivier Rousteing a simplement parfaitement compris comment son époque fonctionnait et, sans cynisme, l’a prise à bras le corps. Il y a peu, Tom Ford déclarait que désormais, l’Instagram de Rihanna – avec son lot de vêtements et de marques qu’elle met en avant – vaut toute la presse imaginable. Bonne pioche pour Balmain donc.

Rihanna, Kim, Beyoncé… et les Françaises alors ? « Elles m’emmerdent les Françaises. Elles ont été tellement pourries gâtées par la mode que le truc cool, c’est de ne plus s’habiller. Et, quand tu es designer, à la longue, ça devient compliqué de t’inspirer de filles qui n’ont pas envie de se saper. » Quand on l’exhorte à sauver l’hexagone en mal de paillettes, il évoque ses copines américaines : « J’ai passé trois semaines à Los Angeles, j’ai été halluciné par l’inspiration des filles. Elles se teignent les cheveux en vert, elles dénichent des pièces pas possibles, se créent un look, l’instagramment, attendent le retour de leurs followers, comme si elles faisaient des micro-photoshoots toute la journée. Le soir, elles se mettent sur leur 31, la nuit peut commencer. T’as envie d’avoir ces filles autour de toi pour créer. » Quand on insiste sur le cas de la Française, il se fait un peu dur : « Je suis pas là pour lui redonner envie. C’est intéressant d’exciter les gens qui ont envie d’être excités. Les femmes françaises, c’est à elles de voir, c’est leur problème. » Alors, Olivier, toi qui te rêves en chanteur/danseur « Justin – Bieber, pas Timberlake, beaucoup plus cool ! », on te le dit, il y en a beaucoup des Françaises, aujourd’hui, qui rêvent de se saper comme Beyoncé.

« C’était pas mieux avant » un texte de Tess Lochanski paru dans « The Night Issue viewed by Miguel Reveriego »

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