Rappeuse, queen cyberpunk, icône pop : Rico Nasty incarne tellement de personnages dans ses clips que l’on en vient à ne plus savoir qui elle est réellement. Éléments de réponse à l’occasion de la sortie de sa nouvelle mixtape, Las Ruinas, qu’elle considère volontiers comme son « projet le plus intime ».
Il y a des rendez-vous avec le destin qu’il convient de ne pas manquer. Celui de Rico Nasty est acté en 2018, au moment où le titre « Smack A Bitch » devient un phénomène sur TikTok. Rapidement, celle qui s’était retirée de la musique suite à l’overdose de son petit ami est signée chez Atlantic Records. Les médias la comparent alors illico à Cardi B ou Doja Cat, et mettent en avant son excentricité, aussi bien sur le plan vestimentaire que musical. Mais avec ses clips délirants, ses références appuyées à la pop culture et son goût pour l’esthétique cyberpunk, Rico Nasty marchent davantage dans les pas d’artistes tels que Tyler, The Creator que dans ceux de ses contemporaines.
L’Américaine, qui avance sans concessions a par ailleurs réussi à se mettre dans la poche le grand public, et Las Ruinas, sa nouvelle mixtape sortie fin juillet, ne fait qu’affirmer sa toute-puissance. Celle d’une rappeuse qui a conscience de son charisme, qui dit enfin oser aborder des thèmes plus personnels et qui a surtout pour ambition de flirter constamment avec les codes de l’entertainment.
ANTIDOTE : Ta nouvelle mixtape se nomme Las Ruinas. Est-ce le signe que tu voulais te reconnecter à tes origines latines ?
RICO NASTY : À vrai dire, je n’ai pas pensé le projet de cette façon. Lorsque j’étais en tournée et que j’ai fini par atterrir à Mexico, il s’est passé quelque chose d’assez inexplicable. J’avais un bon feeling, je me sentais bien, en phase avec la culture hispanique. Je suis d’origine portoricaine, mais je n’étais jamais allée là-bas. Tout ce que je connaissais de Porto Rico, c’était via des photos que mes grands-parents me montraient. Lorsque j’y ai mis les pieds pour la première fois, j’ai été séduite par les valeurs des gens là-bas. Certes, les conditions de vie sont parfois plus difficiles que dans le Maryland, où j’ai grandi, mais c’est extrêmement riche sur le plan culturel. D’une certaine manière, j’ai sans doute voulu m’en rapprocher via ce projet.
Tu dis que ton voyage au Mexique a été déterminant dans la conception de cette mixtape…
Au départ, après ma tournée, je devais simplement rentrer chez moi et retourner travailler en studio. Et c’est devenu l’un des voyages les plus mémorables que j’ai pu entreprendre. J’avais envie de vivre, de profiter, je me disais que les journées n’avaient pas à se terminer sous prétexte que j’étais fatiguée. Je n’avais rien de prévu sur place, mais ça me faisait du bien de ne pas me sentir comme une star à regarder derrière moi si des gens me prenaient en photo ou me suivaient. Je menais une vie normale, c’était libérateur.
La célébrité, c’est quelque chose qui te pèse ?
J’aime ce que je fais, j’aime recevoir cet amour, mais j’ai parfois envie d’appuyer sur un interrupteur pour me couper de tout ce monde ne serait-ce qu’un instant. Je sais que ce n’est pas toujours bien vu, certaines personnes n’acceptent pas que je dise non à une photo ou autre, mais j’ai parfois besoin de temps pour moi, pour aller voir la mer et me relaxer. Et puis j’ai des rendez-vous à honorer : si j’acceptais tous les selfies demandés, je serais tout le temps en retard [rires].
L’année dernière, tu as collaboré avec Kali Uchis sur le titre « Aquí Yo Mando ». Cette chanson a-t-elle pu jouer un rôle dans cette reconnexion avec tes origines hispaniques ?
Si ce morceau existe, c’est uniquement parce que Kali m’a aidé. Je ne maîtrise pas l’espagnol et je suis probablement l’une des rares personnes de ma famille à ne pas savoir parler cette langue. En cela, Kali a été d’une grande aide, ça m’a donné envie de creuser davantage mes origines.
Il paraît que Las Ruinas est ton projet le plus personnel. Peux-tu me dire pourquoi ?
Essentiellement parce que je parle énormément de mon enfant et d’amour, ce qui est assez inhabituel pour moi. Las Ruinas ne se résume pas à faire la fête et à gifler les fesses des « bitches » [rires]. J’avais envie de parler de ce que je suis, d’où je vais.
La plupart des gens aiment quand je fais de la musique dynamique, presque rageuse. J’adore ça moi aussi, mais j’avais désormais envie de varier les émotions. Mon fils occupe une place si importante dans ma vie qu’il était naturel de le prendre en considération au moment de créer Las Ruinas. Cette mixtape est une sorte de capsule temporelle au sein de laquelle je tiens un journal intime, que je finis par partager avec tout le monde. Il y a plein d’émotions à l’intérieur.
L’un des singles de Las Ruinas se nomme « Black Punk ». Est-ce ainsi que tu te vois, comme une punk ?
À vrai dire, je ne sais même pas à quoi je m’identifie. En interview, on me dit souvent que je fais beaucoup pour la représentation des Noir·e·s ou des minorités, que ma voix compte, etc. Personnellement, c’est difficile d’en avoir pleinement conscience. Ce qui est sûr, c’est que se balader dans la rue avec des habits punk, et donc opter pour l’extravagance sur le plan vestimentaire, c’est s’exposer à différents regards accusateurs, à des gens qui te jugent. Être Noir·e, c’est la même chose, sauf qu’il est impossible de se débarrasser de ce « costume ».
« Alors que j’étais en plein concert, j’ai reçu un téléphone sur moi. Ça m’a fait mal. […] Son propriétaire a levé les bras en l’air et a demandé à ce que je le frappe… What the fuck ? »
As déjà été confrontée à ce genre de regards ?
Carrément ! On me questionne tellement souvent sur mon look, mon maquillage ou mon attitude que j’ai désormais trouvé une parade : je répond simplement que j’ai envie d’être moi. C’est comme ça que je me sens bien, en phase avec qui je suis. « Black Punk » reflète cette façon de penser : c’est une ode à l’affirmation de soi.
Quelle est la chose la plus étrange qui te soit arrivée en tant qu’artiste ?
C’est arrivé récemment. Alors que j’étais en plein concert, j’ai reçu un téléphone sur moi. Ça m’a fait mal. J’ai donc dit au propriétaire du portable que j’allais devoir le frapper à mon tour avant de lui rendre l’appareil. Il aurait pu me répondre plein de choses, abandonner son portable ou simplement rire, mais non : il a levé les bras en l’air et a demandé à ce que je le frappe… What the fuck ? Pourquoi as-tu besoin de te mettre ainsi en scène ? Comment peux-tu te réjouir d’être frappé par une artiste ? Personnellement, je n’avais même pas envie de le gifler… Les gens sont fous [rires].
Lorsqu’on écoute tes titres, comme « Vaderz », on a l’impression que la plupart de tes morceaux sont pensés pour affirmer ta puissance et ton charisme. Je me trompe ?
Tu as raison : ma musique est entièrement basée sur le charisme, sur la façon dont je vais interpréter et donner vie à des idées, à des personnages. J’aime quand les choses claquent, quand c’est catchy.
L’interprétation est-elle plus importante pour toi que le contenu des paroles ?
Oui, clairement. En tout cas, sur Las Ruinas, ça été le cas. À aucun moment, je n’ai cherché à être littéraire ou complexe dans mes paroles. Si tu ressens une émotion spécifique à l’écoute d’un morceau, c’est précisément parce que j’ai cherché à la provoquer via ma voix et mon interprétation. Dans le rap, beaucoup aiment le storytelling. Pas moi ; j’aime écouter de beaux couplets, mais j’aime surtout ajouter des ad-libs, travailler la production, caler ma voix sur de l’électro ou de l’hyperpop. Il ne s’agit que de s’amuser et de se sentir bien en écoutant ma musique.
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