Il s’appelle Michael Quattlebaum, elle s’appelle Mykki Blanco. Depuis quatre ans, cet artiste performeur américain au double visage a mis en lumière l’existence d’une prolifique scène hip-hop queer qui dynamite avec son rap musclé les clichés du genre. À l’occasion de la sortie de son premier album éponyme, le rappeur raconte la genèse de cet opus très personnel, dévoile les surprenantes réactions à la suite de l’annonce de sa séropositivité et révèle pourquoi Mykki Blanco se transformera bientôt en un grand cabaret. Rencontre.
Antidote : Vous êtes de retour avec un album intitulé « Mykki », le choix de ce titre éponyme indique-t-il une volonté de produire un opus plus personnel ?
Mykki Blanco : C’était résolument l’un de mes objectifs. L’une des choses que j’ai réalisées en écoutant d’autres musiciens et en regardant le travail d’autres artistes que j’admire, c’est qu’il arrive un moment où les fans et les gens qui vous soutiennent en veulent davantage. Et j’ai remarqué que certains d’entre eux, sans pour autant donner à leurs fans tout ce qu’ils demandent, les autorisent à pénétrer dans leur intimité. Et dès le départ, avec cet album, c’est cela que j’ai cherché à offrir.
Comment l’avez-vous appréhendé ?
J’avais besoin de changer de processus créatif. Avant de commencer à travailler avec !K7, j’étais un artiste totalement indépendant. Et quand j’ai signé avec ce nouveau label l’an dernier, ils m’ont offert l’opportunité de monter mon propre sous-label baptisé DogFood Music et j’ai enfin eu les moyens de produire mon album. Grâce à cela, j’ai pu prendre sept mois pour simplement écrire et travailler sans avoir à juste créer un morceau et le publier directement. Je pouvais me lever le matin et me concentrer sur cet album. J’ai vraiment appris à raconter mes propres émotions à travers les paroles, et c’est quelque chose que je n’avais pas fait auparavant. Je peux écrire un son à propos du féminisme, de l’anarchisme ou simplement raconter l’histoire d’une rave party, debout toute la nuit à courir dans une forêt sous ecstasy, mais je n’avais pas l’habitude de parler de mes propres sentiments. Et cela m’a pris du temps. Au départ, les deux ou trois premiers mois, c’était plutôt maladroit. Et puis j’ai trouvé un moyen d’évoquer cela tout en me dirigeant aussi vers une structure musicale plus pop pour toucher une audience plus large.
Ce nouvel opus semble en effet moins agressif que les précédents.
Il y a tellement de choses simples dont je n’avais jamais parlé. Je n’avais jamais écrit à propos d’amour, ni à propos de dépression, ni de solitude, ni d’être séropositif, ni de mes déboires passés avec la drogue. Toutes ces choses simples que je n’avais jusqu’alors jamais partagées.
Vous avez révélé votre séropositivité l’an dernier, quel a été l’effet sur votre carrière ?
Je pense que je suis encore, à l’heure actuelle, en train de le mesurer. C’est pourquoi il m’est assez difficile de répondre à cette question. Je peux tout de même dire que ça m’a effrayé, parce que je n’avais aucun exemple de quelqu’un qui l’aurait fait avant moi dans l’univers du rap. J’avais le sentiment que tout allait me tomber dessus. Après l’annonce, j’ai tout de suite continué à travailler. Ce n’est pas comme si j’avais lancé cette nouvelle puis décidé de prendre une pause pour me reposer ou quoi que ce soit. Cela fait partie intégrante de ma vie quotidienne. J’espérais que, tant que je continuerais à faire de bons morceaux, les gens ne me jugeraient pas par rapport à mon état de santé. Et j’ai été vraiment surpris par la compassion et aussi l’intelligence dont les gens font aujourd’hui preuve vis-à-vis du VIH.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’en parler ?
Tous ces gens sur les réseaux sociaux, sur Facebook ou Instagram, ne vont pas venir dîner chez ma mère, ce ne sont pas mon prochain mec, ni mon mari, et je ne vais pas passer ma vie avec eux. Et surtout, je n’ai vraiment rien à me reprocher. Je ne compte pas vivre caché toute ma vie.
Êtes-vous aujourd’hui à l’aise avec le fait d’être rappeur et gay ?
Je n’ai aucun problème avec cela, c’est aux autres que ça pose un problème. Mais je suis quand même vraiment heureux de constater que la jeune génération est tout simplement plus cool que celles d’avant. Je n’entends pas forcément par là qu’ils sont plus ouverts d’esprit, car ça n’est pas toujours le cas… Quoi que. Mais aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, je crois que les gens deviennent plus progressistes plus rapidement, il est devenu plus facile d’accepter la différence, ou de passer au-delà d’un tabou, car on est tout simplement plus informés.
Comptez-vous justement à travers votre musique effectuer ce travail de sensibilisation ?
Bien sûr, à ma propre façon. J’essaie d’amener jusqu’aux oreilles grand public cette idéologie queer et radicale que j’incarne et avec laquelle j’ai grandi. Toute cette communauté queer aux Etats-Unis mais aussi tout autour du monde avec qui je partage des valeurs communes et qui mérite d’être vue et entendue tout simplement parce qu’ils représentent une part, et donc non-négligeable, de l’humanité.
Vous avez toujours parlé de Mykki Blanco comme d’un concept, comment définiriez-vous ce concept ?
Pour être très honnête avec vous, Mykki Blanco n’est pour moi que mon nom de scène. Si les gens associent Mykki Blanco à un concept, c’est parce qu’il regroupe plusieurs idées, parce que Mykki est le diminutif de Michael [son vrai prénom, ndlr], aussi parce que Mykki Blanco a débuté à un moment de ma vie où j’étais plus associé à la communauté transgenre. À cette époque, je m’identifiais comme une femme transgenre et c’était un cheminement personnel que je traversais. Et cela a coïncidé avec les débuts de ma musique. Aujourd’hui, je me trouve dans une phase différente de ma vie. Ce que j’ai essayé de faire, c’est que tout ce qui était plutôt tabou autour du personnage de Mykki Blanco devienne prétexte à ouvrir un dialogue. Les gens peuvent désormais mieux comprendre Mykki Blanco qu’il y a quatre ou cinq ans.
Quand vous sentez-vous le plus à l’aise ?
Tout le temps. La question devrait plutôt être de savoir quand je ne suis pas à l’aise.
Alors je vous la pose.
Quand le suis-je ? Je suis mal à l’aise quand les gens veulent que je me souvienne d’eux alors qu’on s’est rencontrés au milieu de la nuit et que je n’ai plus aucune idée de qui ils sont. Ne peut-on pas juste se présenter à nouveau ?
Appartenez-vous toujours autant à la nuit ?
Je ne suis pas sûr. C’est plutôt drôle car je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un qui fait la fête à outrance. Étant artiste, j’ai assez rapidement commencé à beaucoup voyager et c’est grâce à cela que les gens me connaissent, parce que je suis allé de ville en ville et de scène en scène. Il y a quelque chose de très rock’n’roll dans la façon dont j’ai construit ma carrière. Quand vous êtes sur scène, les gens qui vous regardent sont tous venus passer un bon moment. Ils sont tous très accueillants et ils veulent faire la fête avec vous, ils veulent vous montrer leur ville, vous offrir de la drogue pour vous remercier de votre performance. Il est primordial de faire attention à soi dans ce monde du divertissement. Tout commence très innocemment puis si vous vous laissez entraîner, vous ne pouvez pas tenir le rythme. Il est clair que je prends beaucoup plus soin de moi aujourd’hui, car j’ai appris à le faire tout en conservant ce style de vie. Et même si dans dix ans, je continue à performer en tant que Mykki Blanco, je pense que cela évoluera vers un spectacle plus théâtralisé. Un spectacle avec de la musique, mais aussi des monologues et de la musique, un show que les gens s’assiéront pour regarder. Si vous aimez être sur scène autant que moi, vous devez penser à l’évolution de vos représentations. Mykki Blanco sera un cabaret, ou une comédie musicale ! Et je crois que c’est le bon moyen pour satisfaire mes fans. Le pire, c’est vraiment de voir quelqu’un sur scène qui est clairement trop vieux et qui lutte pour prétendre qu’il a encore 20 ans. Et là, tu te dis : « pourquoi es-tu encore là en fait ? ».
Vous avez fait un grand nombre de tournées, avez-vous quelque part le sentiment d’avoir grandi sur scène ?
Oui bien sûr. La raison pour laquelle je fais ça est parce que j’ai l’âme d’un performeur. Dès mon plus jeune âge, je me suis toujours senti à l’aise à l’oral, pour m’exprimer devant des gens. Je me souviens par contre avoir longtemps eu du mal à regarder les gens droit dans les yeux et grâce à la scène, je n’ai plus ce genre de problème.
Le thème de notre dernier numéro est la liberté, qu’est-ce que cela représente à vos yeux ?
Je me sens libre quand je suis avec ma famille. La structure familiale, qu’elle soit traditionnelle ou non, est vraiment majeure car chaque individu se doit d’avoir un nombre de gens avec qui il est totalement intime et en confiance. Pour moi, la liberté, c’est d’assumer la vie à laquelle vous aspirez.
L’album Mykki de Mykki Blanco est disponible sur iTunes et les plateformes de streaming légales.