Laylow : « Je ne fais pas de la musique pour qu’elle soit playlistée »

Article publié le 29 octobre 2021

Texte : Maxime Retailleau. Article extrait du numéro Antidote « Karma » (hiver 2021-2022). Photographe : Lee Wei Swee. Stylisme : Yann Weber. Coiffure : Yumiko Hikage. Maquillage : Thierry Do Nascimento R.. Coordinateur mode : Nikita Radelet. Production : Thomas Delage.

Après nous avoir emmenées en virée chez les cyberpunks à travers son premier « concept album » Trinity , le rappeur d’origine toulousaine a mis un nouveau coup d’accélérateur à sa carrière avec L’Étrange Histoire de Mr. Anderson : un disque à la fois intime et engagé politiquement, d’inspiration autobiographique. Rencontre.

« Chaque nouveau projet je drifte, Laylow c’est l’adrénaline », prévenait le rappeur dans « Trinityville », l’un des titres phares du futuriste Trinity. Un an plus tard, en juillet 2021, l’artiste nous donne à voir le plus beau dérapage en Lamborghini de tous les temps dans le court-métrage de L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, qui annonce la sortie d’un disque éponyme quelques semaines plus tard. S’il constitue un nouveau clin d’œil à Matrix (Neo étant le pseudo choisi par Thomas A. Anderson), Laylow y délaisse pourtant en grande partie la fascination pour le digital qui avait inspiré ses précédents projets, afin de faire crisser les pneus du bolide de ses rêves sur des routes encore inexplorées.
À travers ce nouvel album, le rappeur revient sur ses débuts dans la musique et la prise de conscience de son potentiel artistique, qu’il met en scène de manière imagée via différents dialogues avec un double fictif, Mr. Anderson : autant de skits constituant la colonne vertébrale d’un disque qui alterne entre mélancolie poétique, colère cathartique et prises de risque assumées. Soit le versant sonore du film aux accents burtoniens réalisé par le plus proche collaborateur de Laylow, Osman Mercan, avec qui il avait co-fondé le collectif TBMA (Travis Bickle – Mr. Anderson, ce dernier pseudo étant utilisé par l’artiste franco-ivoirien dans le cadre de ses activités en lien avec la vidéo et le beatmaking), derrière lequel ils ont signé la plupart des clips du rappeur, ainsi que d’autres pour Nekfeu, Hamza ou encore Wit., qu’on retrouve tous en featuring sur l’album. La boucle est bouclée. On espère que vos ceintures aussi.

 « Quand tu fais un album, t’as l’impression de faire une course d’un an et demi dans le noir, mais quand tu le finis, ça te donne une sensation incroyable, que je n’échangerais contre rien au monde. »

ANTIDOTE : Tu viens de sortir L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, qui est actuellement numéro un des ventes en France pour la deuxième semaine d’affilée. Comment tu te sens ?
LAYLOW : Quand tu fais un album, t’as l’impression de faire une course d’un an et demi dans le noir, mais quand tu le finis, ça te donne une sensation incroyable, que je n’échangerais contre rien au monde. C’est beau. Je pense que tout le monde peut aller chercher ça, mais au final, on n’est pas tellement à le faire. Même gagner de l’argent ne fait pas du tout le même effet ; ce n’est pas une question de gain, de score ou quoi. Quand c’est fini, tu te dis : « Putain, je suis ressorti, j’étais dans un de ces trous… ».
Alors que tu nous avais habitué·e·s à des morceaux très autotunés, ta voix apparaît régulièrement au naturel dans L’Étrange Histoire de Mr. Anderson. Ce parti pris traduit-il une volonté de ta part de mettre l’accent sur la dimension personnelle de cet album, qui file une métaphore sur ton propre parcours ?
J’étais content de Trinity, dans lequel je parlais d’amour, mais je trouve qu’être un·e artiste et ne rien dire de soi, c’est un peu triste. J’avais l’impression qu’il y avait un manque, que j’ai voulu combler avec ce disque. Mais je n’avais pas vraiment calculé le fait d’utiliser moins d’autotune. Par contre, ce que je savais, c’est que je voulais reprendre des sons boom-bap et faire des hommages aux années 1990 et 2000, et je trouvais que ça allait bien avec le fait de ne pas abuser de l’autotune. Après, ça ne veut pas du tout dire que je ne veux plus y faire appel, moi je suis un mec de l’autotune, j’adore trafiquer ma voix. Mais c’est pas mal de ne pas en mettre tout le temps, comme ça, quand il ressort dans des morceaux, tu te le prends en pleine face.
Laylow : Débardeur, Givenchy. Pantalon, Dior Homme. Colliers, Givenchy.
L’album s’inspire de tes débuts dans la musique, des doutes que tu as pu éprouver concernant ta voie artistique et de l’incompréhension à laquelle tu devais faire face lorsque tu manifestais ton désir de percer. À l’origine, qu’est-ce qui t’a mené à te lancer dans le rap, alors que tes parents s’opposaient à ce que tu en fasses ?
La ville d’où je viens, Plaisance-du-Touch, vers Toulouse, est très calme et il n’y avait pas beaucoup de Noir·e·s ou d’Arabes là-bas. Mes années d’enfance se sont bien passées, mais avec ma famille, on se sentait un peu différents des autres. Puis au début des années 2000 – j’avais autour de 10 ans –, j’ai regardé plein de clips sur MTV, ce qui m’a beaucoup marqué. C’était ça ma première influence. Je regardais les rappeurs à la télé et aussi des matchs de basket, avec des joueurs noirs qui ont des tatouages, des tresses… À cet âge-là, tu cherches un peu des genres de petits modèles.
Qu’est-ce qui t’a poussé à persévérer par la suite ?
À Paris, où je vis maintenant depuis un moment, il y a des rappeur·se·s qui font pas mal de vues [sur YouTube, NDLR] dans chaque quartier, mais à Toulouse, ce n’est pas pareil. Il y a eu quelques mecs, comme Dadoo, ou Joke qui avait percé quand j’étais vraiment minot, à Montpellier, mais globalement, il n’y a pas beaucoup de rappeurs qui sont issus de ces villes. J’aimais bien freestyler, appeler mes potes pour faire un clip, mais on avait peu d’exemples, peu de repères, du coup les gens ont vite tendance à te trouver chelou quand tu tentes des trucs là-bas. Par contre, Mister V – qui venait à Toulouse parce qu’il avait des amis qui y vivaient – nous trouvait stylés avec mon pote Sir’Klo, et on a fait un son avec lui, en une soirée. Le jour suivant, j’ai reçu des milliers de likes sur Facebook. On a été signés chez Barclay, alors que j’étais à peine majeur, ce qui était à la fois une bonne et une mauvaise chose. J’avais reçu ma première petite avance d’argent, et quand t’as 18 ans, t’es pas malin. À Paris, il y a des gars qui sont super bien accompagnés, mais dans le Sud c’était plus compliqué, et j’ai fait des petites conneries. On m’a rendu mon contrat au bout de six mois, mais ça m’a donné la niaque, en me montrant que je pouvais y croire. Ensuite, heureusement, je suis monté sur Paris et je me suis dit que je pouvais devenir un peu plus fin que ce que j’essayais d’incarner auprès de tout le monde, à traîner et tout. J’ai vraiment essayé de me cultiver, en matant des films ou en réécoutant des albums qui n’étaient pas nécessairement mis en avant par les médias.

 « L’art, ça reste. Aujourd’hui, je pense beaucoup plus à la trace que je vais laisser – je suppose que c’est parce que je vieillis. »

Tu es d’ailleurs devenu un vrai cinéphile, ce qui t’a permis de te constituer un panel de références variées dans lesquelles tu puisais ensuite dans le cadre des projets vidéo de TBMA. À l’origine, d’où vient ta passion pour le cinéma ?
C’est Osman qui me l’a transmise. Et ce qui était trop cool avec lui, quand on s’est rencontrés, c’est que je lui faisais découvrir la culture rap, que lui ne connaissait pas, et de son côté, il me montrait des films comme Fight Club. Tu peux les avoir vus à 17-18 ans, mais mes parents ne regardent pas trop de longs-métrages, donc ce n’était pas mon cas. Après, une fois installé dans la capitale, je suis allé à la fac, à Paris VII. Le matin, j’essayais d’y aller, puis je cherchais à me faire un nom, je faisais des petits freestyles devant une soixantaine de personnes le vendredi et le samedi soir. J’ai vraiment kiffé cette période. À la fac, je ne faisais que regarder des films dans l’amphithéâtre, ce qui m’a permis de découvrir le cinéma italien, japonais… J’y suis allé quatre ans, et j’ai eu ma licence. Donc j’étais vraiment plongé dans le septième art en parallèle du rap. Depuis, j’essaie de continuer à m’éduquer.
Comment est né votre projet avec Osman de tourner le court-métrage L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, qui est d’une grande ambition ?
Osman, c’est mon meilleur pote et il m’a toujours aidé dans le projet Laylow, en me challengeant. Il souhaitait faire un film avec moi, et on s’est dit que ce serait le bon moyen de mettre en image mes albums, que j’articule avec des interludes, des pauses, des ambiances, etc. On a commencé à l’écrire, c’était long et vraiment dur. Le film m’a d’ailleurs inspiré pour l’album – que je finissais en parallèle –, en ce qui concerne « Lost Forest », notamment. J’espère qu’on pourra en faire d’autres. J’ai déjà un projet en tête, mais ça coûte beaucoup de sous [rires, NDLR].
Laylow : Bomber et pantalon, Antidote Studio. Pull, Givenchy. Lunettes, Gucci.
Je voulais justement te poser une question à ce sujet, parce que l’évolution des vidéos liées à tes projets musicaux est vraiment impressionnante. Vous avez franchi de nombreux caps avec Osman à travers les années : il y a eu vos premiers clips, assez DIY, puis d’autres de plus en plus poussés et ensuite celui de « Megatron », qui m’a vraiment mis une claque quand il est sorti. Avec ce court-métrage, vous venez encore de vous surpasser. En tant qu’artiste indépendant qui sort ses albums avec son propre label (Digital Mundo), comment parviens-tu à monter ce type de projets, qui nécessitent des budgets importants ?
L’art, ça reste. Aujourd’hui, je pense beaucoup plus à la trace que je vais laisser – je suppose que c’est parce que je vieillis. Plus tu mets de l’argent dans un projet, moins ça va être intéressant pour toi financièrement. Mais je pense à ce qui va rester. Quand tu te saignes sur un truc, trois ans plus tard tu le regardes et tu ne sens plus toute la sueur qu’il t’a demandé. « Megatron», par exemple, c’était un clip vraiment difficile à faire, c’était en Côte d’Ivoire, les castings c’est moi qui allais les faire, et il fait chaud là-bas ! J’ai sué, j’ai négocié les tarifs, j’ai cru que je n’allais jamais y arriver et maintenant quand je le revois je me dis : « Il est trop cool ! ». Fin de l’histoire. Quand je me lance dans un truc, c’est vrai que ça me coûte un peu d’argent, ça me fatigue, voire les deux, mais j’essaie toujours de me donner au maximum parce que je me dis que le public attend qu’il se passe quelque chose. Il y a souvent un moment où tu sens qu’un artiste veut brasser de l’argent, qu’il a abandonné son défi du début. Moi je ne peux pas aller simplement dans le sens du commerce, même si quand j’ai commencé, on rêvait de devenir riches. Mais je pourrais faire les deux. Tyler, The Creator a écrit ça dans un tweet qui est ressorti il n’y a pas très longtemps : il disait qu’il y arriverait comme il a envie et qu’il gagnerait de l’argent en allant au bout de son rêve. Donc quand je sors un projet musical qui se vend, je mets ensuite deux fois plus sur le prochain.
Ce court-métrage signe aussi tes vrais débuts en tant qu’acteur (même si tu avais déjà tourné dans de nombreux clips auparavant) ; tu y joues à la fois ton propre rôle et celui de Mr. Anderson, que tu as dû composer. Comment as-tu vécu le tournage ?
Me jouer moi, Jey, c’était facile. Mais par contre, Mr. Anderson, c’était chaud. C’était un gros tournage, il y avait presque 100 personnes qui me regardaient dans la cage. C’était une galère, j’avais envie de faire comme les acteurs qui incarnent de grands personnages de composition, type le Joker, mais c’est très dur de se lâcher complètement. Le dernier jour, quand on a tourné la scène de fin dans le bar, je me sentais un peu plus à l’aise. Je commençais à mieux le jouer, mais c’est triste parce que c’était déjà la fin du tournage. Quand on a terminé, je voulais déjà rejouer ce rôle, continuer à l’améliorer.
Laylow : Veste, pantalon, mocassins et lunettes, Gucci.
Ton film et tes clips rassemblent par ailleurs plusieurs figures empreintes de mysticisme : de la tireuse de cartes de ton clip « Division Rouge » à la sorcière que l’on retrouve dans L’Étrange Histoire de Mr. Anderson. Pourquoi as-tu souhaité puiser dans le registre ésotérique ?
Dans des vidéos, des films, voire en musique, j’ai l’impression que cette magie permet de faire voyager l’esprit plus loin. Mais je n’aime pas trop parler de thématiques comme l’astrologie, parce que ça me rend fou. Quand je commence à rentrer dans un sujet, je suis le genre de mec qui peut y passer six heures : après, je vais avoir l’impression que ma vie est définie par mon signe, une carte ou autre chose, donc j’essaie de ne pas trop rentrer là-dedans. D’autant qu’en Côte d’Ivoire, on a notre problème de « sorciers ». C’est fou parce que tout le monde essaie de rester logique, mais d’un coup, on peut te caler un : « Ouais, c’est parce qu’il a un esprit sorcier en lui. » Il y a eu des dingueries qui ont été faites sur des gosses parce qu’ils avaient soi-disant « apporté le malheur », alors que ce n’était pas le cas. Il y a des histoires sombres, certains se sont même fait tuer. Je suis allé là-bas avec ma mère, et quand t’es un petit jeune qui fait quelques conneries et qui a des flammes dans les yeux, les gens font vite des interprétations, donc je sais de quoi je parle. Mais je n’ai pas trop envie de m’étaler là-dessus…
Osman est crédité comme le seul réalisateur de quasiment tous tes derniers clips et de L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, que vous avez co-écrit. Est-ce la fin du collectif TBMA ?
Non, ce n’est pas fini, mais c’est vrai qu’on est maintenant obligés de s’améliorer dans notre domaine : je dois davantage rapper, je suis plus au stud’, et lui il s’est lancé en tant qu’Osman Mercan. Mais je resterai toujours pas loin. C’était vraiment beau quand on a vécu nos premières années à Paris, qu’on n’avait pas de sous et qu’on tournait des petits clips. On était colocs, avec mon manager aussi, et je rappais à côté de la tour de montage. C’est dans ce contexte qu’on a composé les trois premiers EPs : Mercy, Digitalova et .Raw. Puis j’ai vécu tout seul, ce qui m’a fait du bien aussi. C’est là que j’ai fait .Raw-Z, Trinity et L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, et quand t’écoutes les sons, ça se sent : il y a une vibe plus personnelle, celle de quelqu’un qui est dans sa matrice. Laisser filer les idées au cours de la nuit, être dans mon truc, j’adore ça.
Au-delà d’être ton album le plus personnel, L’Étrange Histoire de Mr. Anderson est aussi ton projet le plus engagé. Le titre « Lost Forest » dénonce ainsi les violences policières, tandis que « Help !!! » critique l’indifférence face aux violences conjugales. Pourquoi tenais-tu à donner une dimension politique à ton disque ?
« Lost Forest », c’est le premier son de L’Étrange Histoire de Mr. Anderson que j’ai écrit après Trinity, alors qu’on était en plein Black Lives Matter. J’ai passé deux semaines à regarder des documentaires, à essayer de comprendre, et je voulais faire un son qui parle d’une bavure policière. J’avais lu Ils étaient 10 [d’Agatha Christie, NDLR] et je trouvais que la façon dont les personnages tombaient un par un était intéressante. J’ai mêlé tout ça pour créer un conte qui fasse un peu peur [dans le morceau, des policiers poussent un des protagonistes de l’histoire à tirer sur ses amis, NDLR]. Entendre des potes qui s’embrouillent, où l’un d’eux dit : « Moi je suis rebeu, toi t’es Noir », c’est des choses qu’on a vécues, ça arrive souvent et ça te brise le cœur quand t’entends un truc comme ça. La société nous met dans une position qui nous amène à nous embrouiller entre nous. Je voulais raconter tout ça, mais sans le dire trop frontalement. Pour « Help !!! », c’est un peu différent, j’ai écrit ce texte parce que je repensais à des moments où on a été plus faibles. J’aurais aimé entendre un son comme ça quand j’avais 18 ou 19 ans, ça aurait pu me marquer, me faire voir certaines choses d’une autre manière. Ça me tenait à cœur d’en parler et de faire une fable triste sur ce sujet.
Laylow : Bomber et pantalon, Antidote Studio. Pull, Givenchy. Lunettes, Gucci.
Comment écris-tu tes textes, qui semblent très instinctifs pour la plupart ?
C’est souvent la musique qui me donne des idées. En écoutant une prod’, je rentre dans un mood. Sur cet album, il faut savoir que j’étais là au moment où on a fait toutes les prods. Je n’en prends plus tellement par mail car j’aime bien sentir le moment où elles sont faites. Du coup, je pense à des trucs dès que les premiers accords sont claqués. Il y a quelques morceaux que j’ai faits d’une traite, comme celui avec Damso, par exemple [« R9R-Line », NDLR]. On l’a composé en une nuit, il y a beaucoup de bon là-dedans, tu le sens dans le son, il est très énergique. Mais parfois, je prends plus de temps. « Lost Forest », par exemple, je l’ai commencé en mars 2020 et c’est l’avant-dernier morceau que j’ai terminé, il y a deux mois, en écrivant le deuxième couplet tout à la fin.
L’Étrange Histoire de Mr. Anderson com­prend tes premières collaborations avec des artistes anglophones, slowthai et Fousheé. Qu’est-ce qui t’a poussé à mettre en place ces featurings ?
J’aime ce que fait slowthai, il est trop fou, il a l’air libre, donc c’était vraiment un kif de pouvoir me connecter avec lui. Mais c’est un vrai défi de faire une performance avec des anglophones. Au studio, ils·elles ne comprennent pas ta langue, donc il faut envoyer. Et Fousheé, c’était un autre type d’invitation : c’était plutôt un host, un petit bridge. C’est très Kanye de sortir une voix sur un huit mesures, mais je trouve que c’est très beau, je kiffe trop ça. Si je pouvais, je le ferais 20 fois dans l’album, quitte à le déstructurer.
Quel·le·s sont les artistes qui t’ont le plus inspiré musicalement ? Kanye West, que tu viens de citer, ou encore Travis Scott et Yung Lean, qui modifient eux aussi beaucoup leur voix à l’aide de logiciels ?
Le premier c’était 50 Cent. Ensuite, Lil Wayne, parce qu’il a une voix qui était particulière, il était petit, bizarre, et j’ai commencé à me dire : « en fait, reprendre tous les clichés n’est pas une nécessité, c’est frais ça aussi. » Puis beaucoup plus tard, quand j’avais 18-19 ans, il y a eu les premiers morceaux de Travis, qui a vraiment mis une gifle à l’industrie. Et tout de suite après, Yeezus [de Kanye West, NDLR] est sorti. C’est l’album qui a le plus révolutionné les choses pour moi. Suite à ça, je suis monté à Paris avec ma team et on a commencé à se buter à Yung Lean sous substances. Ensuite, j’ai aussi kiffé d’autres artistes pour certains détails, comme J. Cole ou 21 [Savage, NDLR], mais pas autant que ceux que je viens de mentionner. C’est l’âge aussi. Quand tu prends une claque à 19 ans, ça reste en toi. Il y a d’ailleurs toujours un truc qui me fait revenir à ces artistes et qui me fait dire : « ah putain, c’est des tueurs. »

« Je ne fais pas de la musique pour qu’elle soit playlistée. »

Au-delà d’avoir su créer ta propre esthétique sonore, ton univers se singularise aussi de par les tenues et accessoires que tu portes, notamment dans tes clips, comme ta veste croisée dans « Megatron » ou encore le grillz avec des chaînes argentés que tu arbores dans cette vidéo. Quelles sont tes plus grandes influences en termes de look ? S’agit-il de films, de mangas ou encore de célébrités, comme le basketteur Dennis Rodman ?
Putain, c’est dingue que tu dises ça, j’ai un morceau qui va sortir qui s’appelle « Dennis Rodman ».
ASAP Ferg a déjà appelé un de ses titres comme ça…
Ouais, je sais que ça a été fait, mais j’en ai rien à foutre. Dans « Oto » (2016) je parlais déjà de Dennis Rodman, c’est une folie ce mec. Mais ce que j’ai remarqué, c’est qu’un·e vrai·e fan de mode, il·elle peut te parler de la dernière collection Balenciaga et connaître toutes les pièces. Alors que moi, ce que j’aime c’est effectivement le stylisme des films cool, comme Romeo + Juliette, avec DiCaprio, parce qu’ils ne me font pas penser aux marques, au côté mercantile. Et c’était bien vu de parler des mangas. Quand j’étais petit, je trouvais les personnages assez stylés malheureusement. Je dis « malheureusement » parce que c’était des dessins, donc ça fait un peu con de dire ça, mais les vestes, les flows, les coupes de cheveux et tout, ce n’était pas ma culture, mais je trouvais ça inspirant. Après, j’essaie aussi de m’habiller en fonction de mon âge. Je kiffe quand des mecs comme Pharrell tentent des choses ; il est cool, mais en même temps, on sent qu’il n’a pas 18 ans.
Laylow : Pull, Dior Homme. Pantalon, Antidote Studio. Lunettes, Tom Ford.
J’ai lu qu’en général, quand tu viens de sortir un projet, tu es déjà en train de préparer la suite. Au-delà de ton titre à venir sur Dennis Rodman, as-tu un nouvel EP ou un album en cours de préparation ?
C’est une des premières fois où c’est un peu différent. Mais je réfléchis, je ne vais pas me laisser aller. Je trouve que toute la partie digitale que j’avais développée à travers les quatre EPs – dans lesquels on retrouvait une folie créative en lien avec les ordinateurs, parce que c’est une période où toute notre équipe passait beaucoup de temps dessus – a été cristallisée avec Trinity. Puis j’ai cristallisé l’histoire de mes débuts dans le rap à travers mon dernier disque. Je ne sais pas si je vais directement refaire un album ensuite. Je pense aussi au format mixtape et à quelque chose autour d’une radio – car j’adore conduire dans GTA en écoutant les radios du jeu, par exemple. Je ferai peut-être un nouveau projet avant de refaire un album, qui sera un peu « choral » à nouveau parce que c’est vraiment ça, ma came. J’aime tester de nouveaux formats, quitte à ce que ça casse un peu l’harmonie musicale. Dans l’ensemble, les gens ont kiffé L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, même s’il y en a qui me disent que c’est dur à écouter, que ça ne rentre pas dans les playlists. Mais je ne fais pas de la musique pour qu’elle soit playlistée, je m’en tape de ça. Par contre, je vais prendre le temps de réfléchir avant de me relancer dans un projet aussi costaud… Enfin, je dis ça, mais à chaque fois je repars sur une dinguerie [rires, NDLR].
Quel est ton plus grand rêve, maintenant que tu es parvenu à vraiment percer ?
Quand on a tourné le clip « Martin Eden » de Nekfeu avec TBMA, il a donné un disque d’or à Osman, qui m’a dit « maintenant, j’attends le tien ». Même si je me disais que je pourrais peut-être tout niquer, à l’époque j’en étais vraiment loin. C’était pas exactement un rêve, mais les grosses plaques et tout, c’était un truc que je voyais depuis que j’étais petit. Quand t’obtiens la tienne, c’est cool [l’album Trinity a été certifié disque d’or en 2020, NDLR]. Mais aujourd’hui, je crois que je n’ai plus trop de limites. Parce que les rêves, ce sont aussi des limites. Et maintenant, quand je parle d’un disque d’or, ça me semble vraiment nul comme objectif ultime, bien qu’au moment où je l’ai obtenu, je trouvais que c’était dingue. Donc j’ai désormais un peu peur de parler de mes nouveaux rêves. Mais je dirais que ce serait de laisser une belle trace dans le temps, et d’avancer avec mon équipe en réalisant qu’il aura été possible de réussir d’une nouvelle manière : la nôtre, dont ni nos parents, ni personne ne nous avait parlé.

 

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