Le 24 novembre paraît Utopia, le dernier et dixième album de la chanteuse islandaise qui brasse références des plus engagées aux plus pointues en un objet utopique et inclassable. Retour sur les fondations d’une œuvre inébranlable et révolutionnaire.
Une figure féminine danse au sommet d’une colline entourée d’avatars flottants ; voici le clip The Gate, qui annonce le dixième album de Björk, Utopia, réalisé en étroite collaboration avec le musicien et producteur Arca.
Un nouvel opus qui exprime un besoin de renaissance face à « cette impression, Post-Trump, que tout a très mal tourné », déclare-t-elle dans un entretien accordé au NY Times. L’artiste y explique qu’elle envisage Utopia tel une fuite fantasmagorique vers « une île remplie d’enfants, où tout le monde joue de la flûte nu, au milieu de plantes que l’on n’a jamais vues auparavant, d’oiseaux que l’on n’a jamais entendu chanter ».
Ce mélange d’expérimentation sonore et visuelle, doublé du rêve d’une société parallèle et plus harmonieuse est une vision qu’exprime Björk dès la sortie de son premier album expérimental à l’âge de 11 ans. Quarante ans plus tard, elle ne cesse de repenser le monde qui l’entoure par le biais de son œuvre. Dans un monde aux gloires passagères, Björk demeure icône grâce à la transversalité de sa sensibilité, qui lui insuffle continuité et cohérence face aux nouveaux outils. Si Björk est éternelle, c’est pour la place qu’elle a su donner instinctivement à la liberté radicale. Et ce en cinq points capitaux.
Elle a défié barrière du son et industrie musicale
De l’électronique, du trip hop, des chants gutturaux folkloriques, des sonorités inspirées par des glitches internet ou des bruits de gorge – sans oublier un pendule dont le son indiquerait la gravité de la Terre ou sa rotation au fil de la journée : voici quelques uns des outils utilisés par la chanteuse. Si les genres musicaux sont fabriqués artificiellement par l’industrie musicale dans un but commercial, l’œuvre de Björk demeure inclassable : sa juxtaposition de cultures, son emploi de sons à l’audiogénie a priori questionnable et son utilisation de technologies de pointe font d’elle un OVNI musical. Sa discographie le confirme : son quatrième album studio Homogenic et ses sonorités industrielles mêlées à des bruitages de la nature finlandaise, Vespertine qui remixe l’entrechoquement d’outils de cuisine, ou Vulnicura enregistré en partie sur un instrument imaginé par Léonard de Vinci baptisé « viola organista ».
Elle a fait du vêtement une réflexion sur le monde
De gauche à droite : Björk défilé pour Jean-Paul Gaultier en 1994, couverture de l’album Vulnicura par Inez & Vinoodh, Björk à la cérémonie des Oscars en 2001, Björk au MTV VMAs en 1994
En 2001, Björk surgit sur le tapis rouge de la cérémonie des Oscars dans une robe-cygne (qui possède dorénavant sa propre page Wikipedia , et porte des faux œufs qu’elle dispose à ses pieds à chaque fois qu’on la photographie. Elle refuse de concevoir le vêtement comme une pièce d’apparat, mais comme une œuvre en soi, qu’elle choisit dans un but d’imaginer une apparition digne de performance art sur un tapis rouge. Elle voit également la mode comme une façon de se rapprocher de la nature. Robe autruche ou inspirée par des marécages, création signée Iris Van Herpen qui imite un processus naturel de cristallisation, ou encore une mappemonde portable de plusieurs milliers de mètres carré : elle aime rappeler qu’elle appartient au monde qui l’entoure, d’égal à égal.
Elle défend une osmose avec la planète et l’égalité de toutes les existences
Photo : couverture de l’album Biophilia par Inez & Vinoodh
Comme elle le prouve à travers son rapport à la mode, l’une des principales causes qu’elle défend est l’environnement, qu’elle se bat pour protéger et avec lequel elle veut se sentir en osmose. Elle lève des fonds pour la préservation de la nature islandaise menacée par une vive industrialisation, ou encore pour les victimes du tsunami et la reconstruction des terres. À ces projets caritatifs et prises de paroles autour du réchauffement planétaire s’ajoute un travail inspiré par l’environnement : son album Biophilia (ou “amour de la nature”) s’impose comme un manifeste de respect de la planète. Elle crée même un documentaire musical dédié à la beauté de la faune et de la flore, en hommage au chercheur naturaliste David Attenborough, connu pour ses documentaires animaliers sur la BBC.
Elle a abattu les frontières entre les disciplines pour une sensibilité transversale
Sans surprise, sa passion pour le geste créatif s’étend également aux arts visuels. Dans une exposition que lui dédie le Moma à New York en 2015, on y retrouve l’étendue de ses collaborations, allant du film Drawing Restraint qu’elle co-réalise avec Matthew Barney – dont elle partage la vie pendant dix ans -, à ses clips avec Michel Gondry ou Spike Jonze. Elle reçoit également la Palme de la meilleure actrice pour son rôle dans Dancer in the Dark de Lars Von Trier, et ne cesse de soutenir, mettre en avant, conseiller des jeunes talents dont le travail est en harmonie avec sa vision.
Photos : Nick Knight, Juergen Teller
Elle a fait de la technologie une utopie personnelle et s’en sert pour se connecter à son public
Son dernier album est en vente en crypto-monnaie (l’argent électronique, dont la monnaie la plus connue est Bitcoin) sur son propre site. L’offre permet à ses fans de gagner davantage de cette monnaie virtuelle en interagissant avec elle et en se rendant à ses concerts. Auparavant, elle avait déjà proposé un streaming virtuel de ses tournées, imaginé des clips à 360°, et même créé un album facilement piratable (Biophilia), pour mieux et plus largement diffuser le message environnemental qu’il contient. Pour Björk, la technologie est à la fois un moyen de repousser les limites des conventions, mais aussi une façon de se connecter avec ses fans. Dématérialisée, en sécurité, mais proche de tous.