Angèle : « J’ai vraiment besoin qu’on m’aime »

Article publié le 12 avril 2023

Texte : Elvire Duvelle-Charles. Photographe et styliste : Yann Weber. Coiffure : Marion Anée. Maquillage : Ruby Mazuel. Manucure : Eri Narrita. Coordination mode : Matéo Ferreira. Set Design : Alexandre Roy. Production : Aurea Productions. Assistant photographe : Léon A. Fernandes. Assistant·e styliste : Abla Sbihi. Assistant set design : Jac Revald. Assistantes production : Amélie Pietri et Pauline Bellot.

Angèle fait partie des artistes de sa génération qui fascinent. Autrice, compositrice, interprète et productrice, elle est devenue l’une des icônes de l’ère post #MeToo, utilisant sa popularité pour mettre des gros kicks au patriarcat. Interviewée sur zoom par la journaliste et activiste féministe Elvire Duvelle-Charles, la chanteuse belge nous parle de féminisme, de réseaux sociaux, d’écriture de l’intime et des multiples injonctions auxquelles elle doit faire face.

ELVIRE DUVELLE-CHARLES : Bonjour Angèle. Comment va ta cheville ?
ANGÈLE : Oh ma cheville ça va, c’est gentil. Ça va beaucoup mieux parce que j’ai fait de la rééducation dans un centre spécialisé avec un super kiné qui ne me lâche pas et qui m’a permis de retrouver ma mobilité. Je ne pensais pas que je serais emmerdée aussi longtemps par cette entorse. Mais ça va mieux.
J’étais à ton concert le jour où tu t’es fait mal à la cheville. Je me souviens que sur le coup, j’ai dit à mes potes : « Ouh là, je crois qu’elle vient de se défoncer la cheville, je sens qu’elle s’est fait hyper mal. Est ce que vous avez vu le truc ? ». Elles n’avaient pas remarqué. Et comme tu continuais à sauter et à danser et que tu étais pleine d’énergie, je n’étais pas sûre que tu te sois fait mal. Après la chanson suivante, tu as fini par dire que tu t’étais « explosée la cheville ». Ça m’a impressionnée, cette dichotomie entre ce que tu étais en train de vivre intérieurement et la Angèle sur scène. Tu as dû vivre ce concert dans la douleur absolue, non ?
Effectivement, il y a deux manières de voir ce moment. Pour le public, je me suis fait un peu mal, j’ai continué, fin de l’histoire. Moi j’ai passé, je pense, un des moments les plus difficiles psychologiquement de ma carrière, vraiment. Ce live était tellement important. C’était le premier des deux concerts à la Défense. Ça faisait plus d’un an qu’on le préparait, on était à la fin de la tournée, on était tous·tes fatigué·e·s physiquement et émotionnellement. Et ces deux dates, c’était vraiment la consécration. C’étaient LES dates. Et voilà qu’à la quatrième chanson du premier concert sur deux soirs qui affichent complets, je me tords la cheville violemment. J’ai su immédiatement que c’était grave. C’était comme si c’était le vide. Je n’entendais plus de musique, plus rien, plus personne. J’étais juste dans ma tête, dans le noir, en train de me dire que c’était grave. Je ne sais pas comment j’ai tenu parce que cette douleur, elle était vraiment tout le temps là. C’était un moment de solitude immense. Je suis une artiste, et mon métier c’est de ne pas toujours tout montrer. Si à ce moment-là j’avais montré aux gens ce qu’il se passait, je leur aurais montré que ça n’allait pas du tout. J’avais envie d’être à la hauteur et je ne voulais pas gâcher ce moment. Alors j’ai fait preuve d’une sorte de déni de la douleur et de la peur aussi. Parce que dans ces cas-là tu n’as pas juste mal : tu as peur de te faire mal à nouveau, peur de tomber, peur de mal danser, de perdre tes appuis…
Angèle : Top, Calvin Klein. Short, MM6.
Je comprends. Ça aurait été impensable pour toi de continuer le concert assise, par exemple ? Ou de faire une pause ?
Pour mon moral, il fallait que je le fasse à fond. On a travaillé comme des fous·lles et je me suis mis une pression de malade, notamment par rapport aux chorégraphies. Oui, on aurait pu me mettre sur un tabouret au milieu de la scène, peut-être pour un autre Zénith en France. Mais La Défense, tu ne fais pas ça plein de fois dans ta vie. Je ne sais pas si je vais encore remplir cette salle dans quelques années. Je l’espère, mais peut-être pas. Je le vivais comme si c’était la dernière fois que je faisais une salle aussi grande. Je pense que dans la vie, il faut aussi prendre conscience des moments qu’on a et de la chance qu’on a. Je ne voulais pas passer à côté de ça. C’était impensable pour moi de ne pas le vivre pleinement avec le public. 

Angèle : « C’est épuisant de contrôler son image quand on est artiste et quand on est une femme. Je pense qu’il faut accepter que c’est impossible. »

Au final, ton métier ça n’est pas juste de chanter, l’image compte beaucoup aussi… Dans le documentaire Angèle, tu racontes l’énorme choc que tu as ressenti quand Playboy a utilisé une image de toi que tu avais interdit de publier, notamment en raison de la manière dont ça a été repris par les médias. Et tu expliques que c’est après ça que tu t’es mise à vraiment contrôler ton image. Comment tu y parviens ?
C’est épuisant de contrôler son image quand on est artiste et quand on est une femme. Je pense qu’il faut accepter que c’est impossible. On peut jusqu’à un certain point contrôler les photos qui circulent, et encore pas toutes. Mais contrôler son image, ça veut aussi dire contrôler ce que les gens pensent et voient de toi. Et ça c’est plus complexe. Je pense que je fais aussi ce métier parce que j’ai une sorte de petite faille narcissique, j’ai trop besoin qu’on m’aime. Et devenir connue, c’est sûr, c’est être aimée par plein de gens, mais c’est aussi être détestée par plein de gens. Mon apprentissage a été d’accepter que je ne pouvais pas la contrôler à 100 %. Il y aura toujours des photos, des vidéos, des articles, des fausses rumeurs, des propos sortis de leur contexte, etc. Malheureusement, je ne peux pas faire autrement.
Angèle : Tenue, Acne Studios.
Les médias ont aussi complètement volé ton coming out. Ce qui a dû être extrêmement violent. Si tu n’avais pas été outée par des médias, est-ce que tu aurais fait ton coming out ? Et si oui, comment tu aurais voulu le faire ?
[Elle réfléchit avant de répondre, NDLR] Oui, je l’aurais fait. Je pense que si j’avais pu le faire à ma manière, je l’aurais fait à travers les réseaux sociaux. Mais je pense que je l’aurais fait plus subtilement, parce que j’aurais voulu que ce soit un sujet sans en être un. C’est ce que j’avais commencé à faire d’ailleurs avec la chanson « Tu me regardes », c’était entre les lignes. Et dans un premier temps, je ne voulais pas en parler ailleurs. Je voulais déposer ce texte et le laisser un peu faire sa vie. Là, ce qui était violent, c’était un mélange de plein de choses : le fait d’être outée, le fait que ça passe par des photos prises dans mon quotidien, devant l’appart’ dans lequel je vivais à ce moment-là, dans un moment très intime et le fait que ma copine de l’époque soit exposée sans son consentement, c’était aussi une autre violence. Et enfin, le fait que ce soit fait dans une émission de télévision que je n’apprécie pas du tout [Touche pas à mon poste, NDLR] et dont les valeurs sont opposées aux miennes, c’était ça aussi la violence. Ça faisait peur en fait, je me disais : « Mais moi je ne valide pas du tout cette émission de télé. Les gens qui regardent cette émission, qu’est ce qu’ils vont penser, qu’est ce qu’ils vont dire ? Est-ce que je vais être en danger ? Est-ce que ma copine va être en danger ? Qu’est-ce que ça envoie comme message ? Est-ce que je vais devenir l’objet de débats politiques ? ». 

Angèle : « Je pense que je fais aussi ce métier parce que j’ai une sorte de petite faille narcissique, j’ai vraiment besoin qu’on m’aime. »

Dans le documentaire Angèle, tu dis que tu regrettes au final de ne pas avoir eu plus de modèles de personnes queer, parce que peut-être que ça t’aurait fait gagner du temps dans tes questionnements. Est-ce qu’il n’y a pas aussi quelque chose que tu répares en étant une référence pour des jeunes filles et des jeunes garçons queer ?
C’est sûr que je fais partie des artistes qui ont la chance d’être en position de pouvoir montrer que c’est quelque chose de normal. Mais montrer que c’est normal, c’est montrer les choses de manière ouverte, c’est-à-dire parler ouvertement et spontanément du fait que je suis attirée par les hommes et par les femmes, sans que ce soit un sujet en soi. Quand j’étais hétéro, d’un point de vue médiatique, on ne me parlait jamais du fait que j’étais hétéro, parce que c’était la norme. C’est devenu un sujet quand ça s’est su que j’aimais aussi les femmes. Si ma notoriété peut aussi servir à ce que d’autres jeunes femmes dans mon cas ou jeunes hommes se disent : « Peut-être que moi aussi en fait je suis bi », ou : « Peut être que je suis gay », c’est tant mieux. Mais si à chaque interview dans les médias traditionnels on me le rappelle, ça ne me dérange pas d’en parler, mais je me demande : « Est-ce que ça n’envoie pas aussi le message que c’est hors norme ? ».
Angèle : Tenue, Jacquemus. Boucles d’oreilles, Alan Crocetti et Justine Clenquet. Maquillage Christian Louboutin Beauty réalisé par Ruby Mazuel. Teint Fétiche La Poudre, teinte Ivory nude. Bronzer teint Fétiche La Poudre, teinte Blushed Nude. Palette yeux Bronze Eloise. Lips Rouge Louboutin Silky Satin, teinte Soft Goji.
Oui, je comprends. Vaste sujet. Tu es arrivée sur Instagram en 2015 et je ne révèle rien en disant que tu as un sérieux problème avec les réseaux sociaux. C’est en tout cas ce qui ressort de ton œuvre. Tu as écrit énormément de chansons sur ces questions-là : « Jalousie », « Victime des réseaux », « La thune », « Pensées positives », « Patrick », « Amour, Haine & Danger »… Tu y parles d’addiction aux écrans, de santé mentale, de jalousie, du fait de se comparer, de faire semblant que tout va bien… J’imagine qu’avec la notoriété, ça ne s’est pas du tout amélioré cette affaire, si ?
Ah non, c’est terrible ! Il y a sept ou huit ans, j’étais anti-réseaux sociaux. Je trouvais ça nul et j’étais un peu la rebelle, je me disais : « Moi j’ai pas besoin de ça, j’ai pas besoin de mettre des photos de moi qui me flattent ». [Elle marque une pause, NDLR] Lol. Et puis je me suis inscrite sur Instagram. Je voulais ne pas être ce cliché que je critiquais. Sauf que je me suis faite avoir. C’est très difficile de faire autrement, parce que ça demande un courage immense de sortir des rangs. Je crois que ça m’a rendue un peu malheureuse ces derniers temps… À l’époque de mon premier album, j’étais spontanée, je postais ce que je voulais, j’étais très libre. Et puis ma notoriété a été un peu intense et ça m’a posé de gros problèmes de me sentir autant mise à nue. Je m’auto-censure parce que parfois j’ai peur de regretter, ou qu’on me tombe dessus. Donc je me suis peut-être rendue un peu plus lisse. J’ai vraiment envie de retrouver cette spontanéité d’avant, d’arriver à rester authentique et de me montrer telle que je suis, tout en acceptant qu’une fois que c’est sur Internet, ça reste toute ta vie. Et c’est quelque chose qui fait un peu peur quand on a plus de 3 millions d’abonné·e·s.
Angèle : Tenue, Abra. Boucles d’oreilles, Justine Clenquet. Bracelet, MM6. Maquillage Christian Louboutin Beauty réalisé par Ruby Mazuel. Teint Abracadabra La Palette. Blush et enlumineur Abracadabra La Palette, teinte So Delikate. Crayon yeux, teinte Brunette. Crayon sourcils, teinte Blonde. Mascara Lift Ultima. Lips Rouge Louboutin Silky Satin, teinte Soft Goji.
Je comprends. Et justement, ça m’amène à une des questions que je voulais te poser. Je t’ai découverte en 2018, parce que tu avais participé à une campagne « This is not consent » qu’on avait lancé sur mon compte @clitrevolution, et que d’un coup on a gagné des milliers de nouvelles abonnées en quelques heures. C’était le tout début je pense, juste après la sortie de Brol. Et je me souviens qu’à cette époque-là, tu postais de manière spontanée énormément de contenus, tu relayais des comptes militants, des comptes féministes, etc. J’ai l’impression que c’est quelque chose que tu fais beaucoup moins qu’avant. Et je me suis demandée si c’était parce que justement, quand tu commences à avoir trop d’abonné·e·s, ça devient trop risqué de prendre position, de poster des contenus politiques que potentiellement tu peux regretter plus tard ?
Mais complètement. Ça a été tout un questionnement cette dernière année. Mon féminisme s’est aussi construit et a grandi grâce à Instagram et ça c’est hyper important de le dire. Au moment où je découvrais un article, un compte Instagram, un compte militant, j’avais besoin de le partager. Je me disais : « Si je découvre ça maintenant, tous les gens qui me suivent doivent le découvrir. » Maintenant que beaucoup de gens me suivent, j’ai peur de partager des choses dont je ne connais pas totalement les sources. Il faut que les informations que je partage soient très claires, limpides et fiables. Là où je peux agir, c’est sur ma musique. Quand j’ai vu le succès qu’a eu « Balance ton quoi », j’ai réalisé que ça avait un vrai impact. Je ne m’attendais pas à ce que cette chanson militante se déploie jusque dans les familles. Quand j’ai compris ça, je me suis dit que je préférais dans un premier temps me concentrer sur ce que je dis dans mes chansons. Mais j’ai envie de trouver un équilibre et de pouvoir continuer à soutenir ce que font les comptes féministes, les comptes LGBT, les comptes militants. Parce que je trouve que c’est important. 
Angèle : Tenue, Valentino.
C’est intéressant ce que tu dis, parce que j’ai l’impression que ton dernier album est plus politique que le premier. Il y a énormément de chansons qui traitent de thématiques très directement féministes. Je pense notamment à « Tempête », qui décrit ce que l’on peut traverser quand on vit dans une relation violente, de manière extrêmement juste et sensible je trouve. Je me demandais de quoi tu es partie pour écrire cette chanson ?
En fait, il y a des choses que j’avais beaucoup entendues, à propos de proches, que j’avais en tête. Mais le déclencheur de cette chanson, c’était pendant le premier confinement. J’avais été hyper attristée de voir que les violences conjugales avaient autant explosé. On parle de violences “domestiques”, mais ce ne sont pas juste des violences qui s’exercent au sein du foyer. Le privé est politique. C’est un vrai problème de société. Le confinement a été pour moi un détonateur de cette prise de conscience. Je ne m’étais pas rendue compte que c’était aussi grave, que c’était aussi présent. Il y avait un rapport qui indiquait une augmentation des interventions à domicile pour « différend familial » de 42 % par rapport à 2019. C’était un chiffre vraiment alarmant et c’était un peu le point de départ de « Tempête » : d’imaginer ce que c’est quand tu es une femme et que tu es enfermée avec la personne que potentiellement tu aimes, mais qui te violente. C’est quelque chose qu’on entend, que l’on voit, qui a été étudié. Et ça ne change pas à la vitesse à laquelle ça devrait.
Cette chanson, je l’ai aussi trouvée hyper intéressante parce que tu décris très bien le phénomène d’emprise dont on parle déjà depuis un certain temps dans les milieux féministes, mais disons que dans l’opinion publique, il y a toujours cette idée de parler de « femmes battues », où des personnes vont dire : « Bah, pourquoi est ce qu’elle part pas ? », etc. Et je trouve que tu as vraiment très bien réussi à soulever le fait que lorsqu’on est sous emprise, on a toujours envie que ça s’arrange et que la relation redevienne comme avant. Donc on a du mal à partir.
Oui. Je pense qu’il y a des situations où on n’a pas vraiment le choix. On entend souvent dire : « On a toujours le choix », mais en fait oui et non, parce qu’il y a des femmes qui ont des enfants, des femmes qui n’en ont pas les moyens, des femmes qui sont sous emprise. Ça va au-delà de la question du choix. Elles n’ont pas le choix. Parfois elles restent. Et oui, elles restent jusqu’à ce que des choses terribles se passent. Mais parce qu’elles sont coincées. Et ça, c’était ce que j’avais envie de montrer dans la chanson aussi, que les choses ne sont pas si simples que ça. Elles gardent espoir, elles ont l’impression que les choses peuvent changer, elles ont l’impression qu’elles sont responsables. Elles ont l’impression qu’elles sont mauvaises. Je me souviens avoir beaucoup pleuré en écrivant cette chanson, parce que ça me rendait super triste et que ça touchait à quelque chose de très profond et de très lourd. 
Angèle : Tenue, Weinsanto. Boucles d’oreilles, Justine Clenquet. Chaussures, Coperni. 
Dans ta très belle chanson « Mots justes », où tu fais aussi allusion à des violences, en tout cas c’est ce que l’on peut comprendre entre les lignes, tu dis : « C’est plus facile d’écrire, c’est plus beau de chanter ». Je me demandais si tu avais fait le choix d’écrire l’intime pour ne pas avoir à dire les choses plus frontalement dans ton quotidien ?
Oui. Mon premier album Brol était vraiment mon regard à 20 ans sur le monde dans lequel on vit et sur mes questionnements à travers des histoires. Même « Ta Reine », qui traitait d’un sujet sensible et très intime, je l’ai écrite à la troisième personne, parce que ça me permettait de dire des choses dans un moment où ma réflexion était encore en train de faire son cheminement. Ça me permettait de prendre des risques sans trop en prendre. Le deuxième album, Nonante-Cinq, c’est tout le contraire. Je l’ai écrit et composé pendant le confinement, à 25 ans, et avec des interrogations tout à fait différentes. Après avoir passé trois ans dans une sorte de tourbillon, sans jamais pouvoir pleinement reprendre ma respiration, j’avais besoin de faire un travail d’introspection et de me demander : « Mais en fait, je ressens quoi en moi ? ». Ça a donné naissance à toutes ces chansons très personnelles, qui ont été un exutoire absolu. C’est une chose de pouvoir partager mon point de vue du féminisme comme j’ai pu le faire avec « Balance ton quoi », en étant sur scène, en sautant, en faisant sauter tout le monde, que ce soit la fête et que l’on ait tous·tes envie de se battre. Mais c’est un autre type d’exutoire que de pouvoir chanter des chansons aussi profondes et personnelles que « Mauvais rêves » ou « Mots justes », par exemple. L’envie, c’était de pouvoir me libérer de certains sentiments et d’une forme de tristesse. 

Angèle : « J’ai travaillé dur pour être reconnue comme artiste, pour être entendue, pour passer à la radio, à la télé, pour remplir des salles de concert immenses. Et parfois, je me dis : “Mais pourquoi j’ai fait ça ?”

Est ce que tu appréhendes la première écoute de tes proches avec qui tu n’as pas évoqué les sujets dont tu parles dans tes morceaux ?
Je me souviens de la période où j’ai fait écouter « Mots justes » à mon entourage. Notamment en studio, avec Tristan Salvati, mon producteur, qui est vraiment devenu aussi un ami parce que c’était la première personne à qui je parlais de ce texte. C’était intense de me confronter directement à quelqu’un face à moi et de lui chanter ce texte. J’avais besoin de déposer cette chanson, mais pas forcément envie d’en discuter après. J’ai mis du temps à la chanter sur scène. Je ne l’ai pas chantée sur la première partie de la tournée. Ça n’est que l’hiver dernier que j’ai eu spontanément envie de la chanter en live. Il y a eu un moment suspendu. Il s’est passé quelque chose de très fort. Dans le public, des femmes en face de moi étaient en pleurs. Comme si cela guérissait des blessures de pouvoir à un moment la partager ensemble.

Angèle : Tenue, Paco Rabanne. Boucles d’oreilles, Justine Clenquet.
Est-ce que ça t’est déjà arrivé de ne pas sortir une chanson parce que finalement tu la trouvais trop intime ? D’avoir un morceau que tu étais sur le point d’enregistrer, avant de finalement rétropédaler à la dernière minute ?
Je n’ai pas été jusqu’à l’enregistrement, mais ça m’est arrivé d’avoir des chansons trop intimes que j’ai finalement décidé de ne pas sortir. J’écris toujours d’abord pour moi, j’ai des chansons qui sont encore dans mon téléphone ou encore dans ma tête. C’est marrant parce que j’ai travaillé dur pour être reconnue comme artiste, pour être entendue, pour passer à la radio, à la télé, pour remplir des salles de concert immenses. Et parfois, je me dis : « Mais pourquoi j’ai fait ça ? ». Parce que maintenant, je ne suis plus pleinement libre. Je ne peux plus toujours m’exprimer totalement comme je veux. Parfois je dis des choses dont moi seule comprend de quoi il est question. Mais personne ne va connaître le fond de la chanson. Et parfois, quand les chansons sont un peu moins ciblées, comme « Mauvais rêves », c’est parce qu’en fait je me crée ma propre histoire à l’intérieur des mots.
J’allais justement te demander comment on fait pour se sentir libre quand on est aussi célèbre ?
J’ai écrit une chanson qui s’appelle [elle chantonne, NDLR] « Vivre libre », mais je ne suis pas aussi libre que ça et j’ai mis du temps à l’admettre. Je ne sais pas ce que veut dire être libre dans un monde fait d’injonctions. Moi, je suis libre par rapport à une période de ma vie où j’étais dans des relations d’emprise compliquées, que ce soit en amour ou en amitié. À certains stades de ma vie, j’ai été très mal entourée, notamment en amour, mais aussi au travail. Quand on fait un métier comme le mien et que ça explose d’un coup, on est un peu un aimant à personnalités perverses. C’est de ça dont je parle dans ma chanson « Libre ». Quand je l’ai sortie, j’étais à un autre stade de ma vie et je me rendais compte que j’étais peut être plus libre au niveau de mes relations humaines, mais je l’étais beaucoup moins dans ma manière de me présenter au monde, dans ma spontanéité. La liberté, je pense que c’est le travail d’une vie. Je rêve de me sentir pleinement libre, mais je pense que pour ça il faut bien se connaître et il faut prendre des risques. Je suis toujours en train d’apprendre.
Angèle : Tenue, Alaïa. Gants, Avellano.
Hyper intéressant. Je voulais juste revenir sur la question de l’image, parce que c’est un truc qui m’a beaucoup touchée dans le documentaire qui t’es dédié, où tu dis que tu as développé une version améliorée de toi-même, qui est un mélange de tous tes fantasmes, de tout ce à quoi tu voulais ressembler secrètement. Et je me suis demandé comment est-ce que tu vivais aujourd’hui le fait de devenir celle à qui l’on veut secrètement ressembler ?
Ça dépend des jours. Quand je croise des fans en sortie de scène et que je vois qu’elles ont des posters de moi, qu’elles sont coiffées comme moi, habillées comme moi, maquillées comme moi, etc., ça me flatte évidemment et ça me touche beaucoup. Mais d’un autre côté, je me dis qu’en fait, leur référence est une image. Parce que ce n’est pas moi tous les jours. Quand je travaille et que je suis aussi en représentation, je suis maquillée par des professionnel·le·s, je suis habillée par une styliste, je suis coiffée par une coiffeuse. Et parfois, je me dis que c’est un peu injuste de ne montrer que ça. Parce que ça fait rêver. Une jeune femme qui va vouloir se coiffer comme moi sur scène ou dans les clips, elle ne pourra jamais le faire, parce que moi-même, solo, je ne peux pas me coiffer comme moi [rires, NDLR]. C’est pour ça que j’essaie parfois de montrer quelque chose de plus vrai sur les réseaux sociaux, ou quand je vais voir les gens après les concerts. Ce n’est pas évident, parce que quand on devient connue, on a tendance à avoir envie de renvoyer une image qui ressemble à nos photos travaillées, avec du stylisme, qui nous mettent pleinement en valeur. Parfois, ça m’arrange de m’inscrire dans les codes attendus. Et d’autres fois, j’ai envie de combattre ces formes d’injonctions. Au final, je dirais que l’idéal serait de trouver un équilibre qui me convient, d’être vraie et libre d’aller dans les directions qui me font me sentir le mieux possible. 
Merci Angèle. Est ce que je peux te demander ce que tu vas faire après ?
Je suis à Los Angeles donc ici il est 10h du matin. Je vais aller faire du yoga parce que je fais de nouveau du yoga dans des salles avec des gens, puisqu’ici, je suis inconnue. Et après, je vais aller en studio.

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