La dernière collection du label parisien Koché faisait sensation lors de la Fashion Week de mars. En lice pour le prix LVMH et parmi les finalistes du concours de l’ANDAM, Christelle Kocher est sur tous les fronts. Quel est le secret de son succès ? Réponse avec la créatrice.
Il est agréable de se sentir désiré. Et à l’heure actuelle, tout le monde semble réclamer Christelle Kocher. La créatrice française derrière la marque Koché fait partie des finalistes non seulement du prix LVMH (pour la seconde fois) mais aussi du concours de l’ANDAM. Deux des compétitions de mode les plus prestigieuses destinées aujourd’hui aux jeunes designers.
“Je dois dire que ça ne m’angoisse pas outre mesure, lance Christelle Kocher à propos de ses nominations. Pour moi, le prix est juste un bonus. Je pense qu’avoir la chance de rencontrer tous ces professionnels talentueux est la vraie récompense.”
Kocher, qui a lancé son label en 2014, a fait, presque du jour au lendemain, sensation. Et ce grâce à sa capacité à mixer des techniques traditionnelles de broderies, le travail des plumes et celui de la maille avec l’esthétique urbaine du streetwear, rendant plus pertinent et moins élitiste l’aspect artisanal de son travail.
Quand nous nous sommes rencontrées pour la première fois, elle revenait d’un voyage au Japon où elle s’était rendue pour y lancer sa marque. Et il est aisé d’imaginer son style éclectique séduire un pays réputé pour son amour de la tradition et l’identité vestimentaire dynamique et affirmée des jeunes Japonais.
De gauche à droite : Christelle Kocher, fondatrice du label Koché et détails d’un look automne-hiver 2016-2017
Photo : Guillaume Belvèze
« Ma marque n’est pas là juste pour être une marque française, explique la créatrice. Dès le début, nous avions l’ambition d’y incorporer de multiples et différents sentiments multiculturels. Il était donc très important à mes yeux de lancer la marque au Japon. Recevoir un accueil aussi chaleureux là-bas était vraiment incroyable. Pour moi, l’Asie c’est un peu le futur, d’une certaine façon. »
Née et élevée à Strasbourg, Christelle est la cadette d’une famille qui n’entretient aucune sorte de connexion avec le monde de la mode. Dès son plus jeune âge, elle s’éprend de dessin et de tricot. Un jour, à la télévision, elle tombe sur un documentairesur les créations haute couture de Christian Lacroix et réalise qu’elle pourrait gagner sa vie en faisant ce qu’elle aime. « C’était ça, et je savais ce qu’il me restait à faire », raconte-t-elle.
Pour ceux extérieurs au cercle restreint du monde de la mode, Kocher a tout l’air d’une sensation soudaine. Mais la créatrice de 37 ans a déjà bien fait ses preuves. Après avoir obtenu en 2002 sa licence en design de prêt-à-porter féminin à la Central Saint Martins, elle a cumulé les expériences au sein de grandes maisons telles que Giorgio Armani, Chloé, Sonia Rykiel, Bottega Veneta, Dries Van Noten et Martine Sitbon. Elle ne s’y est jamais éternisée, presque comme si de chaque expérience, elle tirait un fragment de savoir qui lui permettrait plus tard d’avoir acquis suffisamment de sagesse pour pouvoir lancer sa propre entreprise.
“J’ai toujours choisi des marques avec qui je voulais réellement travailler, qui étaient toujours dirigées par la créativité, assure-t-elle. Martine Sitbon est une femme très forte et très créative. Chez Dries Van Noten, c’était génial de découvrir une marque indépendante avec un style vraiment fort, une puissance commerciale mais aussi un point de vue très personnel. Chez Chloé, il s’agissait de féminité. C’était l’ère de Phoebe [Philo], j’apprenais le « flou » et c’était fantastique de pouvoir travailler avec une maison riche d’une vraie histoire. Pour Bottega Veneta, le défi était plus grand encore. Avec Tomas Maier, nous travaillions étroitement pour développer l’idée de l’artisanat dans le prêt-à-porter féminin. »
« Je ne veux rien de nostalgique ou de poussiéreux. J’adore l’art contemporain. Je veux des choses modernes. »
Kocher est aussi une brillante, et très occupée, businesswoman. Elle occupe actuellement deux postes. Elle dirige non seulement son propre et auto-financé label éponyme mais est aussi, depuis 2010, la directrice artistique de Maison Lemarié.
Aujourd’hui propriété de Chanel, la Maison Lemarié, fondée en 1880, a construit sa renommée sur sa capacité à concevoir d’incroyables pièces à partir de plumes et de fleurs. Elle est l’un des 12 ateliers d’excellence spécialisés acquis par Chanel afin de garantir la pérennité de ces arts appliqués rares. Depuis l’arrivée de Christelle, la maison s’est métamorphosée, aussi bien au niveau des équipes que de l’état d’esprit.
“C’était un challenge immense car, quand j’ai commencé chez Lemarié, je n’avais encrore jamais fait de broderies, admet Kocher. Mais parfois, quand le fait de ne pas être specialisé dans quelque chose vous permet d’avoir un regard plus frais et plus neuf sur ce qu’il est possible de faire. Je ne veux rien de nostalgique ou de poussiéreux. J’adore l’art contemporain. Je veux des choses modernes.”
Dans les faits, cela s’est manifesté par la transition d’une équipe de 20 femmes d’un certain âge vers un effectif de plus de 100 personnes dont 80% ont entre 20 et 40 ans. Et ce n’est pas tout, l’équipe de Kocher chez Lemarié est désormais internationalement et culturellement diverse. Et la langue que l’on parle le plus au sein de l’entreprise est l’anglais.
Christelle Koché est à la tête depuis 2014 de son label Koché et depuis 2010 de la Maison Lemarié.
Photo : Guillaume Belvèze
La leçon qu’il faut retenir de Christelle est sa conviction que le brassage culturel est l’unique clé de la force et de la créativité. Que ce soit à travers des mélanges de tissus traditionnels, des techniques de création, des silhouettes de sa création ou des gens aux origines culturelles varies avec qui elle travaille. “Il y a de nombreuses superpositions dans mon travail. Je pense que ce mot est essentiel pour moi, superposer. Superpositions d’artisanat, superpositions de culture, superpositions de matières », confirme-t-elle.
Ce concept de melting-pot se propage jusque dans ses défilés. Elle les a affranchis des exclusifs salons français où tout le monde dispose d’un siège attribué selon une hiérarchie établie et a préféré descendre son monde dans la rue. Elle avait présenté l’un de ces précédents shows dans le centre commercial du Forum des Halles au cœur de Paris et investissait dernièrement un passage couvert dans un quartier parisien cosmopolite. C’est ainsi que l’élite de l’industrie de la mode s’est rertrouvée debout, coude à coude avec des Parisiens arrivés, malgré eux, à temps dans le passage pour la révélation de la collection Koché.
« J’aime le luxe, je m’y suis entrainé et je suis légitime puisque j’ai travaillé dedans de nombreuses années. Mais la façon dont je m’habille et ma propre culture sont très populaires. J’ai voulu trouver un moyen personnel qui soit plus pertinent aux yeux des gens qui vont vraiment porter les vêtements à la fin du compte », explique Christelle Kocher.
L’atelier du label Koché.
Photo : Guillaume Belvèze
La créatrice, que l’on pourra croiser dans des expositions d’art ou dans des parcs où elle sort courir pour décompresser, confesse son besoin de contrôle permanent. Elle s’épanouit en ce moment dans tous les aspects de la construction de son label, au-delà de la plus pure création. Le choix de la musique d’un défilé, la conception d’une présentation ou la façon de photographier le lookbook de sa collection lui apparaissent tout aussi fascinants. Tout comme le très concret côté commercial, que de nombreux designers en herbe ont souvent bien du mal à appréhender. Mais pour Christelle Kocher, s’ocupper de cet aspect commercial dans l’optique de faire croître son entreprise lui permet, à tour de rôle, de composer ses créations uniques.
“Si vous êtes incapables de gérer vos finances, si vous ne contrôlez pas tout, vous ne pourrez jamais accéder à la liberté créative”, lance-t-elle convaincue avant de se replonger dans la confection de sa prochaine collection.