Alors que la légendaire enseigne et son établissement historique situé au cœur du quartier de Barbès à Paris sont menacés de disparaître, le mythe Tati et son iconique imprimé continuent de passionner, les foules et la mode. Retour sur une saga bleu, blanc, rose.
Tati, quatre lettres qui sonnent comme une promesse pour toute une génération de français unis sous l’étendard bleu, blanc et rose de la débrouille, de la récup’, du Hard Discount et de la famille. Tati aura indubitablement marqué son époque de son empreinte. Si la mythique chaîne de magasins connaît aujourd’hui des difficultés qui pourraient bien sonner son heure, Tati a longtemps émerveillé la France et fasciné la mode.
Créé en 1948 par Jules Ouaki, Tati s’installe dans le quartier de Barbès à Paris et ouvre son premier magasin pour femmes afin de répondre à la demande croissante de la population en produits textiles à bas prix. Ici, pas de sonnettes à l’entrée des clients, pas de présentoirs, les acheteurs sont invités à plonger les mains dans de larges bacs et toucher directement la marchandise, à la recherche de la perle rare. Pour affiner son identité, Tati s’inspire d’une étoffe dénichée au marché Saint-Pierre par madame Ouaki pour créer son immortel tartan et s’entiche du slogan à l’imparable simplicité : « Les plus bas prix ». Le mythe Tati était né.
L’enseigne connaît un succès populaire dans les années 1960, incarné par une Brigitte Bardot qui se marie en robe vichy rose et blanc en 1959, ce sont désormais toutes les femmes de France qui se mettent à adopter le « look Tati ». En 1962, sort l’iconique cabas qui fera le plus gros succès du magasin qui, de ses modestes 50m² à ses débuts atteindra les 3000m² à la fin des années 1970. À l’aube du nouveau millénaire, la chaîne (désormais gérée par le fils Ouaki) se diversifie (voyage, mariage, optique et même bonbons) mais subit de plein fouet l’arrivée sur le marché d’une nouvelle concurrence représentée par les géants Kiabi, H&M, Uniqlo ou Primark.
Aussi, la marque souffre des bazars du quartier qui proposent sans scrupule des contrefaçons de l’historique cabas. Des contrefaçons qui n’en sont pas vraiment puisque – et c’est capital dans l’histoire du magasin – Tati n’a jamais pris soin de déposer et protéger son motif signature. Après un premier rachat en 2008 par le groupe Eram, l’avenir de Tati est une nouvelle fois menacé.
Pourtant, Tati conserve une aura populaire considérable et en 2000, le rappeur Rim’K et le 113 assoient encore un peu plus sa légende dans Tonton Du Bled et son clip tourné devant l’un de leurs magasins : « Vu qu’à Paris j’ai dévalisé tout Tati / J’vais rassasier tout le village même les plus petits / Du tissu et des bijoux pour les jeunes mariés / Et des jouets en pagaille pour les nouveaux-nés ». En quelques rimes, le rappeur du 94 aura réussi à assurer la street crédibilité de l’enseigne : « Quelques mois après avoir tourné le clip de Tonton du bled, je me rappelle qu’on avait fait la couverture de Tati magazine. Ma mère était trop fière, ça envoyait du lourd pour elle […] On a fait tellement de pub à Tati qu’ils ont fini par s’installer en face de chez moi à Vitry », se souvient-il dans Les Inrocks. Plus qu’une simple chaîne de magasins, Tati s’est inscrit à l’encre rose dans l’histoire de la pop-culture française et demeure à jamais gravé dans l’imaginaire collectif. L’enseigne fascine, à commencer par le monde du luxe.
De gauche à droite : David Bowie et Iman Abdulmajid en Azzedine Alaïa, Christy Turlington en Azzedine Alaïa par Patrick Demarchelier pour Vogue USA en mai 1991
Retour en 1991, Tati est alors la référence française de hard discount, mais c’est paradoxalement sur les podiums de haute couture que la marque va signer son plus grand coup d’éclat cette année-là. De passage à Paris en 1990 en compagnie du peintre et cinéaste new yorkais Julian Schnabel, le créateur Azzedine Alaïa, au sommet de son art, est frappé d’un éclair devant le magasin boulevard de Rochechouart. Interrogé par Libération en 2004, il se souvient alors : « Julian avait découvert le fameux imprimé pied-de-poule sur lequel il voulait peindre des toiles (…) cette histoire m’a donné l’idée d’en faire autant, en reprenant le même motif pour ma propre collection. En échange, j’ai accepté de leur dessiner gratuitement un sac, un tee-shirt et des espadrilles. Mes jeans et ma maille ont bien marché, mais rien à voir avec l’énorme succès rencontré avec les créations pour Tati.(…) Ce qui m’excitait, c’était d’accoler mon nom, l’univers de la haute couture, avec cette marque qui était alors la moins chère de toutes ». Le succès est phénoménal et la même année, le monstre David Bowie consacre la nouvelle notoriété de Tati en se laissant photographier en short vichy rose issu de la collection pour le Elle.
De gauche à droite : Louis Vuitton printemps-été 2007, Céline automne-hiver 2013
L’enseigne « au plus bas prix » gagne ses lettres de noblesse dans le très fermé monde du luxe. Il faudra pourtant attendre une quinzaine d’années avant de revoir son tartan fouler les catwalks. C’est cette fois Marc Jacobs alors aux commandes des collections Louis Vuitton qui, en printemps-été 2007, s’amuse à réhabiliter avec humour le bleu-blanc-rose avec une version revisitée du sac Barbès en cuir tressé frappé du sceau « Louis Vuitton Trunks & Bags ». Plus tard, pour l’automne-hiver 2013-2014, c’est au tour de Phoebe Philo, directrice artistique de Céline, de rendre hommage à Tati avec plusieurs pièces teintées du fameux carreau Barbès, et sort également une paire de slip-ons du même imprimé. Largement applaudie, cette collection hommage rend-elle pour autant justice à l’enseigne qui, rappelez-vous, n’a jamais protégé son imprimé, et ne tirerait donc pas entièrement profit de cette soudaine hype ? Pour contre-attaquer, Tati sort dans la foulée une capsule dont une paire de slip-ons imprimée au prix de 17,90€. Carton plein, la collection est rapidement sold out.
De gauche à droite : campagne Balenciaga automne-hiver 2016 par Mark Borthwick, Maison Margiela printemps-été 2017
La deuxième moitié de la décennie voit arriver l’ère du détournement et son plus bel ambassadeur Demna Gvasalia, fraîchement nommé nouveau directeur artistique chez Balenciaga, ne manquera pas l’occasion de s’approprier la pièce maîtresse du vestiaire Tati pour l’automne-hiver 2016-2017 en présentant un sac (d’ailleurs porté par une mannequin en manteau tartan gris) qu’il appelle « refugees bag » et dont les dimensions XXL ne sont pas sans rappeler le légendaire cabas Barbès. Une saison plus tard, un John Galliano ressuscité dévoilait chez Maison Margiela un trench-robe jaune aux apparentes doublures à l’imprimé que vous devinez. Partout dans la mode, les références, assumées ou plus subtiles, sont multiples.
À défaut de pouvoir apposer son nom directement sur les podiums, Tati va tenter un ultime coup de poker en attirant les podiums directement dans ses bacs, grâce à une collaboration surprise au printemps 2016 avec la journaliste et productrice Mademoiselle Agnès. « J’adorais l’idée de la pure parisienne qui va s’encanailler à Barbès plutôt qu’à Saint-Germain-des-Prés », lance-t-elle dans Grazia. Intitulée « Barbes Fashion Day », cette collaboration voit sept jeunes créateurs (Carolina Ritzler, Laurence Airline, Laetitia Schlumberger, Delphine Cauly, Julie Rubio, Laila Soarès et Madj Bazerji) sélectionnés par Mademoiselle Agnès pour prendre possession de l’identité Tati le temps d’une collection capsule.
Malgré tout, l’enseigne traîne la patte et fin février 2017, une banque d’affaires est mandatée pour vendre les 140 magasins français avant que la chaîne de magasins ne soit déclarée en cessation de paiement fin avril. Si l’horizon s’est subitement assombri du côté de Barbès, une éclaircie n’est pas à exclure : « Nous avons reçu une demi-douzaine de marques d’intérêt pour la reprise de Tati », précise à l’AFP Michel Rességuier, dirigeant d’Agora Distribution, qui regroupe Tati et les autres enseignes à bas prix du groupe Eram. Parmi elles, deux offres fermes dont une du groupe Gifi qui prévoit de garder la marque et l’activité de l’enseigne. Tati n’a pas dit son dernier mot.