Pourquoi faut-il mettre fin à la domination de l’Homme sur l’animal ? L’interview d’Aymeric Caron

Article publié le 16 février 2018

Texte : Alexandre Chavouet

Refusant de placer l’Homme au-dessus des autres animaux, le mouvement antispéciste lutte pour une « écologie essentielle » respectant leur condition de vie, et dénonce leur exploitation qu’il juge illégitime. Le journaliste et essayiste vegan Aymeric Caron, auteur d’un ouvrage sur le sujet, revient sur ce combat qu’il incarne en analysant ses enjeux.

Lundi 4 décembre 2017. C’est l’événement au Zooparc de Beauval. Les photographes sont en nombre pour immortaliser la visite de Brigitte Macron, l’épouse du Président de la République venue tout spécialement pour faire la connaissance du premier bébé Panda né en France. Il s’appelle Yuan Meng, sa marraine n’est autre que la Première dame de France et il va faire la une des médias. Les Français s’attendrissent sur ce bébé panda que les journalistes humanisent au point de révéler le nom des parents. Yuan Zi et Huan Huan n’auraient jamais pu imaginer un tel accueil pour leur progéniture de la part de créatures qui déciment chaque année 70 milliards de mammifères et d’oiseaux, ainsi que 1000 milliards d’animaux marins.
L’être humain est ainsi. Pour lui, il y a d’un côté les animaux qui font partie de la famille et de l’autre, les animaux que l’on relègue au rang d’objet. Yuan Meng a eu beaucoup de chance, il aurait pu finir dans une assiette ou sur une paire de chaussures. Cette schizophrénie est le combat des antispécistes, qui militent pour l’intégration de tous les êtres vivants sensibles dans une même famille de considération morale. Auteur de l’ouvrage Antispéciste paru en 2016, Aymeric Caron milite pour réconcilier l’Homme, l’animal et la nature.
Avant lui, Montaigne, Darwin, Gandhi, Victor Hugo, Émile Zola ou encore Rousseau ont participé à une philosophie visant au respect et à la libération du monde animal. La science confirme aujourd’hui que tout animal est un individu à part entière. Il possède son univers mental, éprouve des sentiments et est capable d’élaborer des projets plus ou moins développés. L’éthologue Marc Bekoff a démontré que toutes les études comportementales et neurobiologiques révèlent que les animaux partagent les émotions, sensations que nous connaissons comme la peur, la colère, la tristesse, la joie et bien sûr la douleur. Les découvertes sur la conscience animale sont telles qu’en 2012, un groupe de scientifiques a signé à l’Université de Cambridge, en présence de Stephen Hawking, une déclaration de conscience des animaux qui stipule que les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques qui produisent la conscience.
Dans son livre qui traite de l’antispécisme sous les angles économiques, politiques, scientifiques, philosophiques ou cosmologiques, Aymeric Caron écrit que les groupes industriels, agroalimentaires et le lobby agricole, extrêmement puissants car liés aux sphères politiques et médiatiques, font tout pour dissimuler ou atténuer la vérité sur ce que sont et subissent les animaux. Pour Aymeric Caron, l’humanité doit élargir sa sphère de considération morale au monde animal. C’est selon lui la nouvelle étape de l’humanisme, vers laquelle on se dirige, à en juger par le nombre croissant d’individus ayant effectué une prise de conscience, dont les décisions cumulées peuvent provoquer un effet papillon.

« Les défenseurs de l’esclavagisme de l’époque et de l’exploitation animale sont mus par la même logique : celle de l’argent et du profit.»

Antidote. Dans votre livre Antispéciste, vous parlez des animaux en employant les termes « les animaux non-humains sensibles ». Pourquoi cette précision systématique ?
Aymeric Caron. Il ne s’agit pas d’un choix subjectif de ma part, mais d’une précision fidèle à la réalité. Dire « les hommes et les animaux » est une erreur sémantique qui perdure depuis des siècles. Elle découle d’une vision selon laquelle les hommes et les animaux évolueraient dans deux mondes séparés, distincts. Il s’agit là d’une contre-vérité absolue, ce qui a été prouvé à de multiples reprises par Darwin au XVIIIème siècle puis par diverses disciplines scientifiques modernes, telles que les neurosciences ou encore la génétique. Lorsque je précise « les humains et les animaux non-humains sensibles », j’utilise le vocabulaire pour lui faire rendre compte de la réalité. Distinguer les hommes et les animaux dans le langage revient à entretenir une conception inexacte et dépassée.
Selon vous, l’homme oublie qu’il est lui-même un animal et que l’animal est un individu à part entière. Comment s’exprime l’individualité chez l’animal ?
Un individu c’est quoi ? C’est un être vivant qui a une conscience et qui expérimente le monde à travers une perception qui lui est propre. Tout individu est une singularité. Face à une même situation, j’éprouverais peut-être une douleur que vous n’éprouverez pas, un plaisir que ne ressentirez pas ou le contraire. C’est la même chose pour les animaux non-humains, qui sont dotés comme les humains de cette capacité à ressentir le monde. Ils expérimentent leur présence à la vie de manière individuelle, même lorsqu’ils sont dans des troupeaux, des groupes où le nombre d’individus est extrêmement élevé comme par exemple dans une fourmilière ou dans une ruche. On peut avoir l’impression d’être face à une masse indifférenciée comme si un cerveau de groupe était aux commandes. Il n’en n’est rien. Il y a bien entendu dans les troupeaux des comportements collectifs mais, dans ces groupes, il y a derrière chaque être déterminé une manière particulière de percevoir et de vivre la vie. Certains ont même choisi d’appeler les animaux des « personnes », et je suis d’accord avec cette dénomination. On pourrait dire que tout animal est une personne, que ce soit un animal humain ou un animal non-humain sensible.
Vous faites le parallèle entre « exploitation animale » et « esclavagisme ». Ces deux phénomènes s’appuient, selon vous, sur des mécanismes identiques destinés à exploiter des être sensibles et intelligents.
C’est une comparaison qui peut choquer lorsqu’on adopte une vision spéciste sur cette problématique. Certaines personnes vont considérer qu’il est insultant à l’égard des esclaves d’oser comparer leur situation à celle d’animaux non-humains. En ce qui me concerne, je n’y vois rien d’injurieux. J’observe juste que les deux phénomènes reposent en effet sur des mécanismes similaires. Dans les deux cas, il s’agit d’une négation de l’individu. On disait d’un esclave noir qu’il n’avait pas les mêmes besoins qu’un blanc, qu’il n’était pas aussi intelligent, qu’il fallait qu’on s’occupe de lui parce que sinon il aurait été incapable de survivre livré à lui-même. Pour les esclavagistes, il y avait cette idée profondément ancrée que l’esclavage était inéluctable, que c’était dans la logique des choses et que les esclaves en étaient les premiers bénéficiaires. Concernant l’exploitation animale, les arguments sont identiques. On nie l’individu pour le réduire au rang d’objet. On nie que les animaux d’élevage sont des êtres sensibles, intelligents, sociables. On nie leurs besoins vitaux, leurs envies de jouer, de se divertir. On nie leur capacité à ressentir le plaisir, la joie, la souffrance, la douleur.
Les animaux non-humains sont très proches des humains en de très nombreux points. La différence est une différence de degré et non de nature. Pour pouvoir exploiter les animaux non-humains, on réfute cette réalité. On considère qu’il est normal qu’une poule soit enfermée dans une cage toute la journée, pour pondre dans un espace dont la surface au sol n’est pas plus grande qu’une feuille A4. Sauf que la poule a besoin d’espace. Elle adore creuser, monter sur des arbres, elle est curieuse et affectueuse. Elle vit une vie sociale organisée avec des règles. J’ai moi-même des poules et je peux vous dire qu’il suffit de les observer se dorer au soleil, courir dans le jardin ou simplement dire bonjour le matin pour comprendre combien le sort qui leur est réservé dans les élevages est une barbarie absolue. Comme pour l’esclavagisme, les arguments avancés pour justifier cette exploitation de masse consistent notamment à dire que si l’Homme ou les groupes industriels n’existaient pas, ces animaux ne sauraient subvenir à leurs besoins. Que s’ils existent et vivent, c’est grâce à nous. Les défenseurs de l’esclavagisme de l’époque et de l’exploitation animale sont mus par la même logique : celle de l’argent et du profit.

« Notre société est régie en tous domaines par les principes de domination et de concurrence, qui génèrent chaque jour leur lot impressionnant de victimes. Je pense vraiment que si les informations révélaient tout à coup quotidiennement cette réalité, il y aurait une révolution au bout de quelques mois. »

Le sujet de l’exploitation animale est absent de la scène médiatique. La réalité, notamment des abattoirs ou encore de l’élevage industriel, est révélée essentiellement sur le web par des caméras cachées d’associations et de particuliers. Pourquoi les médias ne relaient-ils pas davantage ce qui se joue dans les coulisses ?
Notre société est profondément destructrice sur tous les plans. Notre système détruit les humains, la planète, les animaux non-humains. D’une certaine manière, nous avons besoin d’être détournés de cette réalité. Nous mettons alors en place des procédés qui nous donnent bonne conscience et qui nous rassurent. On constate par exemple que les journaux télévisés adorent nous présenter des histoires positives, comme la mobilisation solidaire à tel endroit de quelques personnes vis-à-vis d’individus qui sont dans le besoin. On met aussi en avant des exemples d’entreprises dites vertueuses qui se préoccupent de l’environnement. Ces sujets qui racontent l’exception sont des écrans de fumée qui masquent une vérité générale bien moins reluisante, à savoir que notre société est régie en tous domaines par les principes de domination et de concurrence, qui génèrent chaque jour leur lot impressionnant de victimes. Je pense vraiment que si les informations révélaient tout à coup quotidiennement cette réalité, il y aurait une révolution au bout de quelques mois.
Heureusement, des associations et des livres font ce travail de communication. Mais notre système vise à endormir les gens et les réalités de l’exploitation animale ne sont pas révélées. On ne montre pas vraiment les véritables conditions de détention des animaux, on ne dit pas qu’ils vivent 6 mois alors que si on les laissait vivre tranquillement ils pourraient vivre 15 ou 20 ans, on ne dit pas combien ils souffrent, comment ils sont entassés, sans oublier tous les médicaments qu’ils sont contraints d’avaler. Il faut mentir sur tout cela. Si la réalité émergeait, des pans entiers de l’économie s’effondreraient. L’être humain étant capable d’empathie, il est aisé de l’attendrir avec des sujets touchants pour mieux l’endormir.
Photo par Patrick Weldé pour Antidote : Earth été 2018
Pour quelles raisons pensez-vous qu’il est inutile de compter sur le mouvement écologique actuel, que vous appelez « écologie molle », pour dénoncer l’exploitation animale et reconnaître les animaux comme des individus à part entière ?
Depuis quelques années en France, l’écologie politique en place n’a pas pris la mesure des enjeux liés à la condition animale. Elle continue à envisager les animaux comme une simple partie d’un écosystème qui doit nous être utile à nous les humains. Pour ces écologistes, il faut préserver les animaux, mais au nom d’une diversité dans laquelle l’humain s’inscrit. Elle vise surtout à préserver la vie que nous allons exploiter pour notre propre bénéfice. Les partisans de l’écologie molle vont simplement dire qu’il nous faudrait une quinzaine de loups dans telle région car cela profiterait à la biodiversité, mais dans le fond ils ne s’intéressent pas à la valeur intrinsèque de ces individus. Ils les considèrent un peu comme des objets, dans le sens où ils ne s’intéressent pas à la personnalité, aux émotions, et aux besoins de l’animal non-humain.
Ce qui est considéré, c’est le service que l’animal va pouvoir rendre à la diversité : ce loup a été tué, ce n’est pas grave, on va retrouver un autre spécimen pour le remplacer. Je n’ai jamais entendu l’un des actuels porte-parole de l’écologie politique parler de la condition animale autrement que sous cet aspect de biodiversité. Je n’ai jamais entendu un de ces porte-parole dénoncer les conditions d’élevage d’une espèce ni s’insurger contre les conditions d’abattage. Certains écologistes se mobilisent pourtant sur ces sujets mais ils ne sont pas les plus connus. Parmi tous les leaders charismatiques et médiatiques depuis 10 ou 20 ans, je n’ai jamais entendu un seul écologiste expliquer pourquoi il est important de réduire sa consommation de viande, pourquoi il est important d’être végétarien ou végétalien. C’est une question qui ne les intéresse pas. Ce sont des gens qui n’ont pas pris la mesure de ce qu’est l’éthique animale, ils ne comprennent pas ce qu’est le respect intrinsèque du vivant. Nous évoluons dans une vision dépassée des choses où la nature, ce qui est autour de nous, doit nous servir à nous, êtres humains.
Bien-sûr, les écologistes nous alertent sur la destruction de cette nature et sur l’urgence d’y mettre fin, ou du moins de l’atténuer, mais c’est exclusivement en considération des problèmes que cela pourrait nous causer à nous les hommes. La survie de l’espèce humaine est une question importante, bien évidemment. Mais ce qui m’intéresse, c’est que chaque expression du vivant sur cette planète puisse continuer à s’étendre et à profiter d’elle-même. Il est fondamental à mes yeux que l’Homme limite au maximum ce que j’appelle notre empreinte négative sur le vivant, c’est-à-dire le degré de destruction occasionné par notre vie et notre survie sur le vivant tout autour de nous.

« La fin de l’exploitation animale va prendre un certain temps, mais il peut être assez court à l’échelle de la vie sur Terre. »

Vous êtes partisan d’une écologie essentielle, en quoi consiste t-elle ?
Le philosophe Arne Næss (1912-2009) est un peu considéré comme le parrain de l’écologie profonde. Ce que je propose puise au sein de cette écologie profonde, mais y rajoute d’autres paramètres comme l’éthique animale. J’ai baptisé ce mouvement « écologie essentielle ». Pourquoi essentielle ? Parce qu’elle revient à l’essence de ce que doit être l’écologie, et aussi parce qu’elle est pour moi indispensable aujourd’hui. Il s’agit d’une écologie métaphysique, contrairement à l’écologie molle, qui est une écologie mathématique. L’écologie molle va faire des calculs. Elle va dire par exemple : « on rejette tant de CO2 dans l’atmosphère, c’est beaucoup trop, il nous faut trouver un taux de CO2 qu’il est acceptable de rejeter ». Cette écologie va aussi calculer dans une forêt combien de loups, de daims ou de sangliers nous allons laisser vivre. Elle négocie donc sur un degré de destruction de la nature. Dans cette écologie, les animaux ne sont pas considérés comme des individus mais comme un groupe qu’on peut gérer avec des équations mathématiques : des additions, des soustractions, des multiplications, des divisions.
L’écologie essentielle, quant à elle, va réfléchir aux droits que toute expression du vivant peut acquérir par sa simple présence sur Terre, en dehors de tout utilité pour l’être humain. Un lapin n’a-t-il pas finalement le même droit de vivre que vous et moi ? Je pense que oui. Pourquoi ? Parce que ce lapin ou cette vache, quand ils arrivent sur cette planète, ont le même vouloir-vivre que vous et moi. De nombreux philosophes ont parlé de cette force qui anime tout être vivant. C’est le « vouloir vivre » de Schopenhauer, c’est le « conatus » chez Spinoza, c’est « la volonté de puissance » chez Nietzsche. C’est tout simplement ce qui fait que chaque être vivant travaille à défendre sa vie, et à son amélioration. Cela concerne aussi bien les humains que les animaux non-humains. En tant qu’être humain nous avons établi parmi nos droits fondamentaux celui de survivre. Personne n’a le droit de porter atteinte à votre existence. Personne n’a le droit de vous tuer, de vous violenter. Je considère que chaque individu sur cette planète doit disposer des même droits fondamentaux. Les antispécistes considèrent que tous les animaux non-humains sensibles doivent jouir du même droit de vivre. Ils doivent être préservés de la torture, de l’emprisonnement. J’ajouterais également le droit de ne pas être vendu, car cela engendre les mauvais traitements que nous connaissons.
Au sein des antispécistes, deux courants s’opposent : les welfaristes et les abolitionnistes. Les premiers luttent pour l’amélioration du bien-être animal et les seconds, dont vous faites partie, réclament la fin pure et simple de l’exploitation animale. Les deux camps s’accordent sur le fait que la libération animale est en marche. Quels sont les signes que vous observez aujourd’hui, et ceux qui devraient apparaître dans un futur proche ?
La transition est en marche. En quelques siècles, il y a beaucoup de choses qui ont évolué dans notre rapport à l’animal. On a commencé à donner des droits fondamentaux à certains d’entre eux, à savoir nos animaux de compagnie, qui sont aujourd’hui protégés par la loi. Il faudrait bien sûr étendre ces droits aux autres animaux, ceux qu’on exploite encore pour différentes raisons, et renforcer les législations qui sont déjà en place. Les commerces du cuir et de la fourrure sont à mon sens voués à disparaître assez rapidement. Plusieurs marques commencent à faire des manteaux et des duvets sans plumes de canards, parce que le consommateur devient davantage conscient de ce qu’il se passe. Des matières synthétiques, nouvelles, remplacent de plus en plus souvent les peaux et les plumes des animaux. Petit à petit, progressivement, je crois que des pans périphériques de l’exploitation animale vont disparaître. Je pense notamment à la corrida, qui sera bientôt abolie, j’en suis persuadé. Le plus ennuyeux c’est le commerce de la viande, du lait, et des produits laitiers, qui génère un chiffre d’affaire astronomique. D’après la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr), l’élevage fait vivre près d’un milliard et demi de personnes dans le monde. Donc on voit bien les résistances qui vont s’organiser un peu partout. Puisque tout est une question d’argent, il n’est pas utopique d’imaginer que sous la pression des citoyens-consommateurs, les groupes industriels concernés aujourd’hui par l’exploitation animale s’adaptent et organisent une transformation. Aujourd’hui déjà, des entreprises connues pour faire du jambon ou de la viande depuis des décennies se mettent à faire des steaks végétaux. C’est bien la preuve qu’il y a une transformation profonde qui est engagée. La fin de l’exploitation animale va prendre un certain temps, mais il peut être assez court à l’échelle de la vie sur Terre.
Concernant les droits des animaux, vous précisez qu’il n’est pas du tout question d’enlever des droits aux hommes, mais d’en accorder à de nouveaux individus. Quels seraient les droits principaux pour ces animaux non-humains sensibles ?
Je vois quatre droits fondamentaux et essentiels : le droit de ne pas être tué, le droit de ne pas être emprisonné, le droit de ne pas être torturé, et le droit de ne pas être vendu. Je milite pour que ces quatre droits fondamentaux puissent être mis en place assez rapidement pour tous les animaux.
Photo par Patrick Weldé pour Antidote : Earth été 2018
L’antispécisme implique que l’homme élargisse sa sphère de considération morale. En quoi l’antispécisme est-il le nouvel humanisme, que vous appelez d’ailleurs « anumanisme » ?
L’humanisme, c’est l’idée que l’homme progresse en faisant évoluer son comportement grâce à un certain nombre de valeurs très fortes telles que la solidarité, l’entraide, l’empathie. Grâce à l’humanisme, la sphère de considération morale s’est étendue au fil du temps. Il y a environ 25 siècles, chez les Grecs, qui ont inventé la démocratie, un citoyen c’était initialement un homme grec blanc. Les femmes, les esclaves, et les étrangers étaient exclus de la citoyenneté. Donc finalement, à l’époque, il y avait beaucoup d’individus qui n’étaient pas considérés comme des humains à part entière. Et puis, cette sphère de considération morale s’est élargie au fil des siècles, aux femmes puis aux esclaves qui ont retrouvé leur humanité. L’esclavage subsiste malheureusement dans un certain nombre d’endroits aujourd’hui, mais officiellement, il a été aboli un peu partout. La considération morale s’est étendue aux hommes et femmes de couleurs, aux hommes et femmes de toutes les religions, aux homosexuels. Même si, malheureusement, le combat continue encore pour certaines de ces catégories sur des points précis et dans certains pays – comme pour l’homosexualité, encore visée par des lois discriminatoires dans une centaine de pays -, dans les démocraties « avancées » les lois affirment l’égalité de tous les individus quel que soit leur sexe, leur religion ou leur orientation sexuelle.
Je propose d’élargir encore un peu plus cette sphère de considération morale, pour étendre ce combat humaniste aux animaux non-humains. Puisque l’humanisme est un combat pour la justice, en faveur de celui qui est opprimé, il est tout à fait logique de considérer que le combat pour les animaux est un combat humaniste. Je ne parle évidement pas de l’humanisme hérité de la philosophie des Lumières qui considère que l’être humain est une créature tellement extraordinaire qu’elle est au-dessus des autres. Je réprouve cet humanisme anthropocentrique. L’humanisme élargi auquel je fais référence pourrait effectivement s’appeler « anumanisme ».
La vie a pour spécificité de se nourrir d’elle-même. La nature n’est pas de tout repos pour les êtres vivants, et peut sembler extrêmement cruelle. Selon vous, les hommes possèdent quelque chose qui ne se rencontre pas dans cette nature dévoreuse de vie, et qui pourrait permettre à l’humanité et à tous les animaux non-humains sensibles de vivre ensemble en harmonie : la morale.
J’en suis intimement persuadé. Lorsqu’on regarde l’histoire du vivant on constate que la dernière création, la dernière apparition dans ce cycle du vivant, c’est la morale. Il y a eu la conscience d’abord puisque le vivant a été longtemps animé sans qu’il y ait de conscience. Il est vrai que la nature en elle-même n’a pas de morale. Le vivant se nourrit du vivant, la mort est omniprésente. À moins de croire en Dieu, on ne peut pas déceler de dessein moral derrière les processus du vivant. En revanche, chez l’être humain la morale a pu se développer notamment grâce au langage et aux concepts que nous pouvons appréhender. Nous avons fondé une société sur la morale, on a créé des lois, des choses qu’on s’interdit de faire parce que ce n’est pas bien. On a créé des religions qui distinguent les comportements éthiques de ceux qui ne le sont pas. C’est très intéressant parce que la morale nous fait sortir de la nature et de ses lois physiques. Ce qui signifie que nous pouvons nous servir de notre pouvoir pour agir sur la nature, et essayer de lui donner un sens éthique. Je pense qu’on assiste depuis quelques millénaires à une progression morale de l’humanité – malheureusement entre­coupée de nombreuses crises, comme celle que nous traversons aujourd’hui – et il faut que ce mouvement continue.
Selon vous, les actes individuels que nous effectuons dans notre quotidien pour participer à la libération animale ne sont pas futiles. Les conséquences de nos choix de citoyen et de consommateur ont un réel impact sur le monde et l’exploitation animale. Vous illustrez cela dans votre livre Antispéciste en décrivant l’effet papillon. Chacun de nos gestes, chacune de nos décisions et hésitations provoquent des centaines de micro-événements qui génèrent des réactions. Quels sont les actes à réaliser dans notre quotidien pour que cesse l’exploitation animale ?
L’exploitation animale est l’un des domaines sur lesquels nous avons le plus de moyens d’agir. Aujourd’hui, le pouvoir n’est plus dans les mains du citoyen, mais dans celles du consommateur. Si tout à coup on s’arrête de consommer un produit, alors les industries et les politiques sont obligés de changer leur fusil d’épaule et de s’adapter. C’est sans doute aujourd’hui le seul levier d’action efficace que nous ayons. Donc chaque individu qui choisit de ne plus manger de viande, de ne plus boire de lait, qui choisit de ne plus acheter des produits issus de l’exploitation animale tels que la fourrure, du cuir, etc. entre en résistance politique et agit de manière efficace sur le système. C’est la raison pour laquelle il y a aujourd’hui de nouveaux produits lancés sur le marché qui sont faits par des entreprises n’ayant rien d’altruiste, et qui n’ont aucun intérêt particulier pour la cause animale. Elles se rendent juste compte qu’il y a des parts de marchés à conquérir. Le marché représenté par ceux qui défendent les droits des animaux est un marché jugé intéressant. Toute personne mettant en œuvre l’antispécisme dans son quotidien agit ainsi pour la cause animale.
Dernière question plus personnelle : vous avez dédicacé votre livre Antispéciste à votre grand-père Cornelis Blumentritt, pour quelle raison ?
Mon grand père est un homme qui a énormément compté dans ma vie. Il vivait aux Pays-Bas comme plusieurs membres de ma famille car ma mère est hollandaise. Il est pour beaucoup dans l’homme que je suis devenu parce qu’il a toujours rendu magiques les moments que nous partagions. Sa philosophie de vie, son élégance, sa générosité, sa singularité, son humour en toutes circonstances m’ont profondément marqué. C’était un homme exemplaire, un personnage de roman. Il est décédé quelques mois avant que je finisse le livre. Cela a été très étrange pour moi de me dire, alors que j’avais 45 ans, que je devais continuer à vivre alors que lui n’était plus là. Beaucoup de pages du livre ont été écrites en pensant à lui. J’essaye de prolonger un peu ce qu’il a été.
Cet article est extrait de Magazine Antidote : Earth printemps-été 2018 photographié par Patrick Weldé.

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