En réponse à l’incertitude croissante au sein des sociétés européennes et américaine, la fête semble être l’unique exutoire de nombreux designers embarqués dans une rave sans fin ni limite. Une proposition créative hédoniste certes, mais pas dénuée de sens politique.
Samedi 21 janvier 2017, les planches des salons du Grand Palais tremblent sous l’impulsion des beats secs d’une techno crieuse, prises d’assaut par une bande de kids au look sombre qui dévalent le sol d’un pas sûr et chorégraphié. Cette scène n’est pas celle d’une free-party clandestine mais bien le défilé automne-hiver 2017 de Dior Homme imaginé par Kris Van Assche.
Dior Homme automne-hiver 2017
Un peu plus d’un mois plus tard, une autre figure emblématique de la mode, Donatella Versace, invitait la fête sur le catwalk de Versus Versace à coup de stroboscopes à faire décoller la rétine des plus sensibles. Sur le podium, les silhouettes semblent tout droit sorti d’un entrepôt de la banlieue de Londres au beau milieu de la nuit noire : cropped-top fluo ou duveteux, joggings, jupes réfléchissantes façon boule à facette, doudoune, haut transparent, total look cuir et chokers ; tout l’attirail d’un sportswear goth est déployé pour mieux sublimer une génération qui ne semble jamais vouloir s’arrêter de faire la fête.
Loin d’être isolées, ces collections s’inscrivent dans une tendance remise au goût du jour par Martine Rose à l’hiver 2014 puis à l’été 2017 par Marc Jacobs, suivis par une vague de labels britanniques, et sont symptomatiques d’une jeunesse désœuvrée qui ne demande qu’une chose : raver.
FLUOKIDS, GABBERS, RAVERS : ANATOMIE D’UNE GÉNÉRATION NOCTAMBULE
Topman automne-hiver 2017, Versus Versace automne-hiver 2017, Liam Hodges automne-hiver 2017, Marc Jacobs printemps-été 2017 et MSGM automne-hiver 2017
Les ensembles de l’automne-hiver 2017 sont colorés, pétants, tacky. Quelque part entre les ravers des nineties et les fluo kids des années 2000, plusieurs griffes ont fait, cette saison, le choix du bariolé pour coller au plus près de leurs aspirations. Chez Topman, les vestes patchwork multicolores riment avec les tops à imprimés ou autre K-Way rose fuchsia. « Les cheveux sont sales, gras, la peau aussi. C’est le look de ceux qui travaillent à l’extérieur toute la journée et qui clubbent toute la nuit », indique la marque.
Dior Homme, Cottweiler, Alexander Wang et Christopher Shannon automne-hiver 2017
Dans un tout autre style où transpiration et survêtement sont de rigueur, le gabber des années 1990, adepte de techno hardcore et de crâne à demi rasé, revit aujourd’hui ses heures de gloire. Chez Cottweiler, les cheveux sont dégoulinants, les vestes et joggings bleu pétant ou vert forêt. Chez Dior Homme, on préfère mixer un vestiaire classique sur le haut du corps avec des pièces street sur le bas. Kris Van Assche mélange gabbers, candy boys et ravers, et détourne même le travail de l’artiste Dan Witz – qui documente et peint depuis des années les mosh pits, ces danses pogo très viriles – en imprimé. En point d’orgue, le slogan « THEY SHOULD JUST LET US RAVE » apparait sur des pulls en maille sous un portrait de Christian Dior.
MISBHV automne-hiver 2017
À New York, le label polonais MISBHV se la jouait post-soviet au pays de l’Oncle Sam avec une collection intitulée « 6 years in a rave ». Lunettes kitsch, pantalon et jupe en vinyle, doudoune et survêtement rouge soviétique font office d’uniforme pour les ravers du bloc Est. Quelques jours plus tôt, Alexander Wang transformait à son tour son podium new-yorkais en fête ténébreuse, les silhouettes défilent dans des tons sombres fidèles au créateur et portent fièrement des collants signés de l’inscription « NO AFTER PARTY » avant que Wang lui-même ne surgisse des coulisses vêtu d’un sweat au même slogan.
LA FÊTE COMME EXUTOIRE
Si d’autres préfèrent afficher franchement leur propos politique, à l’instar de Raf Simons ou Demna Gvasalia chez Balenciaga ; tout ceux-là ont préféré faire de la résistance en tapant du pied au rythme des BPM. Contre Trump, le Brexit et la montée du nationalisme radical, il est important de se rappeler pourquoi faire la fête est si important.
À la fin des années 1980, début 1990, le Royaume-Uni est dirigé d’une main de fer par l’ultra-conservatrice Margaret Thatcher qui impose sa vision austère à l’ensemble du pays. Elle mène une politique de répression à l’encontre de la fête et de la musique électronique, interdisant l’ouverture des clubs et des pubs passées deux heures du matin. À l’époque, l’acid-house est omniprésente dans les milieux underground et l’ecstasy se répand comme la traînée de poudre qu’elle n’est pas ; la jeunesse abandonnée par le parti conservateur exhume alors sa frustration dans des raves géantes organisées à l’encontre des autorités qui ont pour ordre de sévèrement réprimer le phénomène. La Dame de fer ira même jusqu’à interdire les rassemblements de plus de dix personnes autour d’une musique répétitive. Continuer de faire la fête était alors devenu un ultime acte d’insolence, de désobéissance et de résistance.
« Continuer de faire la fête était alors devenu un ultime acte d’insolence, de désobéissance et de résistance. »
Une trentaine d’années plus tard, l’Angleterre semble avoir réveillé ses vieux démons conservateurs. Une fois de plus, la jeunesse est délaissée par la majorité vieillissante du pays qui vote le Brexit. À Londres, la nuit se meurt et la capitale perd la moitié de ses boites de nuit en huit ans. Comme un symbole la mythique Fabric ferme ses portes début septembre à la suite de la mort par overdose de deux adolescents. Si le club a aujourd’hui rouvert, la mauvaise santé de la nuit londonienne n’en est pas moins révélatrice d’un climat délétère.
Symboliquement, Vivienne Westwood, 75 ans et toujours aussi punk, réinvestissait le lieu le 20 février 2017 avec une fête exceptionnelle et un message : la révolution climatique. La fête, c’est aussi une utopie, un monde rêvé, hédoniste, fantaisiste, underground. Oui, la fête est un magnifique acte de résistance et il était bon de se le rappeler.