La mode à la conquête du métavers

Article publié le 14 mai 2022

Texte : Sophie Abriat. Article extrait d’Antidote Persona Issue printemps-été 2022. Photo : The Metvaerse Fashion Week, Decentraland.

Dystopie pour les un·e·s, eldorado pour les autres, le métavers est devenu, en quelques mois, un phénomène de société. Crypto-pragmatiques, des marques de luxe se lancent à l’assaut de ce nouveau monde peuplé d’avatars digitaux, dont les contours restent vagues, car tout reste à découvrir et à imaginer. Bulle spéculative ou changement de paradigme dans notre façon de consommer et de vivre la mode ? Les paris sont ouverts. 

C’est en 1992, dans le roman cyberpunk Snow Crash (Le Samouraï virtuel, en français), de Neal Stephenson, que le mot « métavers » – contraction de « méta » et « univers » – apparaît pour la première fois. Trente ans plus tard, les contours du désormais « buzzword » sont toujours flous tant les promesses de ce nouveau monde semblent infinies. « Il existe une définition du métavers légèrement plus poétique que sa définition technique : c’est l’avenir de notre vie sociale », avance Stefano Rosso, PDG de BVX (Brave Virtual Xperience), une business unit du groupe OTB consacrée au développement de projets et de contenus destinés au monde virtuel. « Il incarne un nouvel environnement dans lequel les êtres humains ont la possibilité d’être eux-mêmes, sous la forme, la couleur et la manière qu’ils souhaitent. C’est une réalité fascinante et stimulante qui permet aux gens de devenir une autre version d’eux·elles-mêmes, différente de la vie réelle. » Un monde virtuel plus vrai que nature dans lequel nous interagissons via le masque digital que constitue notre version « avatarisée ».

De Canal+ à The Sandbox

Mais rembobinons encore un peu le fil de l’histoire… Avant Cryptovoxels, Decentraland, Somnium Space ou The Sandbox (ces métavers construits sur la blockchain), Roblox ou Fortnite (ces versions prototypiques du métavers), Canal+ lançait, en 1997, un univers virtuel en ligne baptisé Le Deuxième Monde. Ses utilisateur·rice·s recevaient un CD-ROM à installer sur leur ordinateur avec la carte de Paris numérisée en 3D. Ils·Elles pouvaient créer un avatar et se promener dans la ville, faire des rencontres et discuter via un chat. En 2003, Second Life propose une version plus grand public du métavers en développant une monnaie locale baptisée Linden dollar (L$) – convertible en dollar américain. Dans ce cyber-monde, les « résident·e·s » interagissent, se téléportent, créent du contenu (vêtements, bâtiments, objets…), font des transactions immobilières et ont même accès à des services sexuels. Certains se constituent déjà des fortunes bien réelles. En 2007, une Allemande d’origine chinoise, Anshe Chung (le nom de son avatar) fait la une de Fortune : elle a gagné plus d’un million de (vrais) dollars en vendant des terrains et en louant des appartements et des villas dans cet univers virtuel.
Photo : Second Life.
Plus encore, des jeux de rôle comme World of Warcraft, sorti en 2004, ont également ouvert la voie au métavers. Alors que le gaming est devenu un divertissement mainstream et un média à part entière, les films Matrix (1999, 2003 et 2021) et Ready Player One (2018) ont quant à eux préparé nos consciences à l’avènement du métavers. Surtout, la pandémie a joué un rôle d’accélérateur – pendant les confinements, le virtuel a cannibalisé nos vies. En deux ans, le développement et la diffusion de ces nouvelles technologies se sont déroulés à une vitesse hors norme. « Pendant la pandémie, ce qui a été fait en six mois équivaut à cinq ans de recherche et développement. Le sujet des métavers s’est d’ailleurs banalisé en un temps record. Nous avons dépassé le stade “gadget” des espaces immersifs pour atteindre une phase de maturité. On sait désormais développer des esthétiques beaucoup plus diverses et précises. Passée la crise d’adolescence, on se détache des designs “cyberpunk” ou “cyber-apocalyptiquetrès premier degré pour créer des univers beaucoup plus sophistiqués et interactifs », avancent Lena Novello et Mado Scott, cofondatrices du studio de création digitale Acid. Et les audiences suivent. Le 23 avril 2020, le rappeur américain Travis Scott signait une performance virtuelle historique sur Fortnite, jeu en ligne aux plus de 350 millions d’inscrit·e·s, édité par le géant américain Epic Games et désormais vecteur de pop culture. Ce concert de huit minutes, durant lequel un avatar géant du rappeur interprétait plusieurs de ses tubes, a rassemblé plus de 12 millions de personnes.

Metaverse Business Unit, NFT, crypto-artistes…

D’ici 2025, les revenus des mondes virtuels devraient approcher les 400 milliards de dollars – ce qui n’a pas échappé au monde de la mode. En décembre 2021, Balenciaga lançait son « Metaverse Business Unit », en nommant à sa tête l’ancien directeur digital Eric Pires. Un mois plus tôt, le groupe OTB (qui possède entre autres les marques Diesel, Maison Margiela, Marni ou encore Jil Sander) créait BVX, un centre d’excellence dédié au métavers pour accélérer sa présence sur cet espace. Pas un jour ne passe sans qu’une marque ne révèle un projet NFT (Non-Fongible Tokens), une collab’ avec un·e crypto-artiste, une plateforme de gaming ou l’achat d’un terrain virtuel. C’est la course aux annonces. En quelques mois, Moncler a ainsi collaboré avec Fortnite, Marc Jacobs a investi Animal Crossing et Ralph Lauren la plateforme Roblox. Pour son bicentenaire, Louis Vuitton a donné naissance à son propre jeu vidéo intégrant des NFT à gagner, dont une dizaine de l’artiste digital Beeple – connu pour son collage numérique vendu aux enchères au prix de 69,3 millions de dollars. En 2019, la maison française s’imposait déjà comme une pionnière en habillant des avatars du célèbre jeu vidéo League of Legends. En mai 2021, l’espace virtuel Gucci Garden (pensé à l’origine par Alessandro Michele et situé dans le Palazzo della Mercanzia, à Florence), inséré dans le jeu en ligne Roblox, a permis de mesurer l’intérêt du public pour les achats de mode virtuels. Les joueur·euse·s étaient invité·e·s à se promener dans la reproduction du luxueux espace, ainsi qu’à acheter des pièces virtuelles Gucci, avec lesquelles il·elle·s pouvaient habiller leur avatar. Le sac « Dionysus » a ainsi été revendu 350 000 Robux (soit 4 115 dollars). Le prix du même modèle dans une « vraie » boutique s’élève à 3 400 dollars. Fin mars 2022, Decentraland a ensuite accueilli sa première Metaverse Fashion Week, rassemblant 70 marques au total, dont Paco Rabanne, Roberto Cavalli, Etro, Tommy Hilfiger, Dolce & Gabbana ou encore Philipp Plein.
Photo : Fortnite x Balenciaga.
Quant aux marques de sportswear, elles sont certainement les plus « crypto-opportunistes » ou « crypto-pragmatiques ». « Nike, par exemple, s’investit pleinement dans le métavers », fait valoir Gaspard Lézin, étudiant à l’Institut Français de la mode, qui consacre son mémoire de fin d’études à la mode virtuelle. « En 2019, la marque s’associait déjà à Fortnite pour intégrer l’Air Jordan 1 dans le jeu. Elle a frappé fort en acquérant, en décembre 2021, la start-up de baskets virtuelles RTFKT. » Créée en 2020 par trois associés, dont le Français Benoît Pagotto, RTFKT s’est fait un nom en quelques mois seulement. En février 2021, une vente de 600 paires de baskets virtuelles conçues par l’artiste Fewocious a atteint un total de 3,1 millions de dollars (en sept minutes seulement). La start-up a annoncé avoir généré plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2021. Si on doutait, les pro-métavers insistent : « Tout ceci est bien réel, ce n’est pas de la science-fiction. » En septembre 2021, Dolce & Gabbana battait des records en vendant aux enchères neuf pièces de sa collection numérique « Collezione Genesi » sous forme de NFT, pour un total de 5,6 millions de dollars. Mais pourquoi dépenser autant pour des objets virtuels ? Acheter un vêtement non portable peut sembler absurde. C’est là que la dimension psychologique de la mode rejaillit.
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Le « flex », enjeu de distinction sociale

La logique de distinction sociale réapparaît à travers l’écran et plus précisément à travers notre avatar – notre double, lui aussi doté d’un ego. « Habiller son avatar de pièces rares voire uniques est de plus en plus une démonstration de force pour les gamers starifié·e·s en recherche de stuff exclusif, s’exhibant aux yeux de tous·tes lors d’évènements virtuels », souligne Paul Mouginot, ingénieur et cofondateur de l’agence de métavers bem.builders. « On achète des objets virtuels par désir de posséder et de collectionner, comme lorsqu’on achète une oeuvre d’art, par exemple. Mais aussi pour la logique du “flex” : pouvoir montrer aux autres qu’on possède quelque chose de rare », avance Luc Jodet, cofondateur du protocole de blockchain Arianee. Les armoires (réelles) sont pleines, mais personne ne peut les voir… « Pourquoi voudrais-je une collection de choses que personne ne peut voir alors que je peux avoir une collection d’objets numériques visible par tout le monde ? », s’interrogeait Ian Rogers, chief experience officer de Ledger, une célèbre entreprise de portefeuilles pour cryptomonnaies, au micro de Imran Amed, le fondateur et rédacteur en chef de The Business of Fashion, en novembre 2021.
Prenons l’exemple des CryptoPunks – ces « accessoires de luxe ». Ce sont 10 000 NFT qui représentent chacun un personnage unique, des oeuvres numériques très pixellisées générées automatiquement par un algorithme. Tout le monde peut voir l’oeuvre, mais elle n’appartient qu’à une seule personne. Le record de vente est détenu par le CryptoPunk 3100, qui s’est envolé en mars 2021 à 7,58 millions de dollars. « C’est comme collectionner un Warhol, “si tu en as un, tu en es”. Et pour “flexer”, on peut aujourd’hui mettre en photo son CryptoPunk sur son profil Twitter, comme l’a fait Jay-Z, par exemple. Des figures de la tech utilisent même leur CryptoPunk comme avatar sur leur compte LinkedIn. Acquérir un NFT comme celui-là, c’est aussi un ticket d’entrée vers des expériences uniques, des accès à des avant-premières, des évènements spéciaux, des aventures… C’est un peu comme posséder une Visa Infinite ; en tout cas, c’est le signe qu’on appartient à un club très privé », souligne Paul Mouginot. Depuis sa création par Yuga Labs, en avril 2021, la collection de NFT Bored Ape Yacht Club (des têtes de singes) aurait quant à elle généré plus de deux milliards de dollars. « Posséder un CryptoPunk ou un Bored Ape, c’est aussi une manière de se reconnaître entre soi, car dans l’absolu, très peu de gens savent les identifier. Aujourd’hui, je pense que Bored Ape est une marque qui vaut autant que Supreme », souligne Luc Jodet.

Vers des collections de mode entièrement NFT-isées ?

Au-delà de ces logiques de distinction sociale se jouent également des mécanismes de « conquête ». Pour être accepté par les communautés crypto, il faut en connaître les codes et les respecter. « Snoop Dogg a conquis sa place sur The Sandbox en explorant la plateforme à la manière d’une sous-culture. Il a révélé tardivement qu’il se cachait derrière l’avatar Cozomo de’ Medici, dont la collection de NFT était réputée pour son bon goût », détaille Paul Mouginot. Cozomo de’ Medici s’habille de pièces spéciales créées par des designers 3D – des modèles uniques et sur mesure comme au temps de la haute couture. Une foule de marques de vêtements virtuels – The Fabricant, Tribute Brand, DressX, Replicant fashion, Carling, etc. – attendent, tapies dans l’ombre, que les usages se développent et que le nombre d’avatars augmente pour développer leur business. Les marques de mode elles-mêmes pourraient lancer leurs propres lignes de modèles virtuels et NFT-iser toute leur collection : à chaque fois qu’elles vendront un produit physique, elles pourraient vendre en même temps le token pour qu’on puisse se balader avec dans le métavers.
Car beaucoup croient à ces allers-retours entre monde virtuel et monde réel. Adidas s’est ainsi associé à plusieurs acteurs du crypto-world dans le cadre de sa conquête du métavers – Bored Ape Yacht Club (BAYC), l’investisseur en crypto-monnaies Gmoney et la série de bandes dessinées Punks Comic. En décembre 2021, cette collaboration a engendré la création de la première collection Adidas Originals NFT, donnant notamment accès à des vêtements virtuels sur The Sandbox, déclinés en hoodies bien « réels » – le « merch », disponible seulement pour les membres du club.
Photo : Bored Ape Yacht Club x Adidas.
D’autres entreprises misent sur des univers fictifs hyperréalistes en utilisant la technologie de la photogrammétrie, dont le groupe français Barney, spécialisé dans la virtualisation des marques. L’identification du public à ces mondes très proches de la réalité semble en effet plus facile. « Notre mission est de créer un pont entre monde physique et virtuel, en développant des solutions très simples à utiliser et à déployer. Nous misons sur la créativité et le photoréalisme pour retranscrire le plus fidèlement possible le savoir-faire des marques de mode et de luxe dans ces mondes virtuels. Nous créons ainsi des contenus CGI et des expériences augmentées qui respectent leur héritage tout en adoptant les nouveaux codes esthétiques », souligne Elise Horwitz, directrice de Barney Studios, le studio créatif de Barney. 
Le développement des métavers offre ainsi une multitude de possibilités en matière de malls digitaux et d’expériences shopping nouvelle génération. L’avenir ? Que les utilisateur·rice·s puissent essayer des vêtements dans ces espaces virtuels, les expérimenter holographiquement sur leur corps, jauger de leur bien-aller et les acheter en un clic. « On développe des post-moyens de consommer et de vivre la mode en amplifiant le monde réel et non pas en le remplaçant », souligne Mado Scott. À ce stade, lorsque des marques de mode intègrent le métavers, elles le font via une plateforme très populaire (Fortnite, Roblox, etc.) : peut-on s’attendre à les voir créer leur propre monde ? « Nous recevons beaucoup de demandes en ce sens », ajoute Lena Novello. 

Les crypto-riches et l’ombre d’une bulle spéculo-dystopique

Si la mode est sociologiquement soluble dans les métavers, elle l’est aussi économiquement parlant. Il existe une communauté de crypto-riches qui sont prêt·e·s à appuyer sur le bouton « acheter ». Une communauté à part qui se divise en plusieurs groupes à la sémantique particulière. Les « early adopters » du bitcoin d’abord, soit les pionnier·ère·s du minage qui ont profité de l’explosion du cours de la monnaie. Les « hodlers » ensuite, ceux·elles qui conservent leur cryptomonnaie et qui savent résister à la pression provoquée à intervalles irréguliers par la chute de leur cours. Et enfin les « crypto-traders », ou « flippers », qui achètent et revendent presque aussitôt pour réaliser un profit immédiat. « Mais à ce jour, le nombre d’utilisateur·rice·s de “crypto wallets” reste inférieur au nombre d’usager·ère·s d’Internet en 1997, ce qui représente un nombre très limité de personnes », tempère Paul Mouginot. Ce qui n’empêche pas les chiffres de vente de bondir. En 2021, le volume des échanges de cryptomonnaies s’est élevé à plus de 14 000 milliards de dollars, contre 1 800 milliards en 2020. « Pourquoi autant d’argent investi dans le monde virtuel alors que les inégalités affluent dans le monde réel ? », s’interrogent les crypto-pessimistes. D’autres redoutent la bulle spéculative. La durée moyenne de détention d’une oeuvre d’art contemporain par un collectionneur·euse serait de deux ans et pour un NFT, elle serait de 30 jours seulement. « On est en pleine exubérance irrationnelle, le trading constitue une grosse partie du marché. Des NFT sans intérêt artistique sont achetés puis revendus pour faire des bénéfices, jusqu’au jour où plus personne ne voudra de la “patate chaude” », mentionne Luc Jodet. 

Vincent Cocquebert : « Ces cocons, aussi séduisants qu’aliénants, sont-ils en train de remplacer un safe-space commun qui semble aujourd’hui nous échapper: notre planète et celles et ceux qui l’habitent avec nous ? »

Encore perçu dans l’imagerie collective comme un monde futuro-apocalyptique, le métavers fait parfois craindre les pires dystopies. Si ces mondes virtuels permettent l’évasion, la fuite vers un ailleurs, ils peuvent aussi conduire à une forme d’enfermement – un cocon qui isole et fait disparaître le « commun », selon l’expression de Vincent Cocquebert, auteur de La Civilisation du cocon. Pour en finir avec la tentation du repli sur soi (Arkhê, 2021). « Ces cocons, aussi séduisants qu’aliénants, sont-ils en train de remplacer un safe-space commun qui semble aujourd’hui nous échapper : notre planète et celles et ceux qui l’habitent avec nous ? », s’interroge le chercheur. Les moins technophiles s’inquiètent de l’immense manne de data pouvant être collectée sur ces plateformes et de la création de mondes sans intimité avec un tracing toujours plus intrusif. Certain·e·s expert·e·s ont quant à eux·elles récemment exprimé leurs craintes quant au risque de « fausses réalités » induites par les métavers. Louis Rosenberg, pionnier des systèmes de réalité augmentée, a rédigé un article dans Big Think, en novembre 2021, alertant sur la dangerosité potentielle de ces plateformes et le risque de manipulation des couches de technologie qui se superposent entre nous et les détenteur·rice·s de data. Autrement dit, des tiers pourraient introduire des « couches de filtres payants » permettant à certain·e·s utilisateur·ice·s de voir des balises spécifiques flotter au-dessus de la tête d’autres individus/avatars, pour mieux les « étiqueter ». « On utiliserait cette couche pour marquer les individus avec des mots clignotants en gras comme “alcoolique”, “immigrant”, “athée”, “raciste”… », écrit Louis Rosenberg, tout en poursuivant : « Les superpositions virtuelles pourraient facilement être conçues pour amplifier la division politique, ostraciser certains groupes, voire susciter la haine et la méfiance. » Il n’est pas le seul à dessiner l’ombre d’un « fake news world » dans lequel la réalité serait déformée, trompée.
Photo : MetaBirkins.
Pour l’heure, les métavers se développent sans cadre juridique. En décembre 2021, une jeune femme qui participait à une séance de bêta-test avant le lancement officiel de la plateforme Horizon Worlds – le métavers de Facebook (Meta) – raconte avoir subi (via son avatar) « une agression sexuelle » au sein de la plateforme. Dans un autre registre, la maison Hermès s’est retrouvée malgré elle propulsée dans un (méta-)litige et a engagé, en janvier dernier, des poursuites judiciaires à New York contre un artiste qui a créé des NFT représentant des sacs en fourrure baptisés « MetaBirkins », inspirés du célèbre sac de la marque. « Dans le web 3.0, il n’y a pas d’États ni de sanctions. C’est le Far West », résume Benjamin Chiche, fondateur de Barney. « Les marques devront redoubler de vigilance pour choisir les bons partenaires et lutter contre les potentielles dérives. » Sans compter la pollution digitale, invisibilisée, mais pourtant bien réelle. « Il y a des lois à créer, une hiérarchie à inventer. À l’heure actuelle, il n’y a pas de méta-police ni de méta-sécurité. On est conscient·e·s des enjeux éthiques et environnementaux que ces nouveaux mondes peuvent poser », indique Mado Scott. « Dans la mode, il faudra aussi imaginer de nouvelles structures d’organisation comme des bureaux de presse et des agences de casting virtuels pour les avatars », poursuit Lena Novello. « Chez Barney, on a tous·tes entre 25 et 35 ans, on se sent investi·e·s d’une responsabilité. On est conscient·e·s d’appartenir à la génération de l’entredeux, celle qui fera le lien entre la technologie et l’art, le gaming et le design, le métavers et la mode. Le métavers n’est pas seulement un sujet technologique, c’est aussi un sujet sociétal, et nous avons notre rôle à jouer », renchérit Benjamin Chiche.

Problématiques d’inclusion et enjeux pédagogiques

Sur le papier, le métavers s’affiche comme un lieu potentiel de rencontres et de sociabilisation. « Sur Second Life, on estime qu’entre 30% et 50% des utilisateur·rice·s se trouvaient à un moment donné en situation de handicap social ou physique », indique Aurore Geraud, chercheuse à l’Atelier BNP Paribas. « Des témoignages circulent via le web sur le réconfort social et psychologique que peuvent offrir les communautés virtuelles. Une personne LGBTQIA+, atteinte d’autisme, dit ainsi avoir trouvé un refuge et un soutien auprès de sa communauté World of Warcraft, qu’elle ne trouvait pas dans le monde réel. » Mais pour l’heure, c’est la méfiance légitime qui règne – la chercheuse Joy Buolamwini, du MIT Media Lab, a déjà dénoncé les biais sexistes, racistes et transphobes des algorithmes, principalement façonnés par des hommes blancs intégrant leurs préjugés aux technologies. Dès lors, si les personnes issues des minorités ne participent pas à l’élaboration de ce nouveau monde, comment pourrait-il les inclure ? D’autant que les débats portent actuellement sur une amélioration constante de l’UX (User Experience) tout en excluant ces enjeux sociétaux d’inclusivité. Concernant les cryptomonnaies, il y a quatre ans, la majorité de ses détenteur·rice·s travaillaient dans la tech. Aujourd’hui, il existe des services beaucoup plus simples pour se constituer un crypto-wallet et réaliser des transactions. « Notre génération a vécu le passage du Nokia 3310 à l’iPhone 13, on est très malléables et très ouvert·e·s aux innovations, je n’ai pas de doute quant au fait qu’on adoptera facilement ces nouveaux usages », souligne Benjamin Chiche. « Il manque encore une éducation, une pédagogie. Ça fait aussi partie de notre métier de sensibiliser le public à ces nouvelles façons de consommer et d’interagir », nuance Lena Novello. 
Mark Zuckerberg espère qu’un milliard de personnes seront dans le métavers d’ici 10 ans. « Le » métavers ? Verra-t-on émerger un ou plusieurs mondes ? Un méta-univers va-t-il gagner ? Ou pourra-t-on passer d’une plateforme à une autre en toute fluidité ? Pourra-t-on porter son armure World of Warcraft lors d’un concert sur Decentraland ou arborer ses baskets Gucci à une projection ciné sur Roblox ? « Du point de vue des utilisateur·rice·s, la création de comptes différents pour chaque plateforme est frustrante, mais aussi chronophage. C’est pourquoi l’interopérabilité et l’interconnexion entre les métavers sont le grand challenge des années à venir », souligne Stefano Rosso. « C’est le début d’un médium révolutionnaire, c’est comme l’arrivée des premiers films des frères Lumière, on est aux prémices d’un nouveau monde, tout reste encore à découvrir », conclut Mado Scott.

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