Manfred Thierry Mugler : « Je fais en sorte de vivre mes fantasmes au quotidien »

Article publié le 20 février 2018

Photo par Thierry Mugler, 1995
Texte par Alice Pfeiffer pour Antidote : Fantasy hiver 2017

Fasciné par le champ des possibles, la métamorphose et le potentiel créatif au cœur de chaque humain, Manfred Thierry Mugler a fait de son refus du passéisme une véritable philosophie. Chez lui, le fantasme devient une mission quotidienne dédiée à faire scintiller le réel. Rencontre.

L’histoire veut qu’un jeune Thierry – avant de devenir Manfred Thierry Mugler – refuse, lors de ses premières années à Paris, de porter ses lunettes de vue, préférant envelopper le monde d’un brouillard plus poétique « Tu ne peux pas savoir comme la vie est plus belle quand on la voit flou », dit-il à son ami proche et conseiller Jean-Jacques Picart. Cette prise de distance avec une réalité sur ordonnance vers un regard aux contours floutés est sûrement l’anecdote qui résume le mieux la carrière du grand couturier : conscient des normes et des parois de la société, il décide de la regarder uniquement par le prisme qu’il se choisit.
Après plus de 40 ans de vie ( hyper ) active il a construit, plus qu’un simple empire, une constellation de planètes qui continuent de rayonner, sortes de mondes parallèles défiant la gravité et le réalisme quotidien pour une joie de vivre hors des clous. D’abord styliste qui se fait connaître pour ses femmes insectes, cyborgs, ou extraterrestres, le tout dans des décors hors de ce monde, il s’aventure par la suite vers le médium du clip, de la photo, du music-hall, de la direction artistique. Le fil conducteur n’est autre qu’un travail ardu au service non pas d’une échappatoire, mais de la matérialisation de sa réalité, toujours chimérique et novatrice. Autrement dit une façon d’enlever, encore et encore, ces lunettes de vue – chose qu’il s’applique à faire depuis son plus jeune âge.
Issu de la bourgeoisie strasbourgeoise, il se souvient d’une enfance rêveuse où il se réfugie dans la lecture et l’imagination. Il n’hésite pas à se déguiser et monter des petits spectacles pour distraire son entourage. À l’âge de 14 ans, il développe une passion pour le ballet classique et rejoint l’Opéra du Rhin, où il dit avoir découvert une immense liberté dans ce nouveau rapport à son corps. Cette dialectique entre vie extérieure et intérieure, il décide de l’approfondir en étudiant le stylisme, quelques années plus tard, à l’École des arts décoratifs de Strasbourg. Finalement, à 21 ans, il s’installe à Paris en tant que créateur indépendant et travaille pour diverses maisons à travers l’Europe. C’est en 1974 qu’il fonde sa maison éponyme. Une des premières silhouettes qu’on lui connaît est l’uniforme des serveuses de l’illustre club Le Palace : des combinaisons rouges aux épaulettes marquées et à la ceinture en lamé or. Ce n’est que l’avant-goût d’une passion pour des corps taillés au cordeau, architecturaux, sexy, qui détonnent avec la tendance de l’époque. Avec en chef de file Kenzo Takada, Sonia Rykiel et Jean-Charles de Castelbajac – avant la mouvance qu’il lancera et dont feront partie Claude Montana et Jean-Paul Gaultier –, tout Paris est alors en quête de matières souples, urbaines, androgynes.

Photos de gauche à droite : Thierry Mugler dans Too Funky de George Michael, 1995, Thierry Mugler printemps-été 1995
Précisément ce qui n’intéresse pas Monsieur Mugler : il rêve plutôt de superhéros, d’actrices d’un Hollywood d’antan, d’une féminité radicale, à la fois futuriste et glamour. Ses choix de textiles sont bien loin du lin, du denim et des mailles naturelles de l’époque, favorisant plutôt le latex moulé, le PVC et le métal fondu. Dans son studio, les femmes deviennent des divas post-humaines, qui illustrent ce que Mugler ne cessera de défendre : la promesse d’une transformation hors des cadres de la bienséance classique.
Ses shows deviennent des rites de passages, un must dans la carrière d’une top : Naomi Campbell, Claudia Schiffer, Linda Evangelista, Jerry Hall, Iman Bowie n’hésitent pas à se muter en dominatrice en vinyle, en machine humaine, ou encore en guerrière d’un autre siècle avec un singe accroché au cou. « Il est le premier à utiliser l’acier pour les talons de ses stilettos, transformant le pied en une arme à la James Bond. Il enferme la femme dans une armure près du corps. D’une virilité assez souvent exacerbée, la nature des fantasmes vestimentaires de Mugler finit par sublimer la féminité de celles qui les portent. [Sa vision] atteint des sommets lorsqu’il présente son bustier Harley-Davidson. Moulé dans du Plexiglas peint, l’objet a des poignées incorporées. Avec cette coque sur elle, une femme ne chevauche plus seulement la moto, elle devient la moto elle-même », analyse Rhonda K. Garelick, auteur et critique pour ArtPress, qui se spécialise dans la carrière du styliste. Un amour du spectaculaire et du transgressif qui s’étend jusqu’à ses défilés pour lesquels il signe à la fois la chorégraphie, la musique et la scénographie, tant sa vision d’ensemble est puissamment cohérente. Nombreux sont les journalistes qui se souviennent de son show marquant le 20e anniversaire de sa marque en 1994, tenu au Cirque d’hiver. Ce théâtre futuriste et fétichiste digne d’un décor hollywoodien invite des figures toutes de latex vêtues à défiler, dont l’actrice iconique d’Alfred Hitchcock, Tippi Hedren, ou la militante révolutionnaire et scandaleuse Patty Hearst, le tout au son d’une performance live de James Brown.
Pourtant, sa révolution ne se limite pas au spectaculaire, et encore moins au corps féminin. Il bouleverse aussi le vestiaire masculin, d’une tout autre façon. Il habille David Bowie tantôt en robe de sirène graphique dans son clip « Boys Keep Swinging » ( 1979 ), tantôt en smoking revisité et embijouté pour son mariage à Iman. On se souvient aussi de cette veste à col Mao qu’il créa pour Jack Lang, dont il est un ami proche. Alors ministre de la Culture, ce dernier arbore en 1985 le design au col carré sans cravate – qu’il se plaît à décrire comme « mi-clergyman, mi-dignitaire indien » – lors d’un discours à l’Assemblée nationale. Il déclenche d’abord les regards ébahis et les sifflements de la pièce entière. Puis un scandale absolu chez ses confrères et dans les mœurs gouvernementales, ainsi qu’une presse en émoi. « J’ai été comblé par cette veste, si belle et austère à la fois, désormais exposée au Musée des arts décoratifs. Une veste, à la fois neuve et classique, dont on s’étonne qu’elle ait étonné », dit Jack Lang en évoquant le designer qui avait selon lui révolutionné la silhouette masculine.

Photos de gauche à droite : Jerry Hall et Thierry Mugler par Helmut Newton, 1996
Comme si la créativité était synesthésique, les sens semblent connectés entre eux vers une création protéiforme chez Manfred Thierry Mugler. C’est tout naturellement que sa vision se traduit en senteur : en 1992, après deux ans de recherches, il lance le parfum Angel. « Celui-ci fut le premier parfum à utiliser des senteurs “comestibles” : caramel, crème brûlée et chocolat blanc, conjugués avec le patchouli. Angel était à base de véritable cacao, une première dans l’industrie du parfum. La femme vue par Mugler n’était plus seulement une machine, elle devenait également une denrée alimentaire, une chose comestible, une gourmandise périssable. Tout cela dénotait finalement un jeu très compliqué entre l’intérieur et l’extérieur, l’animé et l’inanimé, le féminin et le masculin », analyse Rhonda K. Garelick. Fatigué d’une industrie en perpétuelle accélération et obsédée par la rentabilité immédiate, Manfred Thierry Mugler décide de tirer sa révérence au monde de la mode et de se concentrer sur ses autres passions. Entre autres la photographie, pour laquelle il se découvre un talent lors d’un désaccord avec Helmut Newton qui, pendant un shoot, finit par lui tendre l’appareil et lui dire de faire lui-même ses photos. Chose qu’il exécuta avec brio.
Aujourd’hui, il se concentre davantage sur la direction artistique, tantôt en conseillant Beyoncé pour sa tournée I Am… World Tour ; tantôt pour monter le spectacle Mugler Follies aux Folies Bergères, ou encore The Wyld, au cabaret berlinois géant, le Friedrichstadt-Palast, avec une Cindy Sanders métamorphosée en tête d’affiche. « Je veux permettre aux gens de découvrir la magie qui se cache dans le monde qui nous entoure », dit-il. Ce que chaque jour qui passe confirme de plus belle.

« Pour moi, la mode a toujours été une mise en scène quotidienne, avec les femmes comme héroïnes. Je cherchais à les sublimer ; il ne s’agissait pas de mes fantasmes mais d’un besoin de révéler au monde leurs forces enfouies, leur puissance »

Antidote. Votre travail possède un élément onirique omniprésent. Que vous évoque le mot fantasme ?
Manfred Thierry Mugler. À vrai dire, je n’en ai aucune idée. Toute ma vie, on m’en a parlé. On m’a demandé si je tentais de réaliser mes fantasmes. Mais, honnêtement, je ne vois pas de différence avec ma réalité. Peut-être parce que je fais en sorte de les vivre au quotidien. Je suis capable de traiter des sujets sans limites, qui s’adaptent au format, au lieu, à une clientèle définie ; j’ai diverses recettes et idées pour faire rêver les gens au-delà de leur quotidien, leur faire passer un moment formidable. Est-ce un fantasme ? Je n’en sais rien. Mais je peux surtout vous dire que c’est un travail conséquent, au service des émotions qu’on partage avec les gens, pour provoquer, chatouiller, amuser.
Dans ce cas, si vos fantasmes se fondent dans votre quotidien, comment définiriez-vous le réel ?
Le réel, c’est le divin bien sûr. C’est une magie dont nous faisons partie et que nous ne contrôlons pas, avec laquelle nous nous chevauchons et nous flottons. J’ai une fascination pour le plus bel animal du monde, l’être humain. Je veux rendre hommage au sublime et à la beauté, qui sont déjà parmi nous. Il suffit de regarder. Tous ces ingrédients sont là, et mon travail est de les sublimer. C’est précisément cela qui aboutit à un vrai cocktail Molotov émotionnel. Cette réalité n’est pas subjective, au contraire ; il s’agit de vibrations, de sensations que l’on vit au-delà des mots, des choses magnifiques et véridiques. Quand on me parle du Stockmarket qui contrôle le monde, c’est un fait, une perspective. Pas une vérité absolue. Je préfère m’acharner à raconter avec légèreté des choses essentielles – c’est le travail de toute une vie, et ce à quoi j’ai dédié la mienne.

Photos : Thierry Mugler Haute Couture printemps-été 1997, Thierry Mugler pour Neiman Marcus, 1995
Vous avez aussi consacré une partie importante de votre vie à la beauté, sous toutes ses formes. Comment définiriez-vous ce mot ? Va-t-il de pair avec des valeurs invisibles ?
Le beau est avant tout une authenticité, un véhicule émotionnel indispensable, c’est une force, une harmonie, un fait indiscutable, un bien vivre, une joie, une santé. Pourtant, visuellement, il est possible que des choses très belles ne soient pas bonnes, que des animaux magnifiques soient aussi dangereux et sauvages. Mais dans ma définition personnelle, idéale, ces deux qualités vont ensemble. C’est une vraie discipline d’apprendre à lire le côté positif des gens, d’apprendre aussi à viser plus haut et à se surpasser. La beauté est donc bénéfique ; elle doit dépasser l’apparence physique, être emmenée vers un réel moteur de vie.
Votre travail dans la mode participe-t-il à cette bonté ?
Pour moi, la mode a toujours été une mise en scène quotidienne, avec les femmes comme héroïnes. Je cherchais à les sublimer ; il ne s’agissait pas de mes fantasmes [comme la presse a pu le dire à maintes reprises, ndlr] mais d’un besoin de révéler au monde leurs forces enfouies, leur puissance. Je les aimais et voulais leur rendre hommage. En mode, j’ai toujours pensé au processus entier. J’emmenais mes collections vers une véritable scénarisation, je concevais le casting, le jeu, la musique ou la chorégraphie. La mode est sa propre philosophie. Un jeu, une surprise, une carte de visite. Ceci s’applique également à l’élégance, où il s’agit d’être en harmonie avec le contexte. C’est là sa première définition. Il faut penser à la météo, à l’occasion, à l’image que vous voulez donner de vous-même. Cela accompagne le langage du corps. Parfois, certaines personnes ne donnent aucune indication vestimentaire au sujet de leur personne, et c’est une forme de manipulation. Finalement, l’élégance doit faire partie d’une réflexion plus large : si vous êtes en manteau de fourrure au Sahara, vous n’êtes pas élégant. De même si votre accoutrement représente 2 000 animaux électrocutés. L’éthique est une composante considérable.
Peut-on dire que c’est ce même mélange de qualités internes et externes qui vous ont plu chez Cindy Sander, que vous avez métamorphosée ?
Oui. Ce qui m’a plu chez elle, c’est sa candeur, sa force, son caractère à la fois humble et fort. Elle possède une profonde gentillesse et sincérité. Elle a été blessée, mais elle n’est jamais agressive ; elle s’est contentée de demander qu’on lui accorde une chance. J’ai vu quelqu’un de touchant au point d’en devenir beau. Comme toujours, il faut néanmoins quelques ingrédients physiques, une bonne santé, une certaine cohérence. Cindy est une belle plante. C’est une fille simple, joyeuse, saine, avec des valeurs justes et une pétulance certaine. Que sa chorégraphie ou son look soient ringards, cela n’a pas la moindre importance. Ce qui compte, c’est la matière. Je trouve qu’elle est un véritable animal de scène : elle a un don, une voix, un talent. Elle chante comme elle respire. J’ai donc cherché à magnifier ses qualités, à rendre sa personnalité plus lisible, plus évidente, à dévoiler au monde ce qu’elle avait en elle. On s’est occupé de ses « erreurs ». On a travaillé sur sa mauvaise alimentation et ses kilos en trop. Et aujourd’hui, je suis fier de ce qui lui arrive. Elle mérite de l’affection. Elle mérite qu’on lui rende tout ce qu’elle donne.

Photos de gauche à droite : Thierry Mugler automne-hiver 1991, Thierry Mugler printemps-été 1992
Elle n’est pas la seule que vous avez transformée ! Vous êtes passionné par le changement radical de ceux qui vous entourent. Pourquoi ? Que cherchez-vous à révéler chez l’humain ?
Tout comme la mode, il ne s’agit pas d’un fantasme personnel mais d’une vision, une forme de clarté face aux gens que je rencontre – face à la potentialité qui émane d’eux. Ce besoin de transformation est plus fort que moi. L’être humain est en constante évolution. Alors pourquoi ne pas l’encourager à aller vers quelque chose de plus beau, de plus joyeux ? Même des gens très réalistes et très cohérents ciblent de nouvelles directions, d’autres aventures. Ils cherchent à se dépasser et à se découvrir davantage. C’est un processus de mutation qui n’en finit pas. J’arrive à voir ce que les autres ne cernent pas souvent : une plume, un parler, une présence d’actrice. Je perçois des qualités enfouies, et surtout le parcours et le travail à réaliser pour atteindre le plus haut potentiel. Nous sommes sur terre pour travailler et remplir un contrat, nous avons des missions qui s’ouvrent naturellement à nous. Je suis un soldat, un travailleur, en mouvement constant, comme la vie en elle-même. Comme l’eau qui coule et qui revient sous d’autres formes. Nous vivons la nuit, le jour, et les périodes, tout comme les goûts, sont cycliques. Je ne dis jamais « j’aime ci » ou « j’aime ça » mais plutôt « cela dépend de quand et comment ».
Est-ce cette force à lire les qualités enfouies de gens qui vous a mené à travailler avec des musiciens ? Vous avez donné des conseils de direction artistique à Beyoncé, des conseils de style à Michael Jackson, et même réalisé le clip « Too Funky » de George Michael.
Avant tout, ce travail avec ces artistes découle de mon rapport à la musique, que je pourrais définir en un mot : permanent. C’est un des outils indispensables qui, pour moi, comprend aussi les bruits, les sons, qui possèdent leur propre mélodie. Le clopinement des talons sur du béton la nuit, les feuilles de palmiers qui s’entrechoquent tel du caoutchouc, cela m’évoque par exemple des pas de dinosaures. Cet ensemble suscite chez moi une inspiration très imagée et colorée. De surcroît, l’ouïe est importantissime à mon processus créatif et ne fait qu’un avec la vue. Je chantonne. Les gens autour de moi font de la musique et c’est un des premiers outils de représentation. Quant aux musiciens avec qui j’ai travaillé, je dirais que je cherche une conjonction d’idées, un travail à l’unisson et sans égo pour le bien d’un projet commun. Chez chaque personnalité, je dois déceler un esprit enfantin, créatif, une truculence, une ouverture d’esprit, une pureté et une véritable oreille. Je souhaite collaborer avec des gens qui adorent leur métier : des techniciens capables de retranscrire une atmosphère, des musiciens pouvant transformer une émotion en notes. J’aime les virtuoses candides, sans prise de tête, qui ne cherchent pas à poser absolument leur marque de fabrique sur un projet mais suivent une direction et une rigueur pour le bien du résultat commun. Cette quête de qualité est la même pour chaque individu avec qui je travaille : en photographie, architecture, spectacle, mode, design… nous sommes au service d’une œuvre. Il faut savoir se mettre en retrait, faire abstraction de ses goûts personnels et viser le sublime ainsi que la lisibilité.

« Je me méfie de l’addiction aux réseaux sociaux. Nous vivons dans un monde pressé, centré sur soi, et ces jouets ont ouvert la porte de l’auto-fascination, qui est, je pense, le contraire absolu du spirituel »

On pourrait presque parler d’une sensibilité synesthésique alors, qui traduit un ressenti en une autre expression sensorielle ! Peut-on dire que l’odorat a la même force dans votre vision ?
Oui, c’est le même genre de travail, de connexion, de traduction de ma vision et de ma créativité qui est activé. Il est au moins aussi difficile de parler d’odeur que de parler de son et les deux, comme tous les sens, sont intimement connectés. Cela reste un processus très instinctif, toujours dans une démarche organique vers une certaine justesse. Il y a des modes dans les senteurs, dont il faut tenir compte : est-ce qu’on flirte avec la tendance, est-ce qu’on cherche à l’oublier, ou est-ce qu’on joue avec ? Un parfum peut mettre des années à se matérialiser, et repose sur le même équilibre entre attirance intime et rêve partagé.
Votre palette créative est sans fin et high-tech. Comment ces nouveaux outils vous inspirent-ils ?
Depuis mes débuts, la technologie me fascine et me fait peur à la fois. Elle est dans une boucle folle et incontrôlable, qui ne cesse de progresser ; elle est très addictive et il est nécessaire de savoir s’en libérer. Cependant, ces progrès scientifiques font partie de la beauté et évoluent sans arrêt. Ils nous offrent un champ des possibles infini, qu’il faut manier avec précaution, dont il faut se servir avec équilibre, savoir jouer, parfois avec dérision. Quelque chose ou quelqu’un d’équilibré est toujours ambivalent : il possède un côté animal, instinctif et un côté intellectuel, presque technologique. D’une certaine façon, nous sommes tous en train de devenir des cyborgs, car nous sommes faits de cellules qui s’adaptent. Il n’y a qu’à regarder les créatures amphibies qui réagissent au temps. On passe notre vie à s’adapter, notamment aux progrès techniques, que nous incorporons dans nos vies et nos êtres. Cependant, je me méfie de certains aspects de cette mutation, notamment de l’addiction aux réseaux sociaux, qui s’accompagne d’une importante décadence physique. Nous vivons dans un monde pressé, centré sur soi, et ces jouets ont ouvert la porte de l’auto-fascination, qui est, je pense, le contraire absolu du spirituel.
Pourquoi le futur, sous toutes ses formes, est-il une source d’inspiration et de fantasme aussi puissant chez vous ?
Je ne veux surtout pas être passéiste. Le dicton « le bonheur, c’est une bonne santé et une mauvaise mémoire » me convient tout à fait. Le passé ne sert qu’à une chose : tirer des leçons. C’est tout. C’est vers demain qu’il y a du bon et qu’il faut aller. Ce pour quoi il faut travailler. Mes rêves du futur ne changent pas beaucoup. Je traverse des périodes plus ou moins opaques ou obscures. Je vis ces visions comme une énergie qui me parle et que je veux transmettre. Il suffit d’avoir une technique de vie et de physique pour pouvoir capter cette lumière, la garder constante, telle une pile atomique qui s’accumule et que l’on nomme amour. J’essaye de rendre hommage à ces forces qui nous dépassent, tout comme la notion de perfection, qui est un travail d’humilité au service de quelque chose de divin, là pour nous rappeler que personne n’est parfait mais que les possibilités sont infinies. Cela me convient très bien, car je n’aime pas les barrières. Je veux donc tout vivre.
Cet article est extrait de Antidote : Fantasy hiver 2017 photographié par Yann Weber

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