L’interview de Sarah de Colette : « La Hype, je ne sais pas ce que c’est »

Article publié le 21 juin 2016

Texte : Edouard Risselet

C’est elle qui choisit les créateurs que colette propulsera demain dans ses désormais mythiques vitrines de la rue Saint-Honoré. Dans l’une des rares interviews qu’elle accorde à la presse, Sarah Andelman, fille de la fondatrice Colette Roussaux et discrète figure de la mode parisienne fait tomber les clichés, dévoile la recette du succès du concept-store et révèle ses dernières découvertes. Snob ? Jamais.

Le magasin fêtera bientôt ses 20 ans d’existence, comment avez-vous réussi à pérenniser ce succès pour en faire un rendez-vous incontournable de la mode parisienne ? 

C’est le fruit d’un travail continu. En se renouvelant chaque semaine, en changeant les vitrines, la proposition en magasin, notre sélection évolue chaque saison, nous ne sommes pas figés avec des marques ou des créateurs. On cherche à capter l’air du temps. Avec ma mère, nous sommes très complémentaires. Ma mère est indispensable, c’est vraiment un travail d’équipe, elle s’occupe de toute la gestion du magasin au jour le jour. Moi, je m’occupe de tous les achats, les livres, la beauté, les artistes exposés, les différents projets et événements.

Comment rester avant-gardiste après tant d’années ? 

On ne se pose pas vraiment de questions. Je cherche, je regarde plein de choses différentes, des magazines, je vais dans les salons, etc. Dès que je vois un produit qui me touche, qui me surprend, ou qui va être complémentaire avec ce que l’on a déjà, j’y vais sans trop me dire comment ça va être perçu, ou même comment ça va se vendre parce que personne n’a de boule de cristal. Mais j’ai envie que dans le magasin, on découvre des produits que l’on ne connaît pas encore.

En 2016, pourquoi vient-on chez colette ?

Pour plein de choses différentes, et c’est ce qu’on a toujours voulu. On vient chez colette pour déjeuner au Waterbar, boire un Coca, pour voir une expo dans la galerie, pour une nouvelle paire de baskets, pour un créateur japonais qu’on est les seuls à avoir, pour des CDs qu’on présente en avant première.

Définiriez-vous, vous aussi, colette comme le « temple de la hype » ?

Non pas du tout. On ne s’est jamais considérés comme tel, on propose ce que l’on aime nous. Ça fonctionne à l’instinct, au coup de cœur. La hype, je ne sais pas ce que c’est. Je trouve que c’est un peu réducteur. On a envie d’avoir plein de clients différents. Je ne veux pas que ce soit uniquement destiné à des branchés. Ça c’est plutôt fait avec l’expérience.

Ne craignez-vous pas une certaine muséification du lieu ?

Quand on a ouvert en 1997, les gens avaient peur de rentrer parce qu’au rez-de-chaussée, on avait beaucoup d’objets de design posés de façon très propre : une chaise ici, une lampe là. Les gens ne se sentaient pas concernés. Et on a lutté. On avait déjà des petits produits, des petits bonbons, des petits bracelets, à 1 franc à l’époque mais aujourd’hui, les gens se sentent vraiment à l’aise et ils comprennent qu’on ne va pas les regarder de haut. On peut venir juste feuilleter un magazine. J’espère vraiment que les gens ne se sentent pas comme dans un musée. Au contraire, il faut toucher, jouer avec, et partir avec !

Avez-vous parfois le sentiment de passer à côté de quelque chose ? 

Si c’est le cas, j’essaie vite de rattraper le coup. Encore une fois, on fait ce qu’on peut, on est une toute petite équipe, on essaie d’être là où on ne nous attend pas et là où il faut être. Parfois, pour un produit que l’on ne nous a pas proposé, il m’est arrivé d’appeler la marque pour en avoir. Je suis soulagé quand ça arrive comme ça, sinon, c’est la vie !

Qui seront d’après vous les créateurs de demain ?

C’est compliqué, car je pense que l’on est vraiment dans une période de transition. Évidemment des créateurs comme Demna de Vetements qui a surgi et montre à quel point tout peut aller très vite. Aujourd’hui, j’aime beaucoup Paskal qui vient d’Ukraine et fait des vêtements avec des découpes au laser. Je pense que les créateurs de demain, ce sont ceux qui ont leur propre identité, qui ne cherchent pas à ressembler à un autre et qui apportent un nouveau vocabulaire.

colette collabore depuis plusieurs années avec l’artiste Darcel.

Ressentez-vous une accélération des tendances ?

Il y a de plus en plus d’ouverture, de curiosité, d’envie de renouvellement. Cette saison automne-hiver, on a plein de nouvelles marques que personne ne connaît qui viennent de Tokyo comme Doublet ou Christian Dada. Pendant longtemps, j’attendais qu’ils viennent à Paris parce que ça veut dire aussi qu’ils sont prêts pour les livraisons mais là j’ai eu l’occasion d’y aller. Ils montent déjà au Japon mais ne cherchaient pas spécialement à vendre à l’étranger. Je pense que certaines marques établies n’arrivent pas à se renouveler. Il y a un mélange de lassitude et d’excitation pour ce qui va arriver.

Qu’est ce qui vous obsède dernièrement ?  

Il y a le bomber, qui est vraiment partout. Et le piercing. La saison prochaine, j’ai au moins une dizaine de marques avec un élément relatif au piercing.

Pourquoi n’avez vous jamais ouvert de boutique à l’étranger ?

On a fait des pop-up shops, à Tokyo avec Comme des Garçons, à New York avec Gap il y a plusieurs années, ça durait un mois. Ça nous avait permis de développer plein de produits exclusifs. Mais encore une fois, nous sommes une petite équipe et nous voulons renouveler d’abord ici. On a besoin d’être là et on ne peut pas se démultiplier. On a aussi vraiment conçu la boutique pour Paris où il y avait un réel manque. Et je pense qu’il y a déjà beaucoup de magasins très bien dans ces autres villes.

Est-ce aussi pour conserver une forme de culte ?

C’est un grand mot quand même. À part les deux points sur notre sac et très peu de produits, comme nos bougies ou nos CDs, on ne se met pas du tout en avant. L’idée, c’est vraiment d’être un milieu neutre pour accueillir et mettre en avant pleins de créateurs que l’on découvre. C’est plus eux qui comptent que nous, nous sommes plus un vase transparent pour mettre en avant et faire découvrir de belles fleurs qu’on trouve.

Aimez-vous le visage de colette en 2016 ?

Oui, je trouve que ça va. Il y a bien sûr aussi l’avis de toute l’équipe mais le plus important, c’est avant tout de bien accueillir nos clients, leur dire bonjour, etc. Et général, j’ai de bons retours.

Donc colette n’est pas snob ?

Pas du tout. On vient de faire ce nouveau projet avec Panini dans le cadre de l’Euro. Et je suis aussi contente d’avoir fait une collaboration avec Hermès qu’avec Panini. Pour le coup, c’est un objet culte et pouvoir développer avec eux notre propre Panini, faire des stickers ronds, pousser des gens à faire des choses qu’ils ne font pas d’habitude, c’est ça qui est excitant pour nous.

À quoi ressemblera colette dans 10 ans ?

C’est difficile à dire, car il y a 10 ans, je n’aurais pas pu imaginer ce qu’est colette aujourd’hui. Je pense qu’on a trouvé un bon équilibre. Mais la disposition ne sera pas sans changer si nous avons d’autres idées. Notre force, c’est vraiment d’être libre de faire ce que l’on veut quand on veut.

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