Sonia Rykiel célèbre cette année ses 50 ans d’existence. À la tête de sa direction artistique depuis 2014, Julie de Libran continue de faire évoluer l’héritage pop de la maison.
Une adresse, des couleurs, une rayure et des sourires. La maison Sonia Rykiel fête cette année son cinquantième anniversaire et célèbre les codes qui ont fait sa renommée internationale. L’histoire de la marque débute quand son illustre fondatrice ouvre en mai 1968 une boutique éponyme de mailles qu’elle vendait jusqu’alors dans le magasin de son mari. Les événements qui font alors l’actualité exigent une fermeture temporaire de l’établissement mais auront une incidence éternelle sur le devenir de la femme Rykiel, indépendante et iconoclaste. C’est aujourd’hui Julie de Libran, passée chez Louis Vuitton aux côtés de Marc Jacobs, qui depuis quatre ans, réinvente l’ADN du 175 boulevard Saint Germain. Après avoir imaginé une immense librairie au coeur de la boutique emblématique, elle dessine cette saison une femme parisienne aux aspirations punk. Dans cet entretien, la directrice artistique de la maison raconte comment son enfance à Los Angeles a influencé son style, pourquoi le mythe de la Parisienne persiste et évoque le retour probable de la collection masculine.
La maison fête cette année 50 ans d’existence, comment la femme Rykiel a-t-elle d’après vous évolué en 50 ans ?
Elle évolue tous les jours. Pour moi, c’est important que l’esprit de Rykiel soit là et que l’esprit de cette femme forte, cultivée, pleine de surprises. Cette femme est toujours la même, elle vit simplement le moment d’aujourd’hui. C’est vrai que les femmes aujourd’hui vont toujours de l’avant. Elles sont très actives, voyagent, travaillent, sont curieuses. Cette femme a un vêtement qui l’accompagne, qui n’est pas un costume mais presque un uniforme qui lui donne des épaules, un côté un peu plus tough comme on dit en anglais.
Vous précisez que votre dernière collection n’est pas un hommage mais qu’elle honore Sonia Rykiel, pourquoi faire cette distinction ?
Je ne voulais pas que ce soit une rétrospective, je ne voulais pas que ce soit quelque chose de triste. Je voulais vraiment montrer ce que Rykiel a su très bien faire pendant ses années : mettre ensemble ces meilleures amies qui se retrouvent, qui marchent main dans la main, qui passent un bon moment ensemble comme si elles étaient dans la rue. Je voulais qu’on ressente cette joie de vivre de la maison sans que les vêtements l’histoire de la mode Rykiel. C’est la femme d’aujourd’hui et la femme de demain mais avec l’esprit que Sonia Rykiel a su tant respecter.
Sonia Rykiel s’est lancée dans la mode parce qu’elle ne trouvait pas les vêtements dont elle avait envie, pourquoi créez-vous ?
C’est un point en commun que j’ai avec Sonia Rykiel. Je suis française mais je suis partie vivre aux Etats-Unis quand j’étais petite dans un endroit extrêmement différent. C’était en Californie au bord de la plage. C’était le choc des cultures. Notamment au niveau de l’esthétique parce que les filles portaient du jean, des shorts Ocean Pacific, des t-shirts, des tenues de plage. J’ai eu une enfance extrêmement classique, une mère qui s’habillait en Rykiel, en Saint Laurent, en Kenzo. Elle était toujours assez élégante et là-bas, j’étais sans cesse à la recherche d’un vêtement que je ne trouvais pas. J’ai commencé à créer mes propres vêtements pour des soirées d’école et je les faisais fabriquer par des couturières sur place. Je me suis senti toujours très à l’aise à l’idée de reprendre cette maison parce que moi aussi, j’ai toujours été proche du vêtement. Je cherche à ce que le vêtement crée une histoire, des proportions, vous mette à l’aise et vous fasse sentir plus forte.
Pour qui ?
Aujourd’hui, je crée pour différentes femmes. Là, j’ai voulu sur cette collection m’inspirer de la musique et de la mode parce qu’en grandissant, la musique m’a énormément aidée à m’exprimer. Le Post Punk, le New Wave correspondent à une mode qui m’a elle, aussi donné, une voix. Quand je pense aux femmes que j’habille aujourd’hui, je pense justement à celles qui veulent avoir une voix. Le vêtement peut apporter cette expression, ces manières de se présenter, de s’amuser.
Comment la musique influence-t-elle de façon plus pragmatique votre collection ?
Un morceau de musique pour moi est un moment qui rappelle des souvenirs, des moments de partage, des moments beaux, joyeux. Un vêtement peut générer la même chose pour moi. C’est aussi quelque chose que l’on transmet. La mode et la musique sont pour moi très liées.
Vous faîtes donc référence au Post Punk à la New Wave, assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle vague en 2018 ?
Oui. J’avais entendu dire que Sonia Rykiel était punk, et je pense que moi aussi à ma manière. Dans les années 1980, j’avais un côté rebelle. Il ressortait à travers mes vêtements. Le New Wave, c’était la provocation et c’était à la fois plein de surprises.
Aujourd’hui, l’icône de la Parisienne est souvent montrée du doigt pour être un vecteur de clichés, qu’en pensez-vous ?
C’est vrai mais en même temps, la Parisienne existe et a toujours existé. Elle est regardée par le monde entier, les questions posées sont toujours du type : « Quel est le secret de la Parisienne ? ». C’est une attitude, c’est un caractère, elle se réveille et elle va toujours surprendre. Elle mélange son vêtement, le personnalise, emprunte des éléments d’une garde robe masculine pour les rendre féminins à sa manière, met du rouge à lèvres rouge, fait ses cheveux ou ne les fait pas, met des bottes ou met un talon. C’est une femme à laquelle on a envie de ressembler dans le monde entier, pour son côté nonchalant. Elle a une histoire, une culture et elle est bien dans ses baskets, je trouve que c’est merveilleux.
Qu’est ce que votre vision de la féminité en 2018 ?
Pour moi, le plus féminin et le plus sexy chez une femme, c’est qu’elle se sente en accord avec elle-même. J’ai la chance de pouvoir aider et contribuer à ça. Et je pense qu’un vêtement peut mettre une femme en valeur. Il peut l’aider à se sentir plus forte, plus à l’aise. Pour moi, la féminité d’aujourd’hui c’est l’équilibre du vêtement – une jupe courte avec un manteau masculin -, c’est de montrer un peu sans tout dévoiler.
Créez-vous une garde robe que vous souhaitez empowering ?
Non, je veux juste que ce soit un vêtement qui ne bloque pas la femme, qui la dérange. Le but pour moi est de proposer un vêtement qui laisse le corps libre. Je n’ai pas voulu faire de talons trop hauts cette saison, pour qu’une femme puisse parcourir les rues sans difficulté. La silhouette Rykiel a pour moi toujours accompagné la femme, ce n’est pas un déguisement.
Comment pensez-vous avoir réussi à imposer votre style chez Rykiel à travers un héritage si emblématique ?
De plus en plus, je fais un travail presque autobiographique. Je cherche vraiment à m’exprimer à travers les collections, on le voit notamment avec la musique que j’ai choisie. Je suis une de ces femmes, j’ai une famille mais aussi un métier à temps plein et des obligations. J’aime la versatilité des vêtements. C’est pour cela qu’il y avait beaucoup de fermetures éclair dans la collection de cette saison. Le côté pragmatique est très important pour moi dans un vêtement, ce côté technique que je trouve toujours intelligent. Mon expression et ma personnalité sont de plus en plus présentes d’après moi, en respectant toujours la volonté de Rykiel de mettre en beauté les femmes et de penser à elles. J’aime la diversité des femmes. Un vêtement n’est jamais un vêtement tant qu’il n’est pas porté. Il devient vivant quand ces différentes femmes se l’approprient.
Le défilé Rykiel automne-hiver 2018-2019 était le seul de la saison où les filles ont souri, pourquoi est-ce toujours si important ?
En arrivant dans cette maison il y a quatre ans, des gens m’ont dit : « ce que l’on adore chez Rykiel, ce sont ces moments magiques dont elle seule a le secret où on sent une énergie entre les filles, cette joie de vivre, ces instants émouvants et chaleureux ». Mon premier défilé, je l’ai voulu très intime, j’ai reçu les invités à la porte du magasin où se déroulait le show. J’ai entendu ensuite que Sonia Rykiel dupliquait ses silhouettes sur le podium de peur que l’espace soit trop vide et j’ai trouvé ça assez magique. Je ne l’avais pas fait jusqu’alors, mais je voulais, pour cette célébration des 50 ans, retrouver ce côté joyeux. Cette année, on célèbre la femme. Et de demander aux mannequins de se retrouver, de se mettre ensemble, de marcher côte à côte sur le défilé et de rigoler, elles n’avaient jamais fait ça et elles étaient tellement contentes. On a la chance dans la mode de faire un métier génial et je n’aime pas me prendre au sérieux. C’était une grande fête.
C’est aussi l’anniversaire des 10 ans d’arrêt de la ligne homme de la marque, aimeriez-vous voir l’homme Rykiel remonter sur le podium ?
Absolument. Quand j’ai rouvert ce magasin avec la bibliothèque, j’avais fait venir des frères et des sœurs qui avaient défilé ici. J’ai recréé la maille unisexe chez Rykiel, il y en a quelques unes dans nos magasins. J’avais pensé à faire défiler l’homme cette saison mais il faut vraiment relancer la collection, j’espère pouvoir faire ça très prochainement.
Mai 68, Paris se révolte, vous y faites forcément référence dans votre défilé, quels sont d’après vous les combats qu’il reste à mener aujourd’hui ?
La femme est plus libre aujourd’hui, même si on est parfois interloqués par les événements. Aujourd’hui encore, les femmes doivent se réunir et faire des Women’s March. La femme doit prendre sa liberté et je veux les accompagner dans cette démarche. C’est important d’avoir une voix et d’être écoutée.
Qui incarnerait aujourd’hui d’après vous le mieux la femme Rykiel ?
Peut-être moi ? (Rires) Non, je ne sais pas. Comme moi ou mes amis, je fais ce que j’aime, j’ai la chance d’avoir une famille qui me soutient, je suis mère, je travaille, je dessine, je ne compte pas mes heures. Pour moi, c’est ça la femme Rykiel, une femme qui crée ses désirs, qui s’épanouit dans la création, qui invente et qui prend des risques aussi.