Leaf Greener, la rédactrice de mode chinoise qui défie son pays

Article publié le 17 avril 2016

Texte : Jessica Michault
Photo : courtesy of Leaf Greener

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Avec « LEAF »,  son magazine digital publié sur la plateforme chinoise WeChat, elle est devenue en quelques années l’une des personnalités les plus influentes de la mode en Chine. Courtisée par les marques occidentales, Leaf Greener éduque ses contemporains à la mode et milite pour plus de liberté créative dans son pays gangrené par la répression.

À première vue, on aurait bien envie de ranger Leaf Greener dans la catégorie des « influenceuses » qui brillent sur les photos shootées sur le catwalk en béton à l’extérieur des défilés. Ses looks accrocheurs, son sourire éclatant et sa personnalité pétillante vous mettent au défi de ne pas tomber sous son charme. Mais il suffit de gratter la surface pour découvrir que Greener ne se résume pas du tout à son apparence.

Elle fut pendant six ans rédactrice en chef mode de la version chinoise du magazine Elle. Son travail d’écriture et de stylisme pour le magazine, devenu pendant son passage l’un des magazines de mode les plus influents en Chine, a contribué à éduquer et façonner le goût des Chinois et leur compréhension de l’industrie de la mode.

En 2015, à la recherche d’une plus grande liberté créative, elle s’est lancée seule dans la création d’un magazine digital baptisé «LEAF» sur WeChat, l’application numéro un en Chine. Sur cette plateforme en ligne, elle s’est appliquée à rédiger des articles plus profonds et originaux destinés à ses lecteurs avides de mode. Elle a aussi collaboré avec des marques à l’instar de Chanel, Chloé ou Loewe sur des photoshoots et des parutions afin de non seulement contribuer à la construction de la notoriété de la marque mais aussi à la compréhension de ses valeurs.

Au cours de notre déjeuner, Leaf s’est exprimée sur les obstacles que rencontrent les marques occidentales pour conquérir le marché chinois, sur la raison pour laquelle la vraie créativité est impossible en Chine et sur ce qui pousse la clientèle chinoise à délaisser le logo.

Son magazine « LEAF » sort exclusivement sur la plateforme WeChat, application numéro un en Chine.

Antidote : Pourquoi avoir décidé de lancer un magazine exclusivement sur WeChat ?

Leaf Greener : J’aime toujours autant écrire mais je voulais faire quelque chose qui incarne ma propre vision et mon point de vue. Il y a tellement de conneries sur le digital, personne ne produit de contenu original et n’est vraiment respecté, surtout sur le marché chinois.
En Chine, les gens ne font souvent que recopier des communiqués de presse ou traduire des articles provenant de blogs ou sites anglais. Vous savez, personne en dehors de la Chine ne sait la façon dont ça se passe réellement. En Chine, on vit dans notre petit monde. Les gens n’ont pas accès à du contenu riche. Premièrement parce que le gouvernement bloque tout et ensuite parce que la langue est très différente et complexe. Sur mon site, j’essaye d’aller au-delà du marché de masse et de creuser vraiment les sujets pour des consommateurs de luxe éduqués.

A votre avis, qu’est-ce que font mal les marques sur le marché chinois ?

Les marques occidentales continuent encore d’imposer leur culture et leurs valeurs en Chine. Ils ne font pas de recherches ou d’études de notre culture comme ils le devraient. Il y a tellement de designers qui disent qu’ils viennent en Chine très souvent, mais ce qu’ils font en réalité, c’est passer le plus clair de leur temps dans un hôtel de luxe et répondre à des interviews de magazines. Après cela, ils se vantent d’avoir « visité la Chine » et créent une collection inspirée de la Chine, mais ce n’est souvent qu’un ramassis de stéréotypes. Ce ne sont pas des créations que vont retenir les Chinois.

« En Chine, les gens ne font souvent que recopier des communiqués de presse ou traduire des articles provenant de blogs ou sites anglais. Personne en dehors du pays ne sait la façon dont ça se passe réellement. »

Une marque exemplaire en Chine ?

Hermès. Ils ont vraiment pris le temps d’analyser la culture chinoise et son histoire. Tous les pays asiatiques ne sont pas identiques. Il y a des cultures et des traditions très différentes. Les marques et les créateurs doivent vraiment prendre le temps de nous comprendre.

Cela est-il votre rôle à présent, aider les marques de luxe occidentales à mieux comprendre le client chinois ?

Oui ! J’essaie de faire le lien. La peur de la Chine est toujours présente et les préjugés à son égard sont nombreux. Je fais donc de mon mieux pour les aider à comprendre qui nous sommes et ce que nous voulons.

Son compte Instagram @Leaf_Greener compte plus de 100 000 abonnés.

Est-il vrai que la clientèle chinoise fortunée commence à se détourner de la logomania ? Que leurs goûts deviennent de plus en plus sophistiqués et qu’ils commencent à embrasser des marques plus pointues ?

On aura toujours ce genre de clientèle qui n’achète une marque que pour son logo. Mais la politique en Chine est en train de changer. Vous ne pouvez pas frimer en Chine comme avant, parce que sinon, le gouvernement frappe à votre porte pour vous demander d’où vient tout cet argent. Les jeunes générations d’acheteurs cherchent, elles, vraiment à dénicher des designers en vogue. Ce n’est pas tellement l’étiquette qu’ils cherchent mais plutôt la façon dont une marque s’adapte à leur style de vie. Et les créateurs chinois reçoivent de plus en plus soutien des médias, de l’industrie et des consommateurs. Les Chinois sont très patriotes, ce qui explique le coup de main donné aux talents locaux.

Dans quelle direction souhaitez-vous vous diriger à présent ? Quel est votre prochain coup ?

Je veux créer une version papier de mon magazine WeChat. Je continue de penser que l’impression a toujours de la valeur. Tout comme avant avec les films et l’arrivée de la télévision, il y a de la place pour les deux. On les utilise juste de différentes façons pour que le message atteigne in fine le lecteur. Mais le futur des magazines papier repose sur des concepts de niche exigeants. C’est par ce biais qu’ils pourront rivaliser avec le monde digital. Il est difficile d’être créatif ou visionnaire en Chine. Pour être vraiment créatif, vous devez être libre. Si vous ne disposez pas de cette liberté, comment pouvez-vous l’être ? C’est pour cela qu’on copie toujours tout (Rires).

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