Costumes aux lignes racées, pardessus ambitieux et jupes crayon libérées : la panoplie de la power woman renaît de son burn-out sur un mode rigoriste dépouillé. En pleine hégémonie streetwear, l’uniforme de travail ultra-codifié apparaît comme l’ultime moyen offert au deuxième sexe de se singulariser, entre mutinerie stylistique et nécessité impérieuse de s’émanciper.
C’est au défilé Céline, antichambre idolâtrée des tendances de demain, que le phénomène a été le plus flagrant. Sur fond sonore strident, des mannequins affluent de toute part sur un podium conçu à 360 degrés, déambulant volontairement de façon irrégulière et désordonnée. Aux antipodes de ce chaos soigneusement orchestré, on observe les silhouettes rigoristes de la collection, faite presque exclusivement de tailleurs pantalons et de costumes du soir, porte-drapeaux non-officiels d’un formal wear dernièrement relégué au mouroir.
À travers cette scénographie déstabilisante, c’est en réalité la rue dans son insoutenable mais inévitable dureté que la créatrice britannique a souhaité questionner. Un environnement post-industriel challengeant dans lequel la femme contemporaine doit plus que jamais se soumettre à une certaine forme d’austérité vestimentaire, loin des fantasmes streetwear inoculés par une clique de créateurs dont l’esthétique urbaine post-soviétique semble avoir perdu de sa superbe contestataire au profit d’un massif plébiscite populaire.
Face à cette mutation de paradigme stylistique, le formal wear au féminin se mue paradoxalement en une arme vestimentaire anti-conformiste sur l’échiquier cyclique que forment les tendances dominantes, mais pas seulement. Si l’uniforme de la working-girl s’imposera indubitablement l’hiver prochain dans les vestiaires citadins, c’est qu’il répond non sans pragmatisme aux injonctions sociétales qu’incombe à la femme contemporaine. Instrument de conquête du pouvoir emblématique des eighties, l’uniforme de travail doit lui permettre aujourd’hui de le conserver alors que bon nombre de ses acquis sont menacés, ou du moins peu enclins à évoluer.
Inégalités salariales persistantes, considérations sexistes anti-carriéristes : l’aspirante power woman moderne doit plus que jamais faire preuve de combativité pour s’imposer dans une société encore et toujours façonnée par des normes patriarcales, incluant une certaine conception de la virilité. Or quelle tenue de combat plus adéquate que l’uniforme de prédilection arboré par son adversaire ? Un tour de passe-passe salutaire dont la gente féminine a finalement usé tout au long du XXe siècle, en en révélant aujourd’hui une nouvelle déclinaison. Moins tailleur satiné que formel urbanisé, l’attirail de la working-girl made in 2017 s’affranchit de l’esthétique néo-kitsch galvaudée qui a fait sa notoriété pour se conjuguer sur un mode mêlant épure minimaliste et fonctionnalité. Démonstration.
LES ÉPAULETTES
De gauche à droite : Mugler automne-hiver 2017, Céline automne-hiver 2017, Jil Sander automne-hiver 2017, Isabel Marant automne-hiver 2017
Excroissances aux velléités dominatrices, les épaulettes s’extraient de leur jus eighties suranné pour s’imposer en gimmicks résolument frondeurs, garants d’une allure fière et volontaire. Aiguisées à l’extrême chez Mugler quitte à frôler la caricature, elles prennent une carrure résolument plus masculine chez Isabel Marant, Céline ou encore Jil Sander dans la droite lignée du retour de flamme impulsée par Demna chez Balenciaga qui n’a cessé depuis son arrivée de remettre la working-girl la tête sur les épaules.
LA JUPE CRAYON
De gauche à droite : Calvin Klein automne-hiver 2017, Max Mara automne-hiver 2017, Balenciaga automne-hiver 2017, Haider Ackermann automne-hiver 2017
Apanage d’une working-girl héritée d’un roman de Bret Easton Ellis, la jupe crayon version 2017 revendique de nouvelles ambitions. Si Haider Ackermann en livre une interprétation quasi-exégétique – noire, stricte et sculptante – Michael Kors et MaxMara proposent une version un brin fendue empreinte de pragmatisme, offrant à celle qui la porte une latitude de mouvements optimale. Une amplitude que l’on retrouve chez Balenciaga dont les silhouettes d’open-space déambulent vêtues de jupe crayon XXL que seule une ceinture d’inspiration cowboy permet de retenir. Un clin d’oeil western vu également en début de Fashion Month chez Calvin Klein, Raf Simons jouxtant ses “pencils skirts” de santiags stylisées, sauvant in extremis la jupe bodycon de la démission.
LE BLAZER
De gauche à droite : Off-White automne-hiver 2017, Dries Van Noten automne-hiver 2017, Fendi automne-hiver 2017, Victoria Beckham automne-hiver 2017
Incarnation stylistique d’un professionnalisme galvaudé, le blazer s’extirpe de son (sous) rang de basique insipide pour rehausser robes évanescentes chez Off-White, volants incandescents chez Victoria Beckham ou encore jupons satinés chez Fendi. Une montée en grade qu’il doit à des proportions ostensiblement androgynes, le blazer s’érigeant volontairement en armure anti-plafond de verre sur la slip dress de la femme Dries Van Noten ou le pantalon de mousseline de la gracile muse Lemaire. C’est ce qu’on appelle avoir une promotion.
LE TRENCH
De gauche à droite : Maison Margiela automne-hiver 2017, Céline automne-hiver 2017, Olivier Theyskens automne-hiver 2017, Nehera automne-hiver 2017
D’humeur cinétique, le trench féminin ne le sera plus l’hiver prochain. Mué en passe-muraille citadin, il se défausse de toute connotation sensuelle pour se fondre dans l’uniformité de l’habit de travail, sobre et fonctionnel. Enveloppe mastic brutaliste chez Céline, le trench gagne en prestance chez Nehera et Dries Van Noten face à un Olivier Theyksens qui mise plus que jamais sur une interprétation longiligne de ce studieux vêtement de pluie. Seul Galliano chez Margiela préserve un brin de son aura fatale en l’ajourant d’un non-plastron artisanal. Chic et strict.
LE PARDESSUS D’HOMME
De gauche à droite : Victoria Beckham automne-hiver 2017, Michael Kors automne-hiver 2017, Balenciaga automne-hiver 2017, Jil Sander automne-hiver 2017
Épaules imposantes, double-boutonnage structurant et teintes automnales rutilantes : le manteau d’homme s’impose chez Dries Van Noten ou Jil Sander comme une pièce à la puissance rare, véritable offensive vestimentaire d’une femme à l’indépendance non négociable. Force tranquille, il s’accommode toutefois de micros incartades stylistiques – manches bouffantes chez Victoria Beckham, manches cape chez Michael Kors – sans perdre de vue une certaine droiture, témoin de ses ambitions sociétales.
LE COSTUME
De gauche à droite : Céline automne-hiver 2017, Nehera automne-hiver 2017, Jil Sander automne-hiver 2017, Ellery automne-hiver 2017
Dédramatisé depuis le dernier défilé de Gosha Rubchinskiy au Pitti Uomo, le costume d’homme s’empare à nouveau du dressing dudit sexe faible sur une dynamique minimaliste conquérante. Littérale, la business woman made in Céline fait mine de l’acquérir sans détour au Printemps Homme, se murant la mine grave dans des costards noirs disproportionnés qu’elle jouxte de bottines immaculées. Un art du tayloring que Nehera conjugue avec plus de désinvolture convoquant fluidité des coupes et fines rayures, tandis qu’Ellery fait du combo veste Bar structurée et pantacourt feinté le tailleur pantalon du futur.
LA CHEMISE AU COL POINTU
De gauche à droite : Céline automne-hiver 2017, Vetements automne-hiver 2017, Christophe Lemaire automne-hiver 2017, Louis Vuitton automne-hiver 2017
Résurgence vestimentaire d’un formal wear que les interns ne peuvent pas connaître, le col de chemise à bouts pointus revient célébrer les tenants d’un dress code professionnel obtus. Intégralement boutonnés lorsque les volumes du col flirtent avec le classicisme d’une jeune recrue, le chemisier ainsi convoqué se passe d’un ou deux crans lorsque ses pointes se révèlent sévèrement affûtées, exception faite de la femme Céline dont les boutonnières jouent définitivement à guichets fermés. Et que vive l’austérité.
LE PRINCE DE GALLES GRIS
De gauche à droite : Calvin Klein automne-hiver 2017, Balenciaga automne-hiver 2017, Ellery automne-hiver 2017, Off-White automne-hiver 2017
Fil rouge de l’office wear façon Mad Men, l’imprimé Prince de Galles truste avec véhémence les tailleurs pantalons de la power woman édition 2017, qu’il se réclame du minimalisme post nineties façon Calvin Klein ou de la tradition aristo british à la manière d’Ellery. Apposé aux codes urbains chez Off-White, il peut se targuer de gagner en “fashion cred” auprès des aspirants CDD sans pour autant renier son ADN “femme de banquier” mis en exergue chez Balenciaga. Ou comment naviguer dans l’organigramme sans se faire griller.