Le Brexit va-t-il tuer le luxe ?

Article publié le 5 juillet 2016

Texte : Astrid Faguer
Photo : Faith Connexion printemps-été 2017

L’annonce du Brexit ajoute une nouvelle ombre au tableau dans un contexte de faible croissance économique du secteur du luxe. Quelles en seront les conséquences pour la sphère luxe-mode en général et britannique en particulier ? Décryptage.

23 juin 2016. L’annonce du Brexit se propage comme une onde de choc. Voilà que ressurgit dans les conversations l’idée d’une entente peu cordiale avec nos voisins britanniques. L’industrie du luxe, plongée dans la Fashion Week masculine en attendant la Couture, s’affole.

À la surprise générale, les journalistes parlent Brexit dans les rangs des défilés – notamment chez Junya Watanabe Man et Maison Margiela, les deux premiers défilés de la journée post-annonce Brexit. De leur côté, les géants du luxe s’inquiètent du futur comportement des acheteurs de luxe mais aussi de l’avenir de la création « made in Britain ». Côté résultats déjà, les nouvelles du front n’étaient pas très bonnes ces derniers mois – Christopher Bailey diminuant son salaire de 75% suite aux résultats en baisse de la maison Burberry, passant d’un salaire d’1.89 million de livres annuel contre 7.51 millions, l’an passé. Les poids lourds de l’industrie du luxe affichent des résultats décevants, en partie dus à une baisse de la demande suite aux attentats de Paris et Bruxelles.

Daniel W. Fletcher printemps-été 2017

Reste que l’annonce du Brexit ajoute une nouvelle zone d’ombre au paysage économique, entraînant une dégradation des marchés financiers qui pèse sur la façon de consommer – traduisez l’envie – des acheteurs du luxe. Dans Les Echos, les analystes financiers résument l’état d’esprit des acheteurs : « La confiance et le ‘feel good factor’ sont des éléments cruciaux pour les consommateurs du luxe ». Une perte de confiance qui pourrait se traduire par l’annulation d’un voyage à l’étranger ou la rétractation devant un achat qui, dans le contexte actuel, pourrait finalement sembler futile. Une théorie qui voudrait que lorsque le moral pèse sur les troupes, l’industrie du luxe dans son ensemble trinque.

Inutile de rappeler que le secteur de la mode pèse lourd dans l’escarcelle de la Grande Bretagne – affichant 26 milliards de livres sterling au compteur en 2014. Entre possible dévaluation de la livre – qui impliquerait une hausse du prix de l’importation pour les maisons qui travaillent avec l’étranger (la majorité des produits Burberry sont fabriqués en Italie) et par ricochet une hausse du prix des produits de luxe pour le consommateur   – et fuite des cerveaux créatifs à l’étranger, le monde de la mode tremble suite à l’annonce de la sortie de l’Union Européenne de la Grande-Bretagne.

Le secteur de la mode pèse lourd dans l’escarcelle de la Grande Bretagne – affichant 26 milliards de livres sterling au compteur en 2014.

Sentant probablement le vent tourner, Christopher Bailey (Burberry) et son président John Peace avaient signé (avec cent autres chefs d’entreprise) une lettre publiée sur la page éditoriale du Times indiquant leur position pro Union Européenne. Même combat pour la créatrice punk Vivienne Westwood qui avait posté sur son compte Instagram des photos d’elle en faveur du Remain et pour Daniel W. Fletcher qui avait organisé un défilé sous forme de manifestation anti Brexit, quelques jours avant le morose verdict.

Côté création, rien n’est très rose. La très prestigieuse Saint Martins School, qui a vu notamment passer sur ses bancs les britannique John Galliano et Alexander McQueen ou l’italien Riccardo Tisci, pourrait voir lui échapper à l’avenir bon nombre de jeunes talents britanniques et européens. Préférant d’autres capitales de la mode européenne – Paris et Milan – pour mener à bien leurs études et éventuellement lancer leurs griffes. L’Union Européenne finançant jusque-là de nombreux programmes de recherches et facilitant – financièrement parlant – l’accueil d’étudiants étrangers Outre-Manche.

Avant le Brexit, Alessandro Michele faisait défiler sa croisière 2017 à Londres au sein de l’Abbaye de Westminster.

Quant aux maisons étrangères qui avaient parfois délocalisé leur studio de création dans la capitale anglaise – à l’instar de la maison française Céline qui avait permis à sa créatrice Phoebe Philo de conserver son bureau londonien -, elles mesurent pour l’instant difficilement les conséquences du Brexit quand à une organisation déjà bien rodée avec leurs équipes. 

Alors à qui profite le crime ? Si on ignore précisément à quel point le Brexit affectera la sphère luxe-mode britannique des mastodontes Burberry et Mulberry aux tailleurs de Savile Row et le luxe européen et international à une échelle plus globale, la chute de la livre sterling face au dollar profite, dans l’immédiat, à certains touristes. The Business of Fashion révèle que, quelques heures après l’annonce du Brexit, les touristes fortunés de passage en Grande-Bretagne, ont pu se procurer des articles de luxe aux meilleurs prix. Ainsi la montre Clé Flying Tourbillon de Cartier, l’un des plus chers de la griffe, s’affichait à 139 847 euros au Royaume Uni, soit 13 622 euros de moins qu’en France. Affaire à suivre.

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