Anthony Vaccarello vient d’être nommé directeur artistique de Saint Laurent et succède ainsi à Hedi Slimane. Le créateur belge nous a accordé une interview pour parler de sa marque éponyme et nous raconter comment il s’est fait, contre vents et marées, un nom dans la mode.
Je ne l’oublierai jamais, la première fois où l’on m’a présenté Anthony Vaccarello. C’était en 2010, alors que nous nous trouvions assis l’un à côté de l’autre au dîner de bienfaisance de la mode en faveur de Sidaction, nous fumes tous les deux invités à la table de la Fédération française de la Mode et du Prêt-à-porter. Jimmy Pihet, responsable de la communication de la fédération, venait de me faire cette confidence : « Il a beaucoup de talent, vous devriez faire sa connaissance. Je pense qu’il va faire partie des grands. »
On ne pouvait dire plus vrai. En un peu plus de cinq ans, Anthony Vaccarello, qui a lancé sa marque en 2009, est devenu l’un des créateurs les plus prometteurs de sa génération. Son style est instantanément reconnaissable par son approche moderne, minimaliste, mais comportant une sérieuse dose de sex-appeal, une utilisation judicieuse d’ornements métalliques et un amour évident pour la silhouette féminine.
Je me souviens avoir été vraiment surprise de découvrir une vision aussi claire du vêtement lorsque j’ai assisté à son deuxième défilé, d’autant que la collection était une célébration de la femme assumée et sûre d’elle, qui sait jouer de son pouvoir de séduction. Tant d’intensité sur le podium de la part d’un homme qui n’avait pas été très bavard tout au long du dîner Sidaction, seulement deux mois auparavant, ce n’était pas cohérent.
« Je suis très timide, a expliqué Anthony Vaccarello au cours d’un déjeuner décontracté de steak frites au bistrot à côté de chez lui dans le troisième arrondissement de Paris. Je ne suis pas très à l’aise avec les gens et je me cache derrière un air froid et distant. En fait, je suis juste super timide et très sensible. »
« Je ne suis pas très à l’aise avec les gens et je me cache derrière un air froid et distant. En fait, je suis juste super timide et très sensible. »
Il est peut-être timide, mais il sait ce qu’il veut. Par exemple, lorsque pendant ce deuxième défilé fatidique de prêt-à-porter, la musique s’est arrêtée en plein milieu de la présentation, Anthony Vaccarello a réussi à détourner l’incident. « Tout le monde a pensé que c’était un truc belge, que cétait “cool” de couper la musique au milieu mais, en réalité, ce n’était pas volontaire », a-t-il révélé avec un sourire.
Né en Belgique en 1982, enfant unique de parents italiens, Anthony Vaccarello a grandi dans un milieu modeste. Son père est serveur dans un restaurant et sa mère est administratrice. Au cours de ses années de formation, ce n’était pas la mode qui avait piqué son intérêt créatif au début, c’était la photographie. « J’étais passionné par l’image. Je collectionnais toutes les vieilles photos de Versace lorsque Gianni était encore en vie. Je m’entourais d’images fortes qui me plaisaient. Mon premier amour, c’était vraiment la photographie. »
Cependant, comme tout enfant unique obéissant, Anthony a d’abord essayé de se conformer à une vie plus traditionnelle en faisant des études de droit pour devenir avocat et faire la fierté de ses parents. « Je ne voulais pas les décevoir, alors j’ai fait une année de droit, mais mes parents se sont tout de suite rendu compte que ce n’était pas pour moi. J’étais tellement déprimé par mes études de droit qu’ils m’ont finalement laissé faire ce que je voulais vraiment. Ils ont toujours été d’un grand soutien pour moi. »
Mais comme il pensait qu’il n’était pas bon photographe, au lieu d’étudier la photographie, Anthony Vaccarello s’est tourné vers le stylisme. Il s’inscrit à la très respectée École de La Cambre (École nationale des arts visuels) à Bruxelles. « À ce moment-là, j’avais découvert Comme des Garçons. J’ai aussi découvert Alaïa et j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment, c’était la création de mode. L’architecture du vêtement. »
Anthony Vaccarello automne-hiver 2016
Vidéo : Nathalie Ganguilhem
Pendant ses études, Anthony Vaccarello était obsédé par Tom Ford, par sa façon de transformer Gucci, pas seulement par son style mais aussi par l’histoire qu’il racontait dans ses images publicitaires provocatrices. « J’étais impressionné par la façon dont il jouait avec les codes de la maison et comment il se les appropriait », se souvient-il.
En 2006, il est diplômé de La Cambre avec les félicitations et, remporte, cette même année, la première place au Festival international de mode et de photographie de Hyères. Sa collection était audacieusement inspirée par la star italienne du porno la Cicciolina. La collection retient l’attention de Karl Lagerfeld et, bientôt, Anthony Vaccarello se retrouve chez Fendi, pour travailler sur la ligne fourrure.
« Ça été un choc. À La Cambre, nous étions très créatifs. Ils voulaient que nous soyons des individus à part entière et que nous trouvions nos propres codes. Ils ne voulaient pas que nous soyons inspirés par l’atmosphère ambiante, je me souviens, les cours se sont terminés en juin et j’ai commencé chez Fendi en septembre. J’ai atterri directement dans la réalité. Une réalité commerciale. Ce n’est pas très créatif de se retrouver dans un bureau comme styliste de pièces de fourrure traditionnelles, avec des lignes d’épaule parfaites et des jupes classiques. Mais je ne critique pas : ça m’a amusé. Et ça m’a vraiment aidé à me former pour ce que je fais aujourd’hui. Je ne crée pas des vêtements qui ne peuvent pas être portés. Je ne veux certainement pas que mes vêtements soient un rêve, quelque chose qu’on met sur un piédestal. Je veux qu’ils soient portés et vécus. »
En 2011, Anthony Vaccarello remporte un autre prix prestigieux, le prix de l’ANDAM, assorti de la somme de 200 000 euros. Lorsque je l’ai interviewé à ce moment-là, il me disait qu’il n’avait pas l’intention de laisser le prix changer la façon dont il allait s’y prendre pour construire son entreprise : « Je vais faire ce que j’ai toujours fait, c’est-à-dire de développer la marque lentement et sûrement. »
Vaccarello n’a jamais douté qu’il allait lancer sa marque éponyme. Et, presque immédiatement, un certain nombre d’it girls cool, qui savent repérer le talent à un kilomètre, ont commencé à porter ses créations. Le modèle Lou Doillon a très rapidement adopté la marque. Elle est devenue le visage de la collection automne/hiver 2010. Une horde de top-modèles, parmi lesquels Anja Rubik et Karlie Kloss, l’ont elles-mêmes appelé pour faire le défilé du printemps 2012. D’ailleurs, le numéro 29 de cette collection, arboré par Karlie Kloss, a fait la couverture du numéro de mars 2012 du nouveau Harper’s Bazaar, récemment relooké. Une Gwyneth Paltrow aux boucles blondes révèle son corps dans une robe noire, montrant une bonne partie de sa sublime peau. Et puis il y a la photo « marquée au fer rouge dans les mémoire » d’Anja Rubik, vêtue par le créateur, pour le Gala 2012 du Met, d’une robe de soie blanche qui laisse l’os de sa hanche exposé aux éléments. C’est la robe dont tout le monde parlait le lendemain.
Cameron Russell @Oui Management
Robe asymétrique en jersey noir et métal doré, Anthony Vaccarello. Manchette en métal doré tressé, Poggi.
Photographie issue de The Romance Issue : Cuneyt Akeroglu. Réalisation : Yann Weber. Casting : Sybille de Saint-Phalle
Coiffure : Angelo Seminara. Maquillage : Akgun Manisali
Seulement quelques mois plus tôt, Angelina Jolie, ou plus précisément sa jambe droite, avait fait les gros titres de la presse alors qu’elle portait une robe Versace noire laissant découverte la majeure partie de sa jambe svelte pour les Oscars. Alors, peut-être, était-il écrit que Donatella Versace devait appeler Anthony Vaccarello pour que ces deux âmes sœurs du stylisme puissent se rencontrer.
« Elle a sorti le grand jeu. » Vaccarello se souvient de cette première fois où il a rencontré Donatella Versace : « Elle avait envoyé une belle voiture et nous avions rendez-vous au Bristol. Très diva, mais superbement. C’était parfait. Vous savez, pour quelqu’un comme moi, qui vient de Belgique, qui n’est pas d’ici, pas habitué à tout cela, c’était vraiment merveilleux. Parce que vous vous rendez compte que tout est possible. C’est ce qui est beau dans ce métier, même si c’est dur et qu’il y a beaucoup de travail, c’est que vous pouvez être reconnu. Les gens peuvent apprécier ce que vous faites. Rencontrer Donatella est un moment inoubliable dans ma vie. »
Peu de temps après cette rencontre, Donatella Versace demande à Vaccarello de rejoindre sa maison et de devenir directeur artistique de la ligne Versus. Il insuffle alors une nouvelle énergie à la collection en ciblant les besoins d’une génération de consommateurs qui ne veulent pas attendre pour acheter ce qu’ils voient sur le podium. Une grande partie de sa collection Versus était disponible à la vente le lendemain du défilé.
« Je pense qu’il est astucieux de voir le défilé et de pouvoir aller au magasin prendre la robe ou la veste, sans avoir à attendre 6 mois. Il faut la structure pour le faire, savoir combien de pièces vous allez vendre, pour pouvoir produire. Je pense qu’un jeune créateur ne peut pas faire cela. Mais si vous êtes un grand, c’est ça l’avenir », livre Anthony Vaccarello à propos de sa stratégie.
« Rencontrer Donatella est un moment inoubliable dans ma vie. »
Selon Donatella Versace, « Antony a véritablement capturé l’esprit de Versus Versace. J’adore comme il fait avancer cette marque que j’aime vers une nouvelle génération. »
Comment un jeune styliste comme Anthony Vaccarello peut-il maintenir l’intégrité de son propre label alors qu’il doit aussi créer pour une autre maison ? Selon lui, il n’y a pas de séparation entre les deux.
« Je ne pense pas que je pourrai jamais les séparer. Parce que je ne pourrai jamais accepter de travailler pour une maison qui n’est pas ce que je suis. Je ne veux pas être schizo, je ne veux pas essayer d’avoir une double personnalité. Par exemple, Versus, c’est moi, mais avec les codes de maison Versace. C’est leur équipe, leur usine. J’apporte ma contribution à quelque chose de déjà très structuré. »
Pour ce qui est de sa propre marque, Vaccarello conçoit son travail comme une constante exploration de sa conception de la femme. Une femme qu’il considère comme féminine, citadine et dynamique, dont il a encore beaucoup de facettes à découvrir et à explorer. Il utilise sa dernière collection comme le point de départ de la prochaine et ne veut pas être le genre de créateur qui passe d’un défilé à thème à un autre. « Je veux toujours être moderne, et faire des choses qui ne suggèrent pas de référence particulière, qu’elles soient originales et laissent vraiment percevoir la recherche et la pensée qui ont été engagées dans le travail », dit-il fermement.
Lindsey Wixson @Elite Paris
Robe asymétrique en cuir et volant en cotte de maille, Anthony Vaccarello. Boucles d’oreilles, collier et bracelet, Boucheron.
Photographie issue de The Night Issue : Miguel Reveriego. Réalisation : Yann Weber. Casting : Sybille de Saint Phalle
Coiffure : Alessandro Rebecchi. Maquillage : Alice Ghendrih.
Récemment, quelques designers ont fermé leur maison pour investir leur énergie créatrice exclusivement dans leur travail pour de grandes maisons de mode. C’est un concept qu’il comprend, même si, lui-même, ne pourrait jamais l’imaginer. « Je pense que c’est un choix et je ne crois pas qu’ils aient perdu quoi que ce soit en le faisant. Je pense que leur nom est toujours là, relié à l’autre maison. Personne ne les a forcés à faire ce choix. Et, s’ils le font, c’est qu’ils y ont vraiment réfléchi. C’est parce qu’ils ne veulent pas travailler 24 heures sur 24 pour leur propre marque et une grande maison. Ils veulent avoir leur week-end, ou aller en vacances. C’est un choix de vie. Quand les gens disent “c’est vraiment dommage, ils ont fermé leur entreprise”, ils ne réalisent pas la somme de travail nécessaire pour faire les choses bien. Si faire les deux signifie ne pas être capable de faire les deux comme il faut, alors il est préférable d’arrêter. Ils peuvent toujours revenir à leur marque plus tard ou faire autre chose. J’ai un grand respect pour ce genre de décision. »
Dans le même ordre d’idées, Anthony Vaccarello a plus de difficulté à comprendre les stylistes qui se plaignent de la difficulté de leur travail. « C’est un rêve de faire ce travail. Et je ne comprends pas la pression ressentie par les stylistes. Mon père se lève tous les jours à 6 heures pour travailler et revient tard dans la nuit, extrêmement fatigué. C’est dur. Aller au bureau à 10-11 heures le matin et travailler sur des robes, ce n’est pas très dur comme travail. Si vous ne voulez pas le faire, alors devenez fleuriste. Faites ce que vous voulez. »
« Aller au bureau à 10-11 heures le matin et travailler sur des robes, ce n’est pas très dur comme travail. Si vous ne voulez pas le faire, alors devenez fleuriste. »
Lorsque Vaccarello veut se détendre, il demande l’aide de son groupe d’amis proches. Un peu casanier, il enchaîne depuis peu les épisodes de la série Narcos avec son compagnon depuis 13 ans, Arnaud Michaux. « Nous ne parlons pas de mode, nous essayons d’avoir une vie normale. Il suffit de rester ensemble à faire des choses ordinaire », tout en révélant qu’il cuisine de sacrées bonnes pâtes à la sauce tomate.
Ses succès ont changé peu de choses dans sa vie de tous les jours. Il peut encore marcher dans la rue sans qu’on le reconnaisse. Il travaille toujours avec la même petite équipe avec laquelle il a commencé il y a six ans. « Ni la façon dont je me comporte, ni ma manière de vivre n’ont changé. Je fais peut-être moins attention au nombre d’Uber que je prends », dit-il avec un sourire.
Pour ce qui concerne les objectifs à venir, il est très excité par la nouvelle ligne de sacs à main qui doit arriver en magasin avec sa collection printemps/été 2016. Alors qu’il pense que l’idée d’ouvrir un magasin en dur n’aurait aucun sens. « J’ai de beaux points de vente, dit-il, peut-être ouvrirai-je un site de e-commerce un jour. » Il aimerait aussi voir Kristen Stewart porter une de ses créations. Voyager plus est aussi sur sa to do list – mais, pour visiter des villes, vu qu’il a tendance à s’ennuyer s’il ne ressent pas autour de lui la pulsation d’une métropole.
Quant aux étudiants qui sont probablement en train de coller les photos de ses défilés et de ses campagnes publicitaires sur leur murs et rêvent un jour de lancer leur propre label, voici le conseil que Vaccarello souhaite leur donner : « Ne croyez pas les gens qui vous disent de ne pas créer votre propre marque. Beaucoup de gens m’ont dit il y a six ans que je devais entrer dans une grande maison. Je pense ce sont de pures conneries. Si vous avez quelque chose à dire, et si vous voulez vraiment faire quelque chose, faites-le. La pire des choses qui puisse vous arriver, c’est de revenir à ce que vous faisiez avant, mais au moins sans regrets. »