Jeune et futuriste : Courrèges réinvente le luxe

Article publié le 16 mai 2016

Texte : Jessica Michault
Photo : campagne printemps-été 2016 Courrèges par Oliver Hadlee Pearch

Depuis leur arrivée un an plus tôt à la tête de la direction artistique, le duo formé par Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant a donné une nouvelle impulsion à une maison française jusqu’alors en perdition. Bonjour Courrèges.

Lorsque je suis entrée au siège de la vénérable maison Courrèges, sis au 40 rue François Ier à Paris et immanquablement identiafiable par sa blancheur immaculée, la deuxième chose à m’avoir frappée est l’âge de ceux qui travaillent là.

Alors qu’on me conduit au bureau commun de Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, les codirecteurs artistiques de la marque, je remarque que la moyenne d’âge des quelque trente personnes affairées à la découpe de patrons, penchées sur leurs ordinateurs, ou en train d’organiser des portants de vêtements, semble d’environ vingt-cinq ans. Pour une marque construite sur une idée de jeunesse et de futurisme, c’est déjà prometteur. Doublement quand on sait que Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant ont eux-mêmes seulement 26 et 27 ans. Le dynamisme de la jeunesse est presque palpable.

L’ascension de ce duo a été rapide et éblouissante. Je les avais interviewés, il y a à peine deux ans, au sujet de leur marque encore toute récente, Coperni, car Nathalie Dufour, fondatrice du très respecté prix de l’ANDAM, avait attiré mon attention sur eux. À l’époque, j’avais écrit : « Cette collection bien construite repose sur une simplicité sophistiquée tout à fait rafraîchissante. » Ce qui reste vrai aujourd’hui à propos de leur travail chez Courrèges.

De gauche à droite : Frédéric Tortoling, Arnaud Vaillant, Sébastien Meyer et Jacques Bungert.
Photo : courtesy of Courrèges.

Inutile de préciser que, moins de trois mois après cette première interview, le tandem avait gagné le prix Premières collections de l’ANDAM et que tout le monde de la mode ne parlait que de ces jeunes talents. Nathalie Dufour se souvient avec plaisir de ce moment : « C’était un binôme parfait, avec Sébastien au stylisme et Arnaud au business. Leur première collection révélait une marque aboutie et globale, un vestiaire épuré, une douceur recherchée et féminine et une énergie rare qui avaient conquis le jury. » Il est en quelque sorte logique qu’ils finissent chez Courrèges, une maison connue pour ses modèles futuristes au style un peu « conquête de l’espace ».

Fondée par le récemment défunt André Courrèges en 1961, la marque fait irruption sur la scène de la mode au moment où le monde ressentait les premiers grondements du mouvement de la jeunesse qui allait bouleverser tous les aspects de la vie. Pour citer la célèbre phrase d’Yves Saint Laurent, « rien n’a plus été comme avant » après que Courrèges a présenté sa vision de la modernité.

Cependant, du moment où le couturier a arrêté de créer lui- même, la maison éponyme est devenue la belle endormie de la mode. Quelques frémissements se sont fait sentir en 2011 quand Jacques Bungert et Frédéric Torloting, deux cadres en communication qui étaient coprésidents de Young & Rubicam, ont acheté la maison à Coqueline, la femme du fondateur. Mais c’est seulement lorsque Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant ont rejoint le navire en mai dernier que le réveil a réellement sonné. Et que la maison a vraiment commencé à ouvrir les yeux.

Le timing ne pouvait être meilleur puisque c’est l’année dernière que les millenials ont dépassé en nombre les baby-boomers dans la classification par groupe d’âge des populations sur la planète. On dirait que Courrèges va se retrouver en pole position pour habiller la jeunesse — et pas uniquement.
Dans cette interview, Antidote révèle ce que le duo de créateurs réserve à ses clients de demain.

Lorelle Rayner, photographiée par Benjamin Lennox pour Magazine Antidote : Now Generation, porte une veste Courrèges printemps-été 2016.

ANTIDOTE. Pourquoi avoir décidé d’abandonner votre marque pour devenir directeurs artistiques chez Courrèges ?
SÉBASTIEN MEYER. C’était la suite logique par rapport à l’idée qu’on se fait de la mode. Notre ambition a toujours été d’aller plus loin, de proposer de nouvelles choses. Chez Coperni on avait déjà cette envie en nous. C’est chez Courrèges que c’était le plus légitime de proposer des choses innovantes. On avait envie que notre travail trouve plus d’écho. Chez Courrèges, il y a plus de moyens et plus de résonnance. Ça n’a pas été un changement radical parce que, même en termes de style, on était assez proche. Il y a toujours l’architecture et la construction du vêtement au centre de notre travail. Tout ça fut très naturel.
ARNAUD VAILLANT. Coperni c’était fantastique. C’était notre bébé. C’est un projet qu’on a monté : au début, il y avait cinq pièces, puis une collection, puis deux, puis tous ces concours… On a rencontré des gens qui nous ont dit : « C’est magnifique. Vous devriez rencontrer les PDG de Courrèges ! » Du coup, on a beaucoup hésité à garder les deux mais on ne regrette pas. Parce que Coperni, tout le monde trouvait ça beau mais c’était trop petit. Et Courrèges, il y a tellement de choses en chantier. On s’occupe vraiment de tout – les boutiques, le site… tout ! On a une liberté incroyable. C’est comme la suite de Coperni avec un patrimoine merveilleux. Ça va de soi.

ANTIDOTE. Je sais qu’entre les fondateurs et les actuels coprésidents, Jacques Bungert et Frédéric Torloting, la reprise de la marque, il a d’abord été question de feeling. Était-ce pareil entre vous ?
SÉBASTIEN. Oui. Au départ, on les a rencontrés, il y a un an et demi, et, dans un premier temps, il n’a pas été question pour eux de trouver des directeurs artistiques. C’était surtout des conversations autour de Courrèges, de comment on envisageait l’avenir… Cet échange a duré un an. C’est long un an. Puis, un beau jour, ils nous ont dit : « Une collection doit être prête dans trois mois. Êtes-vous d’accord pour travailler dessus ? » On a répondu : « Ok. C’est parti. » Du coup, tout s’est fait comme quand Coqueline Courrèges leur a cédé la marque. Les discussions étaient très fluides. Il était question de transmission, de savoir-faire et d’héritage. C’était génial.
ARNAUD. L’idée n’était pas de choisir des gens très connus mais de perpétuer une tradition tout en prenant des risques, de jouer sur notre jeunesse et notre innocence. Ce ne sont que de belles histoires. C’est très sain.

ANTIDOTE. Parlons de risques. Votre premier défilé a beaucoup fait parler de lui. Vous n’étiez pas stressés de parler avant le défilé, face à tout ce monde ? Quelle était l’idée derrière cette présentation ?
SÉBASTIEN. Justement, pendant cette année de discussion avec Jacques et Frédéric, on a fait une note d’intention sur ce qu’on percevait de Courrèges, qu’on a titrée Simplicité et vision. Du coup, une fois qu’on a mis les pieds ici, on s’est dit que tout notre travail devait tourner autour de la simplicité. On a imaginé des catégories de vêtements comme chez nous quand on ouvre notre penderie. Il y a les vestes… les jupes… les robes… On a construit les vêtements comme ça. Pour le défilé, on s’est demandés quelle était la meilleure façon d’arriver face à des gens qui se sont déplacés ? On a voulu leur dire bonjour, leur dire pourquoi on était là, ce qu’on allait leur présenter et ensuite leur montrer des vêtements le plus naturellement possible. On avait
vraiment envie de faire ça. Et je pense que ça a plu. Cette déthéâtralisation du show. Se dire que ce n’est plus un spectacle mais une présentation de vêtements.
ARNAUD. Il n’y avait plus eu de défilés ni de performances depuis longtemps chez Courrèges.

ANTIDOTE. Vous appelez cela une performance ?
SÉBASTIEN. Non, les performances, c’était à l’époque. Il n’y avait pas de défilé classique, jamais de défilés en ligne droite. On ne pouvait pas voir un défilé Courrèges avec des filles qui marchent les unes à la suite des autres.

« Chez Courrèges, on s’occupe vraiment de tout – les boutiques, le site… tout ! On a une liberté incroyable. C’est comme la suite de Coperni avec un patrimoine merveilleux. Ça va de soi. »

ANTIDOTE. On a parlé de simplicité et là, on voit cette cohérence maintenant avec vos nouvelles publicités pour la maison.
SÉBASTIEN. L’idée, c’était, là encore, de déthéâtraliser cette publicité et d’arrêter avec les stars au bord de la mer ou les filles sur un cheval. À quoi sert une publicité ? À montrer des vêtements. Nous, on ne voulait pas être plus énigmatiques que ça et se dire, avant de vous montrer les vêtements : « On va vous montrer les catégories de vêtements que l’on propose. Quand vous viendrez chez nous, chez Courrèges, vous allez voir des robes… des jupes… des vestes… » J’aimais l’idée d’évoquer des choses en mettant un mot parce que, quand tu vois une jupe, tu la juges ; elle te plait ou pas. Alors que le simple fait de voir écrit « jupe », par exemple, ça te fait penser à des jupes et tu t’en fais une idée, de cette jupe, et ça te donne envie. Il y a un peu un rêve. On te donne un indice. À toi de te faire ton propre jugement.
C’est un peu aussi ce qui se passe chez Courrèges. C’était bloqué dans les années 60-70 et tout le monde s’en fait une idée, de Courrèges, de ce que c’est. Pour toi, ça va plus être des petits pulls en maille avec des logos et tout. Courrèges évoque beaucoup de choses chez les gens car ça a été une marque très sociétale, très patrimoniale. En vrai, ces pubs racontent ça aussi, tout ce que ça évoque chez les gens : l’inconscient, tout ça. Ce n’est pas juste un mot. C’est, pour nous, beaucoup plus philosophique que ça. Et c’est aussi l’idée de reposer l’alphabet de Courrèges. De commencer par des mots pour parler aux gens et ainsi de suite.

ARNAUD. Ce qui était intéressant, c’est que ce côté sociétal, ça créait beaucoup de débats justement. C’est intéressant. Comme cette ambivalence entre les réseaux sociaux et le print. On essaye d’être à contre-courant. On trouve ça dommage d’attendre tous les six mois pour faire une campagne de publicité que tu verras dans tous les magazines. On aime produire beaucoup d’images sur Bonjour Courrèges avec des artistes et les poster d’un coup, parce que les gens sont toute la journée dessus. Nos campagnes de presse viennent de là. C’est l’inverse sur le magazine papier où tu as quelque chose de très neutre et d’épuré en contraste avec le reste. On essaye d’être en contraste un peu partout.

ANTIDOTE. Parlons un peu de Bonjour Courrèges…
SÉBASTIEN. Nous avons trouvé cela dans les archives. Notre compte Instagram s’appelle Bonjour Courrèges, du nom d’un magazine mai-son réservé aux clientes et aux employées. Autant te dire que ça date. Tu imagines ? Avoir un magazine print en interne dans les années 1970 ? Juste incroyable. Ils partaient avec la collection deux semaines en voyage dans une ville avec un photographe et ils shootaient dans plein d’endroits. Ils allaient au ski. Ils se shootaient au ski. Il y avait quelque chose de très vivant, tu sais, de très décomplexé. Une espèce de liberté. On fait ce qu’on veut : on s’amuse.
ARNAUD. Du coup, l’idée c’était de se dire que Bonjour Courrèges aujourd’hui, si ça devait exister, ça serait sur les réseaux sociaux. Du coup, notre Instagram, c’est devenu le Bonjour Courrèges. L’idée, c’est déjà de commencer – c’est appelé à grandir –, c’est de proposer au moins une fois par mois à un artiste ou un pho- tographe de prendre un thème de la collection et de partir shooter à la campagne. Tu fais ce que tu veux tant que ça correspond à l’esprit de la maison. On vient de commencer.

ANTIDOTE. Que pensez-vous de la vitesse du monde de la mode d’aujourd’hui ?
ARNAUD. On doit en changer, je pense. Il faut trouver de nouvelles astuces. Le système est un peu saturé en ce moment mais on le voit, depuis les fabricants de tissus jusqu’aux boutiques : toute la chaîne logistique est longue et compliquée. En ce moment, il y a des pre-fall. Il y a des maisons qui sortaient en novembre, décembre, là en janvier. Il y en aura encore en février. C’est tout le temps. Tu ne comprends rien. Il y a aussi une ambiguïté sur les saisons. On présente l’hiver en mars sauf qu’il sera livré en été donc six mois après. C’est plus possible. La cliente est de plus en plus avertie, elle connaît tout. On est en train de réfléchir à comment changer un peu le cycle de production, à ne pas s’obliger à faire des pré-collections. Je vois tous mes amis dans les grandes maisons qui n’en peuvent plus. Tu as un mois pour faire les collections et tout. Nous, on pourrait peut-être proposer des capsules. Un peu d’homme. Pas de la couture mais on peut aussi un peu jouer sur les archives de la maison, qui sont sublimes. Et Jacques et Frédéric sont vraiment ok avec nous car on a ce nom qui est exceptionnel, Courrèges. Ils sont tous deux friands de différence, de nouveaux projets. À côté, Sébastien et moi avons une motivation de dingue. Il y a plein de choses à faire, c’est sûr. En même temps on voit bien trop de burn out autour de nous.

Silhouettes de la collection automne-hiver 2016 de Courrèges
Photo : courtesy of Courrèges

ANTIDOTE. Vous êtes un couple dans la vie depuis sept ans. Dans le travail, quel est le partage des tâches ? Est-ce que vous partagez ou vous mélangez ?
ARNAUD. Déjà, on a énormément de chance de s’être rencontrés parce que seul, ce job est très dur. À deux, tu peux toujours te reposer l’un sur l’autre. Quand il y en a un qui est down l’autre est up et puis tu ne prends pas les décisions tout seul. Tu as quelqu’un. On est très complémentaires parce que Sébastien est vraiment créatif et moi très pragmatique. Chez Courrèges, on avance main dans la main. On fait toutes les réunions ensemble : toutes, toutes, toutes… On essaye de trouver l’équilibre entre la créativité, qui est le plus important dans notre métier, et la réalité de l’industrie, qui fait qu’il faut répondre à plein de choses, plein de demandes de prix, de trucs. C’est vrai qu’on connaît ces grandes histoires d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, par exemple, qui sont des binômes d’autant plus efficaces aujourd’hui, où l’industrie a tellement grandi qu’on ne peut plus créer pour créer. C’est génial de tout faire à deux et de savoir pour qui on fait cette veste, à quel prix, dans quel délai, pour quelle saison. On a beaucoup de chance.
SÉBASTIEN. C’est vrai que, à chaque réunion et décision, on a un avis. Je vais vouloir toujours pousser le vêtement, être plus créatif ou pas, et Arnaud va plus avoir le réflexe de se demander si c’est réalisable, etc.

ANTIDOTE. Qui est la femme Courrèges d’aujourd’hui ?
SÉBASTIEN. Courrèges, dès les années 60, c’était l’envie de toucher toutes les femmes. C’était la libération de la femme. Ce n’est en aucun cas d’en circonscrire une. C’est contraire à la philosophie de la maison. C’est un autre point de vue que nous partageons. Cette envie de faire des vêtements pour habiller toutes les femmes. Sans quoi notre métier n’a plus de sens et est très réducteur. Après, on ne peut pas non plus tomber dans quelque chose de trop démocratique parce que, dans la mode, il est question d’exigence et il y a une clientèle avertie.

ANTIDOTE. La femme qui suit ce qui se passe dans la mode, alors ?
ARNAUD. Exactement. Surtout pour un début, parce qu’il faut quand même contrôler l’image. Il y a une espèce de désirabilité mais, sur le long terme, vraiment, notre rêve, c’est d’habiller le plus de monde possible. Parce que, dans le fond, on est aussi proche des célébrités que de nos mères. Dans l’ADN de Courrèges, on joue sur cette ambivalence. Ce qui fait le précieux de cette maison, c’est qu’elle concerne énormément la jeunesse. Donc on essaye de faire du frais, du moderne et, en même temps, du chic. Le côté français, la construction et le minimalisme.

ANTIDOTE. Courrèges se positionne comment ? Comme une marque abordable pour des jeunes gens cool ?
SÉBASTIEN. Courrèges est une marque de luxe, de par son histoire. Ça vient de la couture et, parce qu’il y a une exigence du vêtement, il y a eu l’usine de Pau créée par André Courrèges. Il y a tout un savoir-faire, une technique autour du vinyle, de la surpiqure, un travail incroyable et, en ça, c’est vraiment du luxe. Quand tu passes je ne sais combien d’heures sur une robe, ça t’oblige à avoir un prix élevé. C’est le travail qui justifie le prix. Cela nous tient à cœur car on adore ce savoir-faire.

Cet article est extrait du dernier numéro du Magazine Antidote : Now Generation, disponible sur notre eshop.

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