Jérôme Gautier : « Les magazines m’ont appris la mode »

Article publié le 5 novembre 2015

Il y a plusieurs façons de tomber amoureux de la mode. Pour certains, c’est l’amour du vêtement, du textile, de la matière qui sont le déclencheur. D’autres aiment d’abord le luxe et ses promesses douillettes et brillantes. Pour Jérôme Gautier, auteur du livre Dior : New looks sorti le 22 octobre, c’est la photographie qui est à l’origine de sa passion pour le stylisme et les magazines féminins. Dans un endroit tenu secret, il en recense plus de 8000 et c’est dans cette fabuleuse collection qu’il est allé piocher les images qui nourrissent son dernier ouvrage. Propos recueillis par Laurence Vély.

Vous sortez un livre intitulé Dior New Looks. Il existe déjà des dizaines de livres sur Dior, quelle est l’intention de celui-ci ?
Cet ouvrage est particulièrement original car il n’est pas forcément chronologique. J’ai travaillé autour de thèmes chers à Christian Dior et ses successeurs afin de trouver une cohérence stylistique défiant le temps. Tout est mélangé en termes d’époques et de designers, c’est vraiment le vêtement et son image qui font le mouvement. Il y a aussi mes textes qui racontent l’impact du New Look mais aussi les influences de Christian Dior. J’ai essayé de restituer son époque et d’expliquer comment il a influencé la mode bien au-delà de son temps.

Toutes les images du livre sont originellement tirées de votre collection personnelle de magazines de mode, que vous estimez à plus de 8000 ouvrages, toutes époques et tous continents confondus… Comment procédez-vous ?
Je sélectionne dans mes magazines les images qui me semblent cohérentes avec le propos que je souhaite tenir et ensuite mon éditeur Thames et Hudson obtient auprès des photographes les mêmes images en haute résolution pour les besoins du livre dont la qualité doit être parfaite.

Quand avez-vous commencé cette collection ?
J’ai eu mon premier magazine en septembre 1991, j’avais 15 ans, c’était un Vogue Paris. J’ai vu cette couverture en noir et blanc avec le mannequin Heather Stewart-Whyte, photographié par Dominique Issermann, posant dans une voiture. J’ai trouvé la photo vraiment belle! J’ai feuilleté le magazine et tout était sublime, c’était un numéro spécial haute couture. J’ai demandé à ma mère de me l’offrir mais je ne pensais pas que ça allait devenir une collection. Ensuite j’ai commencé à prendre l’habitude d’aller m’acheter chaque mois les Vogue américain et anglais, et le Haper’s Bazaar. A La Roche sur Yon, d’où je viens, il y n’y avait qu’une librairie qui les vendait et c’était l’excitation de sortir du lycée pour aller chercher ces nouveaux magazines.

D’où vient cette attirance pour la photographie de mode quand on a 15 ans ?
J’ai toujours été passionné d’histoire et intéressé par l’habit dans la peinture. Et cet intérêt s’est finalement transformé en amour de la mode, la photographie puis s’est étendu au mannequin… et je me suis petit à petit mis à collectionner tous les magazines offrant une iconographie de grande qualité tels que Vogue (US, UK, français, italien, allemand, espagnol, russe, japonais et chinois), W, Vanity Fair américain, Allure, Elle (France et US), Purple, Self Service, V, V Man, The Face, i-D, Another Magazine, Pop, Love…

Ce qui vous touche, c’est l’aspect éphémère d’une série mode ?
J’aime bien l’idée qu’une image résulte de la rencontre d’un photographe, un mannequin, une styliste, toute une équipe ayant œuvré pour créer une histoire afin de rendre compte d’une tendance dans les pages d’un magazine. Ce magazine a été publié et des dizaines de milliers de femmes ont vu ces séries qui ont pu les enchanter ou, de façon plus pragmatique, leur donner des idées. Je suis autant attaché à cette idée de convergence qu’au fait que l’image soit figée, sans son. C’est un acte créatif spontané et durable.

Êtes-vous devenu un expert dans l’histoire de la mode à travers les âges ?
J’adore les livres mais ce sont les magazines qui m’ont appris la mode et ses réelles évolutions. Le magazine de mode offre un regard vif sur son époque et c’est ce que j’aime. Les informations qu’il révèle sont d’autant plus précieuses. Et puis je suis fasciné par toutes ces beautés qui l’habitent, à commencer par les « cover girls » dont je me suis aussi pris de passion. Elles nous offrent une idée du beau à des périodes données. Les mannequins des années 50 comme Suzy Parker ou Dovima n’ont rien avoir avec une mannequin des années 60 comme Jean Shrimpton, Celia Hammond ou Twiggy qui n’ont rien à voir avec Janice Dickinson dans les années 70. Maintenant, les mannequins et tendances passent beaucoup plus vite, mais il y a quelque chose qui me touche quand je vois des photos anciennes.

Et le vêtement dans tout ça ?
Ce qui est drôle c’est qu’un vêtement raté peut faire une super image ! C’est aussi une histoire d’attitude, de fille. Il y a eu des pièces passables, mais qui, photographiées par des photographes prodigieux, comme Richard Avedon ou Irving Penn, ont l’air sublime ! La rédactrice de mode tient aussi un rôle important dans la « fabrique d’images ». Avant les années 50 elle était très respectueuse du modèle créé par le couturier, qui devait être représenté en total look sinon rien. A partir des années 70 et l’émergence du prêt-à-porter au détriment de la haute couture, le stylisme a pris beaucoup de liberté et, de fait, d’ampleur grâce des rédactrices plus téméraires, comme Nicole Crassat du magazine Elle, qui mélangeait des vêtements des Puces avec des pièces de créateurs.

C’est quoi un bon styliste ?
C’est quelqu’un qui va trouver l’adéquation entre une idée de mode et ce que le photographe peut en donner. Quelqu’un comme Polly Mellen, une grande rédactrice du Harper’s Bazaar américain, ensuite partie chez Vogue US où elle a beaucoup collaboré avec Richard Avedon, était capable de trouver le bon décolleté pour la bonne posture ! C’est une bonne association entre un/une photographe et un/une styliste.

Qui est visionnaire aujourd’hui ?
C’est difficile de reconnaître le travail des stylistes qui doivent réussir à amener leur style sans être les créateurs du vêtement ni de l’image ! Il y a des stylistes dans des genres très différents que j’adore comme Grace Coddington, Karl Templer, Marie-Amélie Sauvé, Camilla Nickerson, Nicoletta Santoro, Carlyne Cerf de Dudzeele ou Olivier Rizzo.

Vers quoi se dirige la mode ?
Elle se consomme de manière plus légère aujourd’hui. Il y a un flux constant qui ne n’arrête jamais et implique une nouvelle manière de l’acheter et la porter ! Avant les collections sortaient deux fois par an, maintenant c’est tout le temps.

Où trouvez-vous les magazines que vous collectionnez ?
Je vais toutes les semaines chez WH Smith où j’achète tout ce qui sort de nouveau. Je trouve les magazines anciens dans des boutiques spécialisées et sur eBay principalement. Parfois j’achète des lots à des particuliers. Mais il est vrai qu’aujourd’hui j’achète moins de magazines anciens parce que j’en possède déjà beaucoup et que pour un bon nombre de titres j’ai désormais la collection complète !

Et Antidote ?
Oui, j’ai The Icons Issue, et The Street Issue avec Hans Feurer. J’adore ce photographe dont on reconnaît le style avant même de lire le nom. Il  y a si peu de photographes qui parviennent à faire de leurs images une signature et de la maintenir malgré les fluctuations de la mode et de la photographie.

Jusqu’où iriez-vous pour un numéro ?
Je ne suis pas déraisonnable et j’ai conscience de la valeur des magazines selon leur rareté. Quelquefois des vendeurs qui me connaissent m’appellent directement. En ce moment par exemple je recherche des Marie Claire français de la fin des 70 et début 80. C’est l’époque où il y avait les premières grandes séries de Paolo Roversi et Peter Lindbergh. Mais je suis bien conscient que je n’aurai jamais tout. Je m’intéresse surtout à la période contemporaine c’est à dire depuis la Seconde Guerre mondiale car c’est le moment où la photographie de mode supplante l’illustration et devient vraiment prépondérante.

Envisagez-vous de mettre votre collection un jour en ligne ?
Non car cela prendrait trop de temps à scanner et puis, si je le faisais, il faudrait angler le propos. Etant journaliste à la base, j’ai besoin de donner un sens aux choses. Mais on ne sait jamais ce qui peut se passer.

Dior : New Looks
Éditions Thames & Hudson
www.thamesandhudson.com

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