Photos : Syd par Xiangyu Liu pour Antidote : Excess hiver 2018-2019.
Texte : Maxime Delcourt.
Stylisme : Adrian Bernal. Studio Manager : Edouard Risselet. Coiffure : Chiao Chenet @Atomo. Maquillage : Mayumi Oda @Calliste.
Hive Mind, le deuxième album de The Internet, impose cette formation américaine comme l’une des plus défricheuses et les plus à l’affût de nouveautés au sein du paysage musical mondial. De passage à Paris, Syd, la figure iconique du collectif, en a profité pour revenir sur ce nouvel opus, mais aussi sur son enfance à Los Angeles, ses débuts au sein d’Odd Future et sa relation ambigüe avec la mode.
Présente dans le circuit depuis la fin des années 2000, Syd est un phénomène : on l’a d’abord aperçue aux côtés des teenagers turbulents d’Odd Future, puis avec The Internet, collectif avec lequel elle revient aujourd’hui pour un deuxième album (Hive Mind), ou en solo, le temps d’un Fin encensé par la presse internationale en 2017. Seulement, comme dans tous les phénomènes qui dépassent le simple cadre de la musique, les réactions sont parfois vertigineuses, et n’ont pas permis à Syd d’échapper à un peu de récupération : depuis son retrait d’Odd Future au début des années 2010, on ne compte d’ailleurs plus les médias ayant cherché à faire d’elle une « icône gay ». L’Américaine, elle, préfère laisser parler sa musique, cette singulière hybridation de R&B et de hip-hop qui lui permet de séduire des foules de plus en plus massives à travers le monde.
ANTIDOTE. Avant de parler de ta musique, j’aimerais que l’on revienne sur ton enfance. Tu étais comment à l’adolescence ?
SYD. J’étais très déprimée et complexée. Je jouais souvent au basket, j’ai commencé à composer de la musique quand j’avais 14 ans, mais c’était surtout un moyen pour moi de m’occuper l’esprit. J’étais vraiment déprimée durant ces années-là, j’avais besoin de me trouver un but, d’extraire toute cette frustration quelque part.
À gauche : Doudoune, pull, pantalon et chaussures, Moncler 1952.
À droite : Doudoune sans manches, manteau, pantalon et chaussures, Moncler 1952.
Avant de parler de ta musique, j’aimerais que l’on revienne sur ton enfance. Tu étais comment à l’adolescence ?
J’étais très déprimée et complexée. Je jouais souvent au basket, j’ai commencé à composer de la musique quand j’avais 14 ans, mais c’était surtout un moyen pour moi de m’occuper l’esprit. J’étais vraiment déprimée durant ces années-là, j’avais besoin de me trouver un but, d’extraire toute cette frustration quelque part.
Sais-tu pourquoi tu étais si déprimée ?
Non, je ne le savais pas et je commençais à croire que j’étais folle… Le problème, c’est que je ne sais toujours pas pourquoi j’étais comme ça. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai beaucoup changé, mais sans pour autant m’être débarrassée de toutes ces incertitudes. De toute façon, je pense que l’on ne se débarrasse jamais de ce genre de problèmes, on apprend simplement à vivre avec, à mieux les gérer et à apprécier à leur juste valeur les jours heureux.
J’imagine que tes parents ont tout fait pour que tu ailles mieux. Ils t’ont notamment laissé installer un studio chez eux, un lieu qui te permettait d’enregistrer tes morceaux et ceux d’Odd Future, avec qui tu as débuté.
Mes parents ont toujours été d’un immense soutien. Quand je voulais faire du basket, ils m’ont inscrit dans divers programmes pour me permettre d’assouvir ma passion et de participer à différents tournois. Pareil pour la musique ! Même si là, c’est un peu différent : ma mère voulait devenir une ingénieure du son, mon oncle est un producteur qui a connu pas mal de succès dans le reggae et mon père m’a acheté mes premiers moniteurs. La musique a donc toujours été présente à la maison. Moi-même, j’ai toujours su, grâce à l’exemple de mon oncle, qu’il était possible d’en faire carrière et de vivre de ma musique.
Tu pensais que tu atteindrais le statut actuel ? Ça doit être un sacré challenge pour toi d’avoir à gérer cette célébrité ?
Honnêtement, je ne pouvais pas m’imaginer un tel destin ! D’autant que je voulais surtout passer du temps en studio au début. Chanter n’était pas dans mes priorités, je souhaitais avant tout faire comme mon oncle. Et puis, il faut le dire, je ne me vois toujours pas comme quelqu’un de célèbre. Déjà, parce que je n’aime pas cette idée, et puis parce que je pense que je ne supporterais pas de l’être. Bien évidemment, j’aime être reconnue pour le travail que j’accomplis, mais je ne suis pas du genre à en faire des tonnes ou à vouloir me montrer en public. Les concerts me permettent de combler cette envie un peu égocentrique de se mettre à nu face à une foule de spectateurs, mais une fois que je replonge dans ma vie privée, j’aime être invisible. Au début des années 2000, c’était beaucoup plus difficile à gérer. Avec les gars d’Odd Future, on était jeunes et ça allait très vite. Honnêtement, je vis beaucoup mieux cette situation désormais.
J’ai lu que tu voulais devenir un modèle pour les femmes queer. Ce n’est pas un peu contradictoire avec ton désir d’anonymat ?
Non, parce que je ne souhaite plus spécialement parler de ma sexualité en interview ou dans mes chansons. Quand j’ai débuté, on me posait systématiquement des questions sur ma sexualité, on me définissait comme l’artiste gay d’Odd Future… Aujourd’hui, je veux simplement que l’on parle de ma musique. Et c’est en faisant cela, je pense, que je pourrai au mieux représenter une certaine partie de la population. Ou servir d’exemple, si tu préfères. Je n’aime pas du tout quand des artistes se définissent comme des « rappeurs gays » ou des « chanteuses lesbiennes ». Mon but est donc très clair : je veux que l’on m’aime pour ce que je suis, pas parce que je suis gay.
À l’époque, une partie de la communauté gay te reprochait d’ailleurs de faire partie d’Odd Future…
Oui, et ça arrive encore aujourd’hui… Le truc, c’est qu’il y aura toujours quelqu’un pour te reprocher un mot ou une collaboration. Malgré tout, je constate que les gens sont de plus en plus à l’aise avec ma sexualité, que l’on ne me pose plus forcément de questions dessus et que l’on comprend sans doute mieux que je suis une artiste avant tout. Peut-être que le fait de réaliser mon coming-out avant d’entamer ma carrière a pu aider. Peut-être aussi que j’ai vite compris qu’une femme black et lesbienne devait se battre deux fois plus pour obtenir la même chose que d’autres. Ce qui est sûr, c’est que je ne souhaite pas spéculer là-dessus, ni m’adresser uniquement à une communauté. Quand je parle d’amour, par exemple j’évoque ce thème au sens large. Certains de mes textes sont certes centrés sur l’amour entre deux femmes, mais ce qu’elles ressentent est identique à n’importe quelle relation. Si ça a pu aider certains ou certaines à s’affirmer, tant mieux, mais ce n’est pas ma mission première.
« L’idée avec mon prochain album solo, c’est de réaliser le disque que Fin aurait dû être. Et cela, je pense que c’est impossible d’y arriver si je ne le produis pas moi-même. »
J’imagine que ta vie sociale a dû pas mal changer ces dernières années, entre tous tes projets, les tournées et les collaborations avec Pharrell, Sampha, Kaytranada ou Richard Russell, le boss d’XL Recordings (Adele, The XX, Kamasi Washington,…).
Honnêtement, pas tant que ça. Enfin, si, mais pas dans le sens que l’on pourrait croire. Ces dernières années, je pense que je n’ai jamais passé autant de temps toute seule. Avant, il y avait toujours quelqu’un pour passer chez mes parents, chez qui je vis toujours d’ailleurs. Je n’avais même pas besoin d’appeler mes potes, ils venaient automatiquement chez moi. Aujourd’hui, c’est comme si j’étais plus à l’aise à l’idée de passer quelques moments toute seule, comme si j’avais besoin de me retirer par moment. Ça me fait du bien, c’est presque thérapeutique.
Pourquoi avoir fait le choix de continuer à vivre chez tes parents ?
Vivre à Los Angeles coûte pas mal d’argent et, étant donné que je voyage beaucoup, je trouvais ça plus simple de rester chez eux et de ne pas avoir un loyer à gérer toute seule. Là, ça me permet d’avoir mon studio à disposition, de passer du temps avec ma famille et de participer aux frais quotidiens. C’est cool parce que tout le monde gagne de l’argent dans cette histoire (rires).
À gauche : Doudoune, pull, pantalon et chaussures, Moncler 1952.
À droite : Doudoune, pantalon et chaussures, Moncler 1952.