Huber Egloff : « Les créateurs d’aujourd’hui sont plus que des stylistes »

Article publié le 20 octobre 2015

Ils incarnent à eux tout seuls la nouvelle génération de créateurs qui a secoué la dernière Fashion Week. Andreas Huber et Raúl Egloff Alcaide sont Suisses, ont l’un et l’autre 33 ans et ont présenté cette année à Paris la nouvelle collection de leur marque éponyme née en 2013. Leur force : des profils aussi divergents que complémentaires. L’un aime la mode dans tout ce qu’elle a de glamour ; l’autre vient de la 3D et aime la rigueur de la technique et la science du vêtement. Leur positionnement : des pièces fortes, des matières nobles et des coupes audacieuses aux accents futuristes. Pour les deux stylistes, issus du sérail de la mode, avoir une marque c’est surtout imposer une vision à 360% soutenue par une rigueur teintée d’humilité et une connaissance fine des rouages de l’industrie. Et ne pas oublier que le luxe feutré des grandes maisons est peut-être, justement, un concept dépassé pour les clientes d’aujourd’hui. Rencontre avec le tandem moderne de Huber Egloff. Par Laurence Vély.

Qu’est-ce qui motive deux garçons à monter une marque de vêtements en 2015 ?
Raúl Egloff Alcaide : C’est très cliché mais j’ai toujours dessiné des vêtements de princesses avec des grandes robes, et j’adorais coiffer et maquiller ma mère. J’ai étudié la mode à l’Académie d’Anvers puis j’ai fait des stages à Paris aux studios mode de Lanvin et Balmain, avant d’aller chez Akris, où j’ai rencontré Andreas. Il était à l’accessoire et moi au prêt-à-porter, on a commencé à imaginer des imprimés ensemble. Il y a tout de suite eu un bon feeling entre nous et on a décidé de se lancer ensemble.

Andreas Huber: Moi c’est très différent. J’ai toujours aimé « créer », faire des recherches… J’ai étudié la communication visuelle car j’étais d’abord intéressé par la 3D. La mode m’attire moins pour son côté« bling bling » que par son aspect technique. J’ai été directeur artistique de grandes marques comme Hugo Boss, j’ai beaucoup appris mais à la longue j’ai commencé à m’ennuyer. Je suis parti à Berlin ou j’ai travaillé pour le créateur allemand Kostas Murkudis, ex bras droit d’Helmut Lang et de Nicolas Ghesquière. Travailler avec lui a été très formateur ! Puis j’ai rencontré Raùl chez Akris et c’était parti.

Quels créateurs vous inspirent ?
Raúl Egloff Alcaide : J’ai toujours aimé les créateurs belges mais adolescent j’étais particulièrement fan de Galliano.

Andreas Huber : J’étais plutôt Helmut Lang et Martin Margiela, pour leur coté anti-fashion.  Aujourd’hui je suis très fan du créateur artiste Kostas Murkudis.

Qui fait quoi ?
Raúl Egloff Alcaide : On fait toute la création ensemble et ensuite on se partage les tâches. Lui va s’occuper de la partie graphisme, image et moi plus le coté production mais on discute de tout ensemble.

Andreas Huber : C’est un ping-pong sans fin !

Votre première collection ressemblait à quoi ?
Raúl Egloff Alcaide : On a commencé avec des pièces en tissu « éponge » parce qu’il y a une usine dans les montagnes suisses qui en fait depuis 150 ans. On a eu l’idée de mélanger cette matière avec de la soie et des tissus techniques pour la mettre dans un contexte plus luxe. On a commencé comme ça a et on a ensuite développé une petite collection qu’on a envoyée au « Suisse Design Price » où on a terminé en finale. Suite à ça on a été contacté par Mode Suisse qui a voulu nous aider, la presse a aimé notre collection et c’est comme ça que c’est parti !

Andreas Huber : Tout s’est fait très naturellement ! On fait tout nous-même, on a monté notre business plan sans aide. C’est important de maîtriser le processus de A à Z, on ne peut pas demander à quelqu’un d’avoir une vision pour nous.

Le marché de la mode est très concurrentiel… Comment allez vous être différents ?
Andreas Huber : On veut créer des modèles très portables avec des coupes recherchées mais simples que l’on peut associer à d’autres marques. On ne marche pas en terme de « total look», on a une approche contemporaine de la mode. Le total look, c’est pour les gens qui manquent d’imagination.

Raúl Egloff Alcaide : On peut mélanger nos vêtements avec d’autres vêtements de créateurs, des vêtements pas chers ou vintage. Ne pas raisonner en terme de look nous permet d’avoir plus de liberté au niveau des tissus et des matières, toujours organiques ou technologiques.

Est-il plus dur de créer des vêtements aujourd’hui qu’il y a 10 ans ?
Andreas Huber: Oui, aujourd’hui la mode est beaucoup plus compétitive qu’avant. C’est notre but de devenir plus grand et plus important mais il faut évoluer dans la continuité, petit à petit, sans hystérie. Et être capable de trouver la bonne balance entre l’ancien et le nouveau.

Raúl Egloff Alcaide : Et le métier a a changé. Etre styliste ce n’est plus être que créateur, c’est être businessman, attaché de presse… c’est très  polyvalent. Avant les stylistes étaient des artistes, maintenant on doit être beaucoup plus que ça et savoir faire des compromis.

Quels genres de compromis ?
Raúl Egloff Alcaide : Regarder les prix des tissus, voir si ça se vend ou pas… Mais les contraintes permettent aussi d’être créatif.  On ne peut pas créer que ce qui nous fait plaisir.  Cela nous force à réfléchir à la fonctionnalité des vêtements. Ce n’est pas facile de créer un patron simple qui doit ensuite bien tomber sur le corps dans toutes les tailles.

Andreas Huber: Les  compromis nous obligent à aller toujours plus loin et nous interroger.

Si vous deviez définir votre collection en 3 mots ?
Raúl Egloff Alcaide & Andreas Huber: Éclectique, colorée et raffinée.

Quels genres de femme vous voudriez voir porter vos vêtements ?
Raúl Egloff Alcaide : Des femmes comme vous ! On n’a pas vraiment de femme-type, mais on aime habiller des personnalités plutôt intellectuelles qui aiment s’exprimer avec les vêtements. Mais si je devais choisir une star, je dirais Cate Blanchett.

Andreas Huber : Et moi Charlotte Rampling.

Quelle a été votre plus grande joie professionnelle pour l’instant ?
Andreas Huber : Je suis très fier de notre première présentation à Paris. C’est une vraie chance de pouvoir faire de ce que l’on veut vraiment.

Raúl Egloff Alcaide : Il y a beaucoup de petit succès, notre première pièce dans Vogue nous a donné des frissons. Tu sais, personne ne connaît vraiment la mode suisse, donc chaque pas est une avancée gigantesque.

C’est vrai que Suisse est plus connue pour ses montagnes ou sa scène artistique que pour la mode. Pourtant, il se passe des choses.
Raúl Egloff Alcaide : Il y a beaucoup de créateurs et un petit mouvement à Zurich, à Genève et à Bâle. Il y a des étudiants qui participent au Festival de Hyères, mais si le mouvement est intéressant il n’y a pas non plus dix marques géniales. Parmi les nouveaux créateurs il y en a deux ou trois qui sont vraiment bien et Akris est la plus connue.

Andreas Huber : Mais on retrouve beaucoup de Suisses dans l’industrie de la mode ! Par exemple le mannequin Tamy Glauser, qui est une très bonne amie et qui a été défilé pour Vuitton ce mois-ci. Et bien c’est elle qui pose pour notre lookbook. Il nous a même fallu l’accord de Vuitton pour la booker.

Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Raúl Egloff Alcaide : J’aimerais avoir des boutiques partout et des appartements à Paris, à New York, à Zurich !

Andreas Huber : Oui à Paris j’aimerai bien, ma petite amie est à moitié française donc ca aurait du sens d’avoir un appartement à Paris.

Vous aimez le microcosme de la mode ?
Andreas Huber : Oui bien sûr, mais pas tout le monde ! Mais j’avoue que j’aime plus l’aspect technologique de la mode.

Raúl Egloff Alcaide : J’adore son aspect théâtral, être caché dans les coulisses un peu comme au théâtre.  Mais le coté glamour de la mode, quand on est créateurs, on ne le voit pas vraiment. En réalité, on le réserve à la presse et aux acheteurs.

http://www.huberegloff.com/

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