Alessandro Michele fait appel aux services de Derek Ridgers témoin et figure emblématique du Londres underground des années 1970 et 1980 pour capturer sa collection Gucci Pre-Fall 2018. Naît de cette union Hortus Sanitatis, un ouvrage à mi-chemin entre le livre de mode et le fanzine. En exclusivité, nous avons rencontré Derek Ridgers et voici ce qu’il pense du punk en 2017.
C’est à Rome, éternel berceau de mythologie, que Gucci et Derek Ridgers ont décidé de réécrire leur histoire. Si on le connaît surtout pour son travail sur la scène punk anglaise des années 1970 et 1980, Derek Ridgers flirte depuis longtemps avec le monde de la mode et ses acteurs. Et ce n’est pas un hasard si Alessandro Michele lui confie les images de sa collection Pre-Fall 2017 – réunies dans un livre intitulé Hortus Sanitatis (« Le jardin de la Santé » en latin) –. Tous deux partagent le goût de l’avant-garde et une certaine vision d’une jeunesse stimulée par un féroce désir d’émancipation.
Sous son objectif, les sages modèles lâchent prise et s’abandonnent à un esprit de fête et de communion, s’enlacent et s’embrassent dans les superbes décors de l’Antica Spezieria di Santa Maria della Scala, de la Biblioteca Angelica et de l’Antica Libreria Cascianelli. À maintenant 64 ans, celui qui documentait autrefois la vie des Siouxsie & The Banshees, Damned ou encore Ramones, n’a rien perdu de sa superbe. Pour Antidote, le photographe britannique revient sur cette collaboration.
Photo : courtesy of Gucci & Derek Ridgers.
Ce livre s’intitule Hortus Sanitatis, pourquoi ? Y-a-t’il un rapport avec la collection de Gucci ou avec votre travail ?
Hortus Sanitatis signifie « Le jardin de santé » en latin et je pense que ce qui a inspiré à Gucci l’idée du thème de ce livre, c’est l’ancienne pharmacie Antica Speziera di Santa Maria della Scala, dans lequel certaines des photographies ont été réalisées. Il serait un peu fou d’attribuer ce thème à mon travail.
Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler avec Gucci sur ce projet ?
D’après ce que je sais, un ami commun a envoyé une copie de mon livre The Others à Alessandro Michele. Puis Alessandro m’a proposé de shooter le lookbook de la collection Pre-Fall de Gucci. Les photos contenues dans Hortus Sanitatis ont été shootées de façon informelle après le shoot.
Vous avez passé de nombreuses années à photographier toutes sortes de sous-cultures, des mods aux punks, envisagez-vous le Gucci d’Alessandro Michele comme un nouvel underground ?
Difficilement. C’est juste trop cher pour cela, n’est-ce pas ? Mais cette collection me rappelle en effet l’apogée de la contre-culture hippie des années 1960 : Ossie Clark, Thea Porter, Granny Takes a Trip, Mary Quant, Mr Fish. Et la façon dont certains de ces créateurs ont détourné William Morris et les autres préraphaélites. Le tout infusé d’une certaine version 2017 de l’esthétique punk.
Photo : courtesy of Gucci & Derek Ridgers.
Pensez-vous qu’il y a toujours de la place pour les sous-cultures aujourd’hui ? Le punk est-il finalement mort ou assistons-nous à la montée en puissance d’une nouvelle vague punk ?
Je pense qu’il y a beaucoup d’espace pour les sous-cultures aujourd’hui. Et j’ajouterai même qu’il y en a un besoin urgent en ce moment. Les jeunes auront toujours besoin de s’exprimer en grandissant et lors de la construction de leur identité. Et en réponse aux pressions sociales, financières et politiques auxquelles nous devons faire face en Europe aujourd’hui, il y a un besoin certain d’amusement, d’expression personnelle et de frivolité. Exactement comme lors de la Grande Dépression des années 1920
Je ne pense pas du tout que le punk soit mort mais je ne suis pas sûr à l’inverse que nous soyons les témoins de l’essor d’une nouvelle vague punk. Pour moi, le punk n’a jamais disparu. Il a commencé à évoluer à la fin des années 1970 et a continué ainsi jusqu’à ce jour. Il y a beaucoup de jeunes gens tout autour du monde qui vivent respirent toujours punk rock. Ces kids de l’est d’L.A., Mexico City ou Séoul n’ont peut-être aucune idée de qui étaient les Sex Pistols et se moqueraient probablement d’en apprendre davantage. Pour eux, le punk a sûrement débuté l’an dernier ou l’année qui l’a précédé. Et pourquoi pas ? Il n’y a pas de règles, n’est-ce pas ?
En quoi réaliser les photos de cette collection est-il différent d’un reportage de Siouxsie and the Banshees ?
Je crois qu’on peut difficilement faire plus différent, à moins bien sûr qu’il s’agisse de photographie de guerre ou de photographie médicale.
Photographier Siouxsie and the Banshees au sommet de l’explosion du punk rock à Londres en 1977, c’était vraiment drôle mais rarement facile. On m’a craché, uriné dessus, on a lancé des pintes de bières sur moi et ma caméra, on m’a bousculé, sauté dessus et on a même failli me casser les jambes lors d’une émeute. Travailler avec Gucci n’a jamais été aussi éprouvant.
Y-a-t’il un messsage que vous essayez de véhiculer avec Hortus Sanitatis ?
J’ai bien peur que non. Le message vient de Gucci et non de moi, j’ai toujours été présent pour documenter ce que je voyais. Ce qui a plus ou moins toujours été mon modus operandi. Du latin aussi, je crois.
Le livre Hortus Sanitatis de Gucci et Derek Ridgers sera disponible à partir du 5 juillet au prix de 85€. Une séance de dédicace aura lieu de 5h à 7h au Comme des Garçons Trading Museum, 54 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8.