Fecal Matter : « On espère pouvoir continuer à être nous-mêmes sans nous faire tuer »

Article publié le 8 octobre 2022

Texte : Maxime Retailleau. Photos : Anthony Arquier. Directeur de la création et styliste : Yann Weber. Coiffure : Gabriel de Fries et Beth Shanefelter. Maquillage : Fecal Matter. Manucure : Salome Debahia. Coordination mode : Matéo Ferreira. Assistant·e·s photographe : Kevin Drelon, Kim Soumpholphakdy et Hugo Varaldi. Production : Aurea Productions. Assistant·e·s production : Amélie Pietri et Raphaël.

Les designers, make-up artists et DJs Hannah Rose Dalton et Steven Raj Bhaskaran, plus connu·e·s sous le nom de leur duo pluridisciplinaire Fecal Matter, reviennent dans cet entretien sur les origines de l’esthétique « alien glamour » qu’il·elle·s arborent au quotidien – malgré les insultes, les menaces de mort et la violence physique auxquels il·elle·s se trouvent confronté·e·s –, racontent comment l’amour qu’il·elle·s se portent mutuellement leur a donné le courage de pleinement s’assumer, et expliquent pourquoi leurs looks provocateurs constituent un manifeste en faveur de la tolérance.

Alors qu’Hannah Rose Dalton et Steven Raj Bhaskaran arrivent devant l’Hôtel National des Arts et Métiers, où nous avons rendez-vous, deux femmes les interpellent, leur demandent le nom de leur compte Instagram et se prennent en photo à leurs côtés, puis un passant les repère à son tour, se dirige vers le couple d’un pas rapide et leur dit : « Jésus vous aime, il vous aime plus que tout ! Jésus a sauvé ma vie ! ». Steven est tout de noir vêtu, il porte un top moulant Balenciaga et des boots Rick Owens ; Hannah est en combi-short noire également, contrastant avec des boots Cagole et le sac du même nom, blancs, signés Balenciaga. Tous·tes deux ont le crâne rasé, comme toujours, et de larges cat eyes dessinés autour des yeux. Steven demande rhétoriquement au passant s’il présuppose qu’il·elle a une dent contre Jésus en raison de son apparence, mais celui-ci se borne à leur répéter que Jésus les aime, puis rentre dans l’hôtel et disparaît au fond du restaurant. 
Cela fait six ans qu’Hannah et Steven sont réuni·e·s au sein du duo Fecal Matter et que l’esthétique alien qui les a rendu·e·s célèbres provoque quotidiennement ce type de réactions polarisées, dans la rue comme sur le web. Leur compte Instagram @matieresfecales rassemble aujourd’hui plus de 700 000 abonné·e·s : il·elle·s y postent des photos où leur look contraste radicalement avec celui des passant·e·s qu’il·elle·s croisent, d’autres où Hannah enfonce une lame dans la bouche en (faux) sang de Steven, ou encore des visuels photoshopés, transformant Steven en araignée géante à tête humaine, ou montrant Hannah passant ses bras dans sa bouche et les ressortant à travers ses omoplates. Des posts radicaux, qui jouent régulièrement avec les codes du gore et prennent le contre-pied de l’happycratie en place sur les réseaux sociaux.
Le couple y arbore souvent les tenues de sa propre marque de mode, Fecal Matter, qui a sorti cinq collections, dont la dernière est composée d’une camisole de force, de trench-coats revisités sous forme de robe ou en version dos nu, d’un blazer aux épaules XXL ou encore de hoodies et T-shirts recouverts de leur mantra « Provoke Society ». Leur pièce la plus iconique, la Skin Boot (une cuissarde en silicone reprenant la forme et la texture des pieds, avec un talon en forme de corne et une plateforme frontale en plastique), a notamment été intégrée dans l’exposition itinérante « Thierry Mugler, Couturissime » : une reconnaissance institutionnelle qui témoigne du long chemin parcouru par le duo. 
Steven, qui est queer et non-binaire, a passé la première partie de son enfance au Guyana, un pays confronté à une pauvreté extrême, où il·elle a subit de nombreuses discriminations, avant de retourner vivre au Canada, tandis qu’Hannah est née en Nouvelle-Zélande puis a grandi à Montréal, où elle a plus tard rencontré Steven, lors de leurs études au sein du Collège LaSalle – une école de mode. C’est là que le couple, straight edge (Hannah n’a jamais bu, ni fumé, ni pris de drogues, et Steven a également adopté ce mode de vie il y a sept ans) et installé à Paris depuis mai dernier, a forgé l’esthétique clivante dont il continue d’explorer de nouvelles ramifications, faisant de leur créativité un vecteur de liberté.
Fecal Matter : Trench et escarpins, Balenciaga Haute Couture.
ANTIDOTE : Vous vous êtes rencontré·e·s lors de vos études. Vous êtes-vous tout de suite bien entendu·e·s ?
Hannah Rose Dalton : Non, je n’aimais pas du tout Steven [rires, NDLR]. Nous n’avions pas la même vibe : j’étais très studieuse, je prenais beaucoup de notes en classe, alors que Steven correspondait plus au profil du·de la créatif·ve, ce qui pouvait me taper sur les nerfs. [Elle se tourne vers Steven, NDLR] Puis j’ai vu un de tes projets et je me suis dit : « Putain, ce·tte gamin·e est vraiment talentueux·se. » Je l’ai vu·e d’un autre œil et on a fini par se parler un jour, devant des machines à coudre. On a évoqué tout ce qu’on déteste le plus dans l’industrie de la mode. Pour ma part, il s’agissait des conditions de travail, alors que pour Steven ça concernait le racisme et les standards de beauté excluants. C’est comme ça que Fecal Matter est né. Je déteste les gens qui ne joignent pas le geste à la parole. On s’est dit : « Donnons vie à nos propres perspectives et tentons de changer les choses. »

Steven Raj Bhaskaran: « On s’est chacun·e encouragé·e·s à devenir qui l’on est profondément, c’est la plus grande bénédiction que l’on se soit donnée l’un·e à l’autre. »

Avant vos études au Collège LaSalle, vous ne mettiez pas de maquillage et votre apparence était totalement différente de celle que vous affichez depuis plusieurs années. Comment cette métamorphose s’est-elle opérée ?
Hannah Rose Dalton : Quand j’étais adolescente, je ne me maquillais pas, je détestais ça. J’étais dans une école privée pour filles où ce n’était de toute façon pas autorisé, on ne pouvait même pas mettre de vernis à ongles et on devait porter un uniforme. Après avoir quitté le lycée, j’ai continué à respecter ces règles. Mais quand j’ai rencontré Steven, j’ai réalisé qu’il y avait d’autres possibilités. Un jour, Steven a regardé mes croquis et mes designs et il a dit : « Qui va l’acheter ? Qui va le porter ? ». J’ai répondu : « Je ne sais pas, Daphne Guinness. » Steven m’a alors dit : « Peut-être que tu devrais les porter. »
Steven Raj Bhaskaran : C’est à ce moment-là que notre désir de donner vie à nos fantasmes est né. De mon côté, je viens d’un milieu très religieux, avec des origines guyaniennes et sri-lankaises, et durant mon enfance, je n’ai jamais eu l’occasion de voir quelqu’un laisser libre cours à son expression personnelle. La seule exception dont je puisse me souvenir, c’est Prince, parce que sa musique était tellement populaire que même ma famille l’écoutait. Mais je n’avais pas conscience que le maquillage pouvait être utilisé à d’autres fins que pour cacher des défauts et je pensais que seules les femmes pouvaient en mettre, je ne savais pas que ça pouvait être un art. Je n’ai commencé à découvrir des choses par moi-même qu’à 13 ou 14 ans. J’étais violemment harcelé·e à l’école, c’était très dur, je rentrais à la maison et je m’enfermais pour regarder des films ou aller sur internet. C’est comme ça que j’ai découvert la mode et l’art. Mais ce n’est que lorsque j’ai rencontré Hannah que je suis devenu·e capable d’exprimer qui je suis vraiment, parce qu’auparavant, cette idée m’effrayait. Je jouais un peu avec la notion de genre, mais pas autant que par la suite. À travers l’amour qu’elle m’a donné, Hannah m’a poussé·e à mettre des talons, à plonger dans la noirceur de ma vision de la mode et de la beauté, et en aimant Hannah je l’ai aidée à vivre sa vie comme elle l’entend. On s’est chacun·e encouragé·e·s à devenir qui l’on est profondément, c’est la plus grande bénédiction que l’on se soit donné l’un·e à l’autre. Je n’aurais probablement pas été capable de m’exprimer à ce point si je n’avais pas connu Hannah. 
Hannah Rose Dalton : Oh mon Dieu, moi non plus. Encore aujourd’hui, ça reste difficile. 
Steven Raj Bhaskaran : La vie est beaucoup plus simple quand on se fond dans la masse, je comprends pourquoi beaucoup de gens décident de vivre comme ça. Mais même si cela nous demande de faire des sacrifices, en termes de sécurité notamment, parce qu’on sort du lot et que l’on constitue des cibles, la joie que m’apporte le fait d’être moi-même fait que ça vaut vraiment le coup. J’étais très suicidaire auparavant et j’ai réalisé que soit je sautais le pas, soit j’allais mourir. 
L’un de vos mantras est « Provoke Society », or je vous vois avant tout comme des defenseur·se·s de la liberté : vous ne cherchez pas à provoquer pour provoquer, mais à encourager les gens à s’exprimer librement en le faisant vous-même de manière extrême.
Hannah Rose Dalton : C’est exactement ça. La provocation a une connotation négative. Ce qui compte pour nous, c’est le droit d’être qui l’on veut. Et malheureusement, c’est provocateur.
Steven Raj Bhaskaran : Notre but ultime, à travers tout ce qu’on fait, c’est d’encourager la pensée critique. Si une personne nous croise et prend peur, c’est parce qu’elle manque d’esprit critique, sans quoi elle se demanderait : « Pourquoi sont-ils·elles comme ça ? ». Puis elle irait plus en profondeur…
Hannah Rose Dalton : Elle se demanderait : « Pourquoi suis-je moi-même comme ça ? ». C’est une question qui effraie beaucoup de gens. 
Steven Raj Bhaskaran : Mais si cette personne continue de se poser des questions : « Pourquoi est-ce que je m’habille comme ça ? Pourquoi est-ce qu’il·elle·s me font peur ? », elle finira par devenir ouverte d’esprit. Elle n’ira peut-être pas jusqu’à supporter les personnes qui osent vraiment s’exprimer, mais elle les acceptera et les laissera vivre tranquillement. On ne cherche pas à mettre les gens mal à l’aise ou à les blesser, mais
à faire la promotion de la liberté. 
Fecal Matter : Robe, veste, pantalon, masques, escarpins et sac, Balenciaga Haute Couture.

Steven Raj Bhaskaran: « On espère pouvoir continuer à être nous-mêmes sans nous faire tuer. »

Votre apparence entraîne des réactions extrêmement polarisées, allant de l’admiration aux insultes, voire à la violence physique. Quelle est la réaction la plus dure à laquelle vous avez été confronté·e·s ?
Steven Raj Bhaskaran : Je me suis fait·e frapper dans un bus par plusieurs mecs, mais ils n’ont pas touché Hannah. C’était une expérience difficile. J’ai une perspective totalement différente de celle d’Hannah parce que le fait d’avoir un corps masculin tout en portant du maquillage entraîne des réactions différentes que le fait d’être une femme cisgenre qui joue avec l’androgynie. Les débuts de notre vie parisienne ont d’ailleurs été compliqués, les réactions ont été bien plus nombreuses que ce qu’on anticipait, c’était parfois dangereux, on se fait beaucoup crier dessus. Je suis allé·e dans un lycée français au Canada et je comprends les insultes qui sont proférées. 
Hannah Rose Dalton : J’aimerais bien me promener la nuit, mais ce n’est pas assez safe. 
Steven Raj Bhaskaran : On essaye toutefois de se concentrer sur les éléments positifs. On a notamment la chance d’être deux, c’est un privilège. Beaucoup de personnes dont l’apparence sort de la norme n’ont pas de partenaires, ou alors elles ont un partenaire qui a un style plus classique et elles se retrouvent à être les seules prises pour cible. On espère pouvoir continuer à être nous-mêmes sans se faire tuer. Leigh Bowery, Divine et tous les êtres lumineux qui ont donné forme au Pride Month sont passés par là, et c’était sans doute encore plus dur pour eux·elles. On espère aussi pouvoir utiliser notre plateforme pour aider les gens. On sait qu’on a la responsabilité de se montrer et de faire de notre mieux. 
Recevez-vous également des menaces de mort sur Instagram ?
Steven Raj Bhaskaran : Tout le temps. Une fois, j’ai utilisé le message que quelqu’un nous avait envoyé, c’était quelque chose du genre : « Je vais vous décapiter petites salopes, vous méritez de mourir » ; j’ai posté une photo d’Hannah décapitée et juste à côté, j’ai inséré ce message. Les gens disaient : « Wow, c’est tellement fort, votre post est incroyable », puis Instagram l’a supprimé, parce que ça parlait de violence, ce qui montre qu’Instagram n’est pas de notre côté non plus. Par ailleurs, pour des raisons de sécurité, on ne poste plus de stories en temps réel. Mais Instagram et les réseaux sociaux nous permettent de nous connecter aux gens, donc on apprécie tout de même ces plateformes. 
Mixer en soirée vous a permis de rentrer physiquement en contact avec votre communauté digitale. À l’origine, qu’est-ce qui vous a poussé·e·s à vous lancer en tant que DJs ?
Hannah Rose Dalton : On s’y est mis pour l’argent. On galérait à joindre les deux bouts et on s’est dit : « Hum, on devrait peut-être devenir DJs. » Steven adore la musique par ailleurs. 
Steven Raj Bhaskaran : Ouais, j’ai toujours aimé la musique et elle a joué un rôle important dans ma vie. En écouter m’a notamment aidé·e à traverser de nombreuses périodes difficiles. 
Hannah Rose Dalton : Et quand on sortait, on détestait la musique qui passait. Ce n’était jamais amusant. Comme on est sobres, c’est la musique qui nous fait tenir en soirée, donc si elle n’est pas bien, on part. On s’est dit : « Pourquoi ne pas mixer nous-mêmes et partager ce sur quoi on voudrait danser ? » [Fecal Matter mixe principalement de la musique électronique hardcore, NDLR].
Steven Raj Bhaskaran : Ça nous a ensuite mené·e·s à faire des remix et de la production, et à composer des bandes-son pour différents projets, notamment pour Rick Owens. Mais avant la pandémie, ça a commencé à devenir un job à plein temps, ce qui ne nous convenait pas vraiment. On gagne notre vie en vendant les pièces de mode qu’on crée, on est à l’aise avec cette forme d’art qui est également un business. La musique, c’est effectivement un moyen pour nous de rentrer en contact avec des gens qui nous aiment, alors que ce qu’on fait est principalement virtuel. C’est pour ça que mixer est si spécial pour nous, on le fait pour le fun et on ne voit pas ça comme un travail. 
Hannah Rose Dalton : Les événements où l’on mixe permettent aussi de proposer des safe spaces aux personnes qui nous aiment, où elles peuvent arborer le look qu’elles veulent.
Fecal Matter : Veste, jean, chaussures et sac, Balenciaga Haute Couture.
Ces dernières années, plusieurs médias ont évoqué l’émergence de la tendance « alien glamour », dont vous êtes les figures de proue, aux côtés d’autres artistes comme Salvia. Que vous inspire le fait que cette esthétique soit devenue une tendance ?
Steven Raj Bhaskaran : C’est cute, mais pour nous, ce n’est pas quelque chose d’éphémère, c’est vraiment notre identité, ça fait longtemps qu’on a cette apparence et si elle n’est plus à la mode un jour, on la gardera malgré tout parce qu’on l’aime. C’est une tendance positive cela dit, parce qu’elle implique qu’on peut ne pas avoir l’air humain et être glamour. En d’autres termes, ça signifie que les personnes qui n’ont pas l’impression d’avoir l’air « normales » peuvent néanmoins se sentir glamour. Mais on n’a pas vraiment conscience qu’il s’agit d’une tendance, parce que quand on marche dans la rue, on ne voit personne qui nous ressemble. La plupart des gens arborent cette esthétique sur Instagram ou dans le cadre d’un shooting photo, mais pas dans leur vie quotidienne. On nous demande souvent pourquoi on ressemble à des aliens, d’où ça vient. Je me suis toujours senti·e comme un·e alien, pas comme si j’étais un·e extraterrestre gris ou vert, mais parce que je sentais que je ne me connectais pas avec les gens autour de moi. J’étais toujours traité·e comme un·e étranger·ère, au sein de ma famille, dans mon école, partout. Mais à travers notre périple, on a appris qu’on peut trouver un sentiment d’appartenance même si on ne correspond pas aux normes et c’est quelque chose de très beau. 
Quelles sont vos principales références en tant que designers ?
Hannah Rose Dalton : On en a plein. J’adore Alexander McQueen, je le vois comme mon professeur, même si je ne l’ai jamais rencontré. Mais j’étais tellement captivée par son travail que j’ai appris toutes les bases très jeune grâce à lui. 
Steven Raj Bhaskaran : L’esthétique d’une Tesla peut toutefois nous inspirer beaucoup plus que la collection d’une marque de luxe. On est multidisciplinaires, donc on a beaucoup de sources d’inspiration. Mais la principale, c’est notre corps.
Fecal Matter : Manteau, top, chaussures, robe et cuissarde, Balenciaga Haute Couture.
Vous semblez notamment fasciné·e·s par ses potentielles évolutions, qui seront peut-être le fruit du mouvement transhumaniste.
Steven Raj Bhaskaran : Oui, la question du transhumanisme est également au cœur de ce que l’on crée. Le projet de fin d’études sur lequel nous avons travaillé avec Hannah nous donnait une totale liberté créative du moment qu’on respectait le concept de départ, qui s’appelait « Les 1 % » et consistait à imaginer qu’un groupe de personnes riches et puissantes intégrerait des technologies de pointe à leur corps. Des transhumanistes, donc. Ce projet a joué un rôle déterminant dans notre esthétique. C’est de là que viennent nos Skin Boots, qui découlaient d’un désir de modeler le corps humain pour lui offrir une nouvelle forme. Comprendre en quoi consiste le fait d’être humain et élargir cette compréhension est vraiment crucial pour nous.

Hannah Rose Dalton: « J’ai commencé à coudre, parce que je me disais : « Je ne vais rien acheter et faire moi-même mes vêtements, car je saurai ainsi comment ils sont conçus, qu’ils ne font souffrir personne et qu’ils n’empêchent pas des enfants d’aller à l’école. » »

Les Skin Boots sont réalisées sur mesure et incarnent votre vision de la haute couture, d’où leur coût élevé – au minimum 10 000 dollars. Êtes-vous parvenu·e·s à trouver des client·e·s ?
Steven Raj Bhaskaran : Oui, on a beaucoup de client·e·s privé·e·s, et des musées nous les ont aussi achetées. 
Hannah Rose Dalton : Elles sont exposées en ce moment en Australie. 
Steven Raj Bhaskaran : On reçoit aussi beaucoup d’offres auxquelles on ne donne pas suite, parce que c’est une création très personnelle et nous sommes donc très sélectif·ve·s. C’est notre vision de la couture, mais on les a aussi pensées comme des œuvres d’art portables.
Fecal Matter : Robe et gants, Balenciaga Haute Couture.
Vous avez par ailleurs régulièrement recours à l’upcycling : vous avez par exemple créé des robes à partir de rideaux ou même de stores. Pourquoi ce type de démarche vous est-il cher ?
Hannah Rose Dalton : Quand j’ai appris dans quelles conditions les vêtements étaient fabriqués, à 13 ou 14 ans, j’ai été vraiment choquée et écœurée. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à coudre, parce que je me disais : « Je ne vais rien acheter et je vais faire moi-même mes vêtements, je saurai ainsi comment ils sont conçus, qu’ils ne font souffrir personne et qu’ils n’empêchent pas des enfants d’aller à l’école. » L’upcycling est très important pour moi parce que quand tu achètes du coton, tu ne sais pas comment il a été fabriqué. L’upcycling, c’est meilleur pour tout le monde et c’est aussi plus écologique. On n’a qu’une vie et qu’une planète, donc prenons-en soin. On a tout de même une marque qui vend des produits et on est des êtres humains, donc on n’est pas parfait·e·s, mais on cherche à faire de notre mieux et si on trouve un matériel préexistant qu’on trouve beau, on va l’utiliser, même si notre processus créatif ne se limite pas à cette approche. 
Quand on vivait à New York, lorsqu’il pleuvait, on allait récupérer des parapluies cassés dans les poubelles, grâce auxquels on a conçu des tops et des robes. En tant que designer, c’est vraiment intéressant de chercher à créer en dépit des contraintes. 

Steven Raj Bhaskaran: « Ce qui nous rend heureux·ses, c’est d’avoir la liberté de se concentrer sur nos idées, sans avoir à nous soucier de comment elles peuvent s’intégrer dans le système. On essaye de ne jamais s’auto-censurer. »

Vous créez également des contrefaçons, comme le sac Chanel avec un gode en guise de poignée que vous avez arboré sur certaines de vos photos postées sur Instagram. Qu’est-ce qui vous pousse à effectuer ce type de détournement ?
Hannah Rose Dalton : Les gens prennent la mode beaucoup trop au sérieux. Ce ne sont que des objets matériels, qui se retrouvent emplis de nombreux signifiants. Mettre un gode en guise de poignée permet de briser les lois tacites de la mode et de s’amuser.
Steven Raj Bhaskaran : C’est l’essence même de notre démarche. Ce qui nous rend heureux·ses, c’est d’avoir la liberté de se concentrer sur nos idées, sans avoir à se soucier de la façon dont elles peuvent s’intégrer dans le système. On essaye de ne jamais s’auto-censurer. En ce moment, on ne travaille pas sur une collection, mais sur notre toute première exposition, qu’on présentera à Paris – et qui est encore top secrète –, car on utilise de nombreuses plateformes, notamment Instagram, qui censurent notre travail, et ce sera l’occasion de nous en libérer. Même les défilés de mode sont limités, à moins d’y interdire les téléphones, parce qu’ils finissent repostés sur Insta. Faire une exposition nous permettra au contraire d’être aussi incensurables que possible. 
Hannah, tu as par ailleurs régulièrement détourné certaines figures de la pop culture comme Barbie, à travers un look entièrement rose, ou encore Marilyn Monroe, qui a inspiré une tenue que tu as portée lors d’une cérémonie, composée d’une robe rouge et d’un top nude avec des cornes au bout des seins. Pourquoi jouer avec ces symboles ?
Hannah Rose Dalton : Je crois que j’ai joué aux Barbie jusqu’à mes 16 ans, cachée derrière mon lit pour que personne ne soit au courant. J’ai encore toutes mes Barbie et j’aime jouer avec les choses qui me faisaient rêver quand j’étais petite. J’aime aussi proposer des mélanges qui n’ont jamais été réalisés par le passé, en juxtaposant Marilyn Monroe avec une esthétique alien, par exemple. 
Steven Raj Bhaskaran : Avant de se raser la tête, Hannah avait une chevelure blonde impeccable. 
Hannah Rose Dalton : Oui, et je dors encore avec un ours en peluche. 
Steven Raj Bhaskaran : Hannah est très girly, moi je suis très dark. 
Hannah Rose Dalton : [Elle s’adresse à Steven, NDLR]. Quand tu proposes une idée, je l’adoucis, et quand c’est moi qui fais une proposition, tu la rends plus sombre. C’est une combinaison parfaite.
Steven Raj Bhaskaran : Je vais à la rencontre d’Hannah et elle vient à la mienne. On n’est pas juste un duo, on a aussi chacun·e sa propre identité et on ne passe pas tout notre temps ensemble, mais je ne voudrais créer de nulle autre façon qu’avec Hannah, et vice versa j’espère. 
Hannah Rose Dalton : Ouais. Ce n’est pas toujours facile, cela dit. 
Steven Raj Bhaskaran : On se dispute souvent, on débat régulièrement de la direction qu’on souhaite prendre avec nos projets et de la façon d’y parvenir. On est profondément différent·e·s, donc c’est toujours assez chaotique.

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