Tour à tour plébiscité puis rejeté, le logo est de retour… à condition de ressembler à sa contrefaçon. De faux logo à vrai faux logo : bienvenue dans la mode de la réappropriation de la réappropriation.
«Peu importe si vos perles sont vraies ou fausses, pourvu qu’elles aient l’air fausses » aurait dit Coco Chanel. C’est sûrement avec ce mantra en tête que Vêtements lançait, mi novembre, une capsule intitulée « Official Fake ». Dans un hangar à Séoul, une capsule en collaboration avec le site MatchesFashion.com était dévoilée aux yeux de la crème de la modasserie, marquée d’une caractéristique: les pièces imitaient leur propres contrefaçons, inondant les marchés locaux et les Internet (t-shirt « Betements » ou coupe-vent Vetememes).
Là, la clique de Demna rééditait ses bestsellers, revus avec des défauts intentionnels, comme une copie admirablement ratée, qui affirmerait son originalité par sa récupération de codes identifiables à tous. Une drôle de mise en abyme pour une marque qui s’est elle-même fait connaître par ses détournements de signifiants cultes – un logo Champion ou DHL, un imprimé Titanic, un faux t-shirt de concert de Justin Bieber (ndlr, pour sa tournée, ce dernier produit même un t-shirt à son effigie imitant la version Vêtements imitant Bieber. Vous suivez ?) .
UNE MISE EN ABYME POST-CRISE
Depuis quelques années déjà, on a vu naître un flot de t-shirts parodiant des marques de luxe: Céline devient « Féline », Hermès se transforme en « Homies », Comme des Garçons en « Comme Des Fuck Down »; des plateformes comme Rad ou Faux en font tout leur fond de commerce. Entre la démocratisation des logiciels de retouche, de la production fast fashion et de la vente en ligne, cette tendance est pensée par et pour les jeunes. Ces pièces sont des sortes de Memes vivants – ce que le Vogue US décrit comme « Meme Dressing » –, destinés à se retrouver instantanément sur un fil Instagram affublé d’un hashtag-private joke. « Ainsi, une génération se retrouve, se positionne et s’affirme en montrant qu’elle a compris la blague », analyse la critique Ella Plevin.
Pourtant, le luxe est un fin sociologue, et ne tarde pas à capter l’engouement autour de cette contrefaçon assumée, indiquant une rébellion contre le système. Effectivement, si, depuis le Krach Boursier de 2008 – directement lié à une culture de consommation devenue folle – l’austérité No Logo stylistique était devenue de rigueur – quoi de plus provocateur de jouer avec les codes qui ont fait éclater le système ?
M.I.A. pour Versus Versace
Ce geste presque anti-establishment amuse les grandes maisons, toujours en quête de nouveauté. Dès 2013, Versace lance avec la chanteuse M.I.A. une ligne lourdement ciglée et intégralement inspirée de copies imaginatives de la marque trouvées dans l’Est de Londres. La réappropriation de la réappropriation : voilà où en est le luxe aujourd’hui. Autrement dit, on peut porter du logo à foison, à condition qu’il ait l’air faux. Gosha Rubchinsky s’allie à des marques de sport comme Reebok ou Fila, autour de pièces qui citent leurs imitations en Russie après la chute du communisme et l’arrivée en masse de produits brandés (et plus souvent imités localement).
Les grandes maisons s’y mettent aussi : Lacoste affiche crocodiles en tous genres, citant ouvertement sa popularité dans le streetwear français des années 90. Louis Vuitton, qui célèbre cette année les 140 ans de son monogramme, l’affiche en all-over sur des perfectos déstructurés, citation d’une culture bling habilement détournée ; idem pour Gucci qui contraste notes 70’s romantiques et logos qui enveloppent des manteaux entiers ; ou Calvin Klein et DKNY en clin d’œil à leur propre passé urbain. Ce que ces marques semblent invoquer, c’est l’acceptation d’une audience alternative, autrefois ignorée ou rejetée. « Une nouvelle communauté se resserre et s’unifie à travers cette interaction à la fois amusée et cynique avec le luxe », commente Ella Plevin. Voici une génération à la lecture « double-degré », à la fois ravie de consommer de façon boulimique, et, paradoxalement, réaliste sur l’emprise de la société capitaliste.
LA FAUSSE CONTREFAÇON, SNOBISME ULTIME ?
Photo : Instagram @avanope
Au premier œil, oui, on pourrait bien croire à une approche à la Andy Warhol et sa soupe Campbell : une ère de logo post-moderne, sorte d’icône à la fois religieuse et dystopique qui invoque, rejoue et déjoue les grandes mythologies contemporaines ; qui les élève au statut de geste créatif et conceptuel pour réécrire leur histoire. Pourtant, si le luxe s’en empare, c’est pour une autre raison. Nombreux sociologues et analystes dont Pamela Danziger se demandent si la contrefaçon n’est pas bénéfique aux marques concernées. Quelle différence entre un jogging Kappa et Gosha ? A première vue, rien ou presque. Mais pour la clientèle qui aura le luxe d’acheter l’original et sa « contrefaçon haut de gamme », elle découvrira vite que le premier est fait de polyester et le deuxième de soie habilement teinte pour paraître délavée ; que le premier est d’une coupe « one-size-fits-all » et made in Pas Réglo-Land, et l’autre finement taillée, doublée de poches intérieurs, confectionnée dans un atelier européen.
Autrement dit, en faisant mine de se détacher de codes classiques du privilège, on ne fait que de les renforcer et célébrer leur ADN premier : une qualité, un savoir-faire artisanal ancien, un service de vente, une foulée de détails et de rituels invisibles et seulement disponibles à la clientèle. Une façon de dire aux vrais faux : « Regardez, on peut vous imiter mieux que vous même, mais, vous, vous nous ne pourrez jamais réellement nous égaler ».
Et sous couvert de démocratisation, cette mode permet de tourner au ridicule ceux qui ont osé rêver de codes qui font rire les plus privilégiés par leur simplicité, leur envie d’un statut de richesse, d’affirmation par le sigle, d’évolution sociale. La solution ? Messieurs-dames, à vos machines à coudre. Le futur sera home-made.