Antidote Fanzine x Burberry : Comment Riccardo Tisci refaçonne l’ADN de Burberry ?

Article publié le 8 juillet 2022

Texte par Saveria Mendella, extrait de la seconde édition du Fanzine, contenu au sein de la Box Antidote printemps-été 2022. Photo : Thee Dian et Slim Soledad photographiées par Tom Blesch. Tenues : Burberry.

Ce n’était pas encore une Maison mais plutôt une Mansion. Une very British Mansion devenue le temple vestimentaire-mais-pas-que de la culture anglaise. Une sorte de monument dont la splendeur n’effraie plus tant on y est habitué. Puis soudain, en mars 2019, une arrivée a bousculé les traditions. Celle de Riccardo Tisci, nommé chief creative officer de Burberry, après 13 années passées à la direction artistique de Givenchy et un intermezzo de quelques mois au sein de sa famille, près du lac de Côme.
Le designer italien étudie alors les archives textiles de la marque, aux allures sans frontières et genderless depuis que la rue a décidé de s’approprier le désormais célèbre manteau beige des soldats de la nation, qui en avaient fait un butin de guerre off-duty.
Son premier défilé pour la marque, au printemps-été 2019, plonge tout d’abord les invité·e·s de longues minutes dans le noir, avant que la lumière soit et que le look d’ouverture apparaisse. Un trench. C’est le premier d’une longue série, qui constitue, tout comme le motif Nova Check, la colonne vertébrale de cette collection très couture.
Collection suivante. Automne-hiver 2019/2020. Le nouveau directeur artistique précise sa démarche. Désormais, il s’attache à esthétiser son état des lieux et dévoile davantage ses ambitions. Polos de rugby déstructurés, maillots de football moulants, doudoune Union Jack, mix and match de motifs… Par ce mélange des styles, Riccardo Tisci officialise la mise en route de son processus d’assimilation de cette marque hors du temps. La scénographie du show livre au passage les clefs du récit de la transition en cours. Divisée en deux, elle comprend une salle aux airs de salon cossu, en acajou, ainsi qu’une autre au sol bétonné, où les mannequins sont entouré·e·s de performeur·se·s accroché·e·s à des échafaudages. Ouvertement dichotomique, cette approche indique qu’en tant que megabrand, Burberry entend s’adresser à tous·tes, en s’adaptant aux intérieurs bourgeois comme au bitume. Le nouveau logo à la typo minimaliste, révélé quelques mois plus tôt, en août 2018, se retrouve au passage mis en scène à travers des vêtements streetwear logotypés et un hair styling qui reprend le monogramme « TB », formé par les initiales de Thomas Burberry (voire aussi de « Tisci-Burberry », ce qui n’est peut-être pas totalement un hasard).
Queen Toïdé photographiée par Tom Blesch. Tenue : Burberry.
Dans cette nouvelle ère annoncée de la maison anglaise, dont le designer italien décortique l’histoire et remodèle l’ADN, la collaboration avec Vivienne Westwood – pour les corsets de la collection – amorce par ailleurs la pratique collective qui sera désormais l’une de ses signatures. Parce que Riccardo Tisci est fidèle. À Westwood, d’abord, avec qui il a déjà collaboré à deux reprises (en 2018 et en 2022), afin de consolider les liens avec un patrimoine textile anglais qui doit beaucoup au grunge et au punk, deux esthétiques venues de la rue. Et à son ancienne assistante, Lea T, qu’il choisissait comme muse en 2010 (époque Givenchy), avant de collaborer avec elle en 2017 et de nouveau en 2022, faisant de la mannequin la première créatrice invitée pour les pré-collections Burberry. Un format de création en duo que Riccardo Tisci souhaite rendre coutumier.
La maison Burberry accueille ainsi une famille de plus en plus nombreuse, celle d’un créateur qui côtoie les plus grandes célébrités de notre époque tout en gardant un pied au sein des scènes émergentes, de la musique (il a fait de l’incandescente Shygirl l’égérie de la marque et l’a également invitée à ouvrir le show digital printemps-été 2021) à l’art contemporain. Le créateur n’hésite d’ailleurs pas à révéler son admiration pour certain·e·s artistes, de la Serbe Marina Abramović à l’Allemande Anne Imhof, qui a réalisé la scénographie du défilé Burberry printemps-été 2021, avant d’être soutenue par la marque dans le cadre de son exposition « Natures Mortes », au Palais de Tokyo – dont Burberry a organisé la mémorable soirée de clôture, au Yoyo, un lundi soir pas comme les autres. Sans oublier leur collaboration dans le cadre du défilé digital printemps-été 2022, axé sur une performance en pleine forêt orchestrée par Anne Imhof.
À gauche : Sophia Lang photographiée par Yann Weber. À droite : Jasmine Barbarin photographiée par Tom Blesch. Tenues : Burberry.
Au détour de ces multiples partenariats, c’est également à la maison Burberry elle-même que Riccardo Tisci témoigne son attachement. Au mois de mars 2022, le créateur fait ainsi renaître l’historique collaboration avec Supreme, marque emblématique du streetwear avec laquelle Burberry avait déjà collaboré en 1997, pour la création d’un tee-shirt « Box Logo » désormais collector. Cette fois, pour l’été 2022, la collaboration comprend un vestiaire complet, qui met à l’honneur le célèbre tartan – également décliné sur un fond rose – sur un bomber, un ensemble en jean, un bob, un skateboard ou encore une veste de camionneur revisitée.
Dévoilée en avant-première par le rappeur A$AP Nast sur Instagram, cette dernière, tout comme d’autres vêtements issus de cette collaboration, arbore fièrement le logo « chevalier équestre », qui a vu le jour peu de temps après la création de la maison, en 1856. Celle-ci souhaitait en effet valoriser son audace à travers ce cavalier en armure, lancé à toute allure et brandissant un oriflamme recouvert de la désormais célèbre injonction latine « Prorsum », qui signifie « en avant ».
JeanPaul Paula photographié par Yann Weber. Tenue : Burberry.
Quelques jours après le dévoilement de la collaboration avec Supreme, le chevalier équestre parcourt un large éventail de pièces de la collection automne-hiver 2022. Un parti pris d’autant plus visible qu’il s’agit du premier défilé physique de Burberry après deux années de présentations digitales, pour lequel 300 invité·e·s trié·e·s sur le volet se retrouvent rassemblé·e·s, parmi lesquel·le·s Kate Moss, Adam Driver ou encore Eliza Douglas.
Ce défilé masculin et féminin, mis en scène sous la forme d’un banquet au Central Hall Westminster, au cœur de Londres, revisite notamment le vestiaire anglais et bourgeois de la campagne pour l’adapter au bitume. Montant sans vergogne sur des tables dressées avec de la vaisselle siglée, les mannequins déambulent ainsi dans des vestes matelassés au col en velours côtelé ou encore dans des twin-sets unis brodés du fameux cavalier démultiplié.
Looks monochromes, silhouettes d’une seule pièce, codes bourgeois et streetwear… C’est par la répétition et les alliances au long cours que Riccardo Tisci nous fait découvrir de nouvelles possibilités stylistiques. Celles-là mêmes qui provoquent les rencontres et permettent des expressions nouvelles, à l’instar d’un beige omniprésent, qui devient sa signature en même temps que l’une des couleurs phares des podiums en 2021, selon les données récoltées par Tagwalk.
Les silhouettes de Riccardo Tisci explorent une unité graphique ou chromatique en rien passe-partout, mais résolument universelle, comme le souligne littéralement le nom de la collection printemps-été 2022, « Universal Passport ». Car le designer déconstruit, mais ne dissocie pas. Et les corps tout entiers sont au cœur de son processus créatif, unifiés par des silhouettes bien souvent mono-thématiques, de la couleur au volume en passant par la matière. Le trench (encore lui) se mue ainsi pour l’automne-hiver 2022 en une déclinaison de trois robes du soir.
Jasmine Barbarin photographiée par Tom Blesch. Tenue : Burberry
La Maison Burberry est devenue le laboratoire au sein duquel le chief creative officer poursuit son idée centrale : créer une mode inclusive qui fasse coexister des univers multiples. Très vite, on comprend que le vestiaire de la marque évolue en une expérience dont le directeur créatif prend à sa charge la rigueur empirique pour laisser à d’autres la gestion du hasard et de la libre interprétation.
Preuve, s’il en fallait une : Tisci a mis en place un mode de création expérientiel. Localisé dans un studio londonien, se référant à un univers de mode anglaise déterminé, dépeignant une réalité sociale… Autant d’étapes qu’il connecte ensuite à son instinct créatif pour accueillir de nouvelles visions. Car depuis son arrivée, en 2018, l’ambitieux designer utilise les vêtements comme vecteurs de récits multiples, infusés d’une foule d’imaginaires collectifs qui rôdent autour de cette culture britannique mondialement identifiable et incarnée, pour l’ensemble du monde de la mode, par Burberry. Collection après collection, il cherche la rencontre avec un public toujours plus large, transporté par des vibrations communes. L’architectonique Burberry est en place. Mais quelques questions demeurent.
Helio Chen photographié par Tom Blesch. Saràh Phenom photographiée par Yann Weber. Tenues : Burberry.
Quel sens la modernité de la mode peut-elle recouvrir au sein d’une marque qui, depuis bientôt deux siècles, crée inlassablement les mêmes pièces iconiques ? Que peut bien être la silhouette du moment lorsque l’on hérite de l’intemporel trench à doublure quadrillée ? À quoi bon produire des tendances, ces célèbres chimères de mode, en prenant la direction créative d’une marque qui traverse les époques et parcourt les rues ? En héritant de l’histoire vestimentaire de la marque, Riccardo Tisci nous rappelle, à la manière de nos philosophes, que la modernité est une notion trop abstraite. Le directeur artistique de Burberry n’apporte pas une dimension streetwear dans son acception premier degré ; il insère une vision collective qui, jusqu’à son arrivée, était un non-dit, un diamant brut non exploité.
Ce texte est issu du second fanzine d’Antidote, disponible au sein de l’Antidote Box printemps-été 2022. 

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