Eloquentia : Quel candidat à la présidentielle parle le mieux ?

Article publié le 21 avril 2017

Texte : Alice Pfeiffer
Photo : courtesy of Eloquentia

À l’aube du premier tour des élections présidentielles dimanche 23 avril 2017, Antidote a rencontré l’équipe d’Eloquentia, concours de rhétorique actuellement à l’affiche du film À voix haute, qui a analysé la diction de chacun des candidats, et décrypté le rôle que celle-ci a joué dans leurs campagnes.

« Quarante pour cent de la communication est non-verbale », rappelle Grégoire Gouby, lauréat 2017 du concours d’expression publique Eloquentia, faisant le sujet du film actuellement en salle, À voix haute, réalisé par Stéphane de Freitas.
À la vue de succès radicaux ou de pertes de vitesse retentissantes de certains candidats à la présidentielle – et ce en corrélation directe avec leur diction, leur tchatche (ou son absence), leur parlé – nous sommes allés à la rencontre de l’organisation spécialiste d’éloquence afin de parler affaires présidentielles. Quel poids joue le contenu face au contenant ? Quelles stratégies verbales et silencieuses sont déployées, dans quel but et pour quelle audience ? Que retiennent, consciemment ou pas, les électeurs ?

Pour Antidote, Grégoire Gouby, ainsi que Leila Alaouf, quart-finaliste 2015 du concours Eloquentia et une des protagonistes du film, Bertrand Perier, avocat au barreau de Paris et formateur Eloquentia, Loubaki Loussalat, slameur et également formateur Eloquentia, ont passé au peigne fin chaque compétiteur.

FRANÇOIS FILLON

Bertrand Perier : « Il fait preuve d’une rigueur devenue froideur, à l’image de l’austérité qu’il dit vouloir mettre en place, et une détermination un peu brutale. Ce qui avait fait son succès aux primaires, c’était son programme, avec une parole programmatique qui parlait de l’avenir. Avec les affaires judiciaires qui lui ont été imputées, il a soudain dû uniquement parler du passé. Valéry Giscard d’Estaing avait traité François Mitterrand de « l’homme du passé », et cette image revient en tête face à ce candidat qui s’est laissé enfermé par ses affaires passées pour ne plus reparler du futur. »

Loubaki Loussalat : « Il est l’héritier de la droite, avec un ton perçu comme suffisant à l’égard du peuple. Il n’arrive pas à se rallier à la base, et prend de haut des problématiques et des voix populaires. Il faut aussi partie d’une génération de candidats qui prônent l’apologie du Moi. Tout cela trahit un candidat parlant à son parti plutôt qu’aux Français. Son projet ne répond qu’aux demandes d’une certaine sphère – et dévoile une forme de déconnection. »

BENOÎT HAMON

Bertrand Perier : « Un des mots revenus en permanence dans sa campagne, et ce depuis ses débuts, est celui de « désirabilité », un mot qui touche à l’affect tout comme son slogan : « Faire battre le cœur de la France ». Toute cette rhétorique touche au sensoriel, au désir, et au fond, il ne l’incarne pas. C’est un orateur un peu maladroit, qui cite beaucoup ses sources, qui est un peu pataud, et qui a du mal à incarner de façon plus littérale ses thèmes de campagnes. »

Loubaki Loussalat : « Il est issu de la branche frondeuse du gouvernement Hollande, est vu comme indocile et n’a pas su avoir l’adhésion des proches de ce dernier et des candidats déchus. Aujourd’hui, face à des ballotages défavorables, il doit montrer qu’il n’est pas Calimero mais Black Swan, qu’il saura renaitre de ses faiblesses. Sa fébrilité est aujourd’hui sa fragilité, il est constamment dans la justification, il se défend plutôt qu’attaquer. Si je devais parler en métaphore footballistique, je dirais qu’un bon footballeur ne court pas derrière un ballon, il dirige un ballon. Hamon suit le débat mais ne le dirige pas, il manque de se donner un stature présidentielle et n’est pas assez corrosif. »

MARINE LE PEN

Grégoire Gouby : « Elle a un sourire jaune et un ricanement lors des interventions de ses adversaires pendant les débats pour décrédibiliser immédiatement les propos des autres et montrer qu’elle les prend à la légère. Elle a un ton posé, elle appuie sur les consonnes et les débuts de phrases, et elle gère très bien les silences entre les phrases. Ceci rajoute de la crédibilité à chaque phrase : chaque pause marquée suggère qu’elle vient de faire un point important. Elle s’inclue le moins possible lorsqu’elle s’adresse à son public. Elle dit « les Français » afin de marquer un certain retrait. Ainsi, elle se met en hauteur, en stature de femme présidentielle : quand son public dit « on est chez nous », elle répond « vous êtes chez vous » et non pas « nous sommes chez nous ». Ainsi, elle se dé-diabolise et permet aux sympathisants d’être plus virulents à sa place. »

Bertrand Perier : « Elle est paradoxale car son champ lexical est traditionnellement Front National, belliqueux, marqué par des termes guerriers, plaçant le peuple contre les élites, mais avec une obsession de se séparer de son père tribun qui déambulait sans notes devant une iconographie de flammes. Contrairement à Jean-Marie Le Pen, elle envisage vraiment de venir au pouvoir et veut se montrer capable de cette responsabilité. Elle joue pour la gagne alors qu’il jouait pour le jeu, et elle cherche une crédibilité par la forme. Elle a aussi simplifié son langage par rapport à celui de son père, qui était recherché, elle a abandonné l’imparfait du subjonctif dont il était friand consommateur, pour incarner une forme de modernisation et de reformation. »

EMMANUEL MACRON

Leila Alouf : « Au début de sa campagne, il peinait à placer sa voix, il finissait toujours par hurler un peu. Là, on sent combien il a appris au fil de cette élection, les progrès d’éloquence qu’il a faits, ce qui est l’image de ce candidat débutant. À ça s’ajoute aussi une démarche de modernisation – de la langue comme de l’économie — qu’il laisse entrevoir en employant des mots anglais comme « start-up » ou « crowd-funding », pour s’ancrer dans cette nouvelle génération et très littéralement parler leur langage. »

Bertrand Perier : « Il fait preuve d’une évolution frappante et d’un immense progrès entre ses premiers et derniers discours. Il semble avoir pris conscience au court de la campagne de l’importance de la rhétorique ; il a adopté une posture présidentielle, a travaillé avec un professeur de chant pour mieux mesurer sa voix. Il a réussi à faire évoluer ce qui était perçu comme une faiblesse en un parti pris : on lui a reproché ce fameux « en même temps » qu’il utilisait fréquemment et qui était pointé du doigt comme un signe d’indécision utilisé pour réconcilier des éléments contradictoires. Aujourd’hui, la foule scande ce « en même temps », et Macron en a fait un de ses slogans, devenant la promesse de réconcilier les partis, les envies, les attentes. »

JEAN-LUC MÉLENCHON

Leila Alouf : « Il est dans un too much, une forme d’excès maîtrisé. Comme tout candidat dans les extrêmes, ses prises de paroles orales sont fortes, car elles ont pour but de s’adresser directement au peuple, de tout miser sur leur posture, leur proximité à leur public. Il est vif, virulent, n’hésite pas à couper la parole, et est presque dans une forme de mégalomanie. Du moins, c’est ce que traduisent ses prises de paroles – une confiance et un contrôle absolus. »

Bertrand Perier : « Il s’est révélé par la parole, et par ses mises en scène étonnantes : l’hologramme bien sûr, mais aussi son discours sur le vieux port de Marseille à ciel ouvert, avec une table de bistro en guise de pupitre. Il est dans une sorte d’improvisation permanente, il harangue la foule, et s’inscrit dans une tradition de tribun à l’ancienne. Il est moins dans un élément de langage préparé, et préfère réagir à ce que la foule lui renvoie, à l’instant présent. Avec sa volonté de ne jamais lire de notes, d’intervenir à tout bout de champ, avec ses tournures de phrases et son humour, il s’est imposé comme l’homme de la formule. Les mots semblent lui venir tout naturellement, ce qui traduit une conviction et une confiance absolue en lui même, qui n’a jamais besoin d’être appuyée ou rassurée par un texte. »

PHILIPPE POUTOU

Leila Alouf : « Il ne tourne pas autour du pot, ne fait de chichis, il n’a pas fait de concours d’éloquence et arrive à captiver le public par cette franchise. Il est en posture de dissidence et en joue clairement, conscient combien tous les éléments externes au propos – la posture, la gestuelle, la façon d’interagir — jouent sur sa réception. En rejetant les règles de l’éloquence classique, et refusant de porter les vêtements « de ceux qui nous volent a longueur d’année », il prouve qu’il n’est pas dans le semblant, ni dans ce qu’il dit, ni dans ce qu’il est. »

Loukabi Loussalat : « Lorsqu’on est candidat, on doit pouvoir avoir un ton posé, calme, mesuré, s’insurger à juste titre. Parfois, on sent qu’il essaye d’en dire au maximum, qu’il maîtrise mal son débit très rapide, comme s’il essayait de rattraper symboliquement l’ancienneté et l’expérience des autres candidats. Il manque de moments d’accalmies pour faire passer des idées fortes et glisser des punchlines en douceur – et c’est là qu’il trahit son but de ne pas réellement chercher à se faire élire. Pourtant, il a excellé lorsqu’il a confronté Marine Le Pen et Fillon, prouvant une forme de raison et de maîtrise dans l’urgence. »

NATHALIE ARTHAUD

Grégoire Gouby : « Son éloquence n’est pas mauvaise, sa voix pas assez bien posée, et elle semble convaincue de ce qu’elle dit. Pourtant, ses propos partent dans tous les sens et on ne comprend souvent plus où elle veut aller. Elle passe soudainement de moments graves, sombres à des moments virulents. Tout cela donne l’impression qu’elle n’arrive pas à trouver son ton, ni sa place dans la gauche. »

Loukabi Loussalat : « Comme Poutou, elle ne veut pas être présidente, et utilise cette campagne comme une vitrine. Pourtant, contrairement à Poutou, son éloquence travaillée, maîtrisée est très appliquée et révèle un manque de naturel, quelque chose d’un peu artificiel peut-être. Elle a compris les bases d’une bonne élocution : elle est pédagogue sans endormir, comme un bon professeur, mais ne prend pas de risques, reste dans ce qu’elle connaît et gagnerait à se laisser aller à un style plus libre – comme une conversation, un échange, qui lui apporterait du relief. »

FRANÇOIS ASSELINEAU

Grégoire Gouby : « Ce qui est surprenant avec lui est qu’il y a un décalage entre le ton et l’apparence, entre sa voix et son physique. Il a l’éloquence d’un quarantenaire aux silences bien maniés et aux mots posés, et une expérience bien plus longue, ce qui provoque un contraste inattendu. »

Bertrand Perier : « Il semble trop attaché à une analyse rationnelle et appuyée lourdement par des textes et des articles de la Constitution, et en ça, peine à se faire remarquer. »

JACQUES CHEMINADE

Grégoire Gouby : « Il est trop explicatif et évasif, et manque de gestes forts dans son programme ; il fait des commentaires mais il est en dehors du débat, comme un observateur extérieur. »

Loubaki Loussalat : « Il est le candidat de l’éloquence désuète qui tient du professeur émérite ne sachant pas prendre sa retraite. Son style est poussiéreux et pédagogique. Il contrebalance avec des idées novatrices, mais pas assez pour rassurer les Français. Il passe pour une sorte de savant fou de la politique. »

NICOLAS DUPONT-AIGNAN

Grégoire Gouby : « Il répond bien aux questions, il ose couper la parole, il place bien sa voix, il choisit de rester un peu basique, et pourtant n’est pas plus fédérateur que ça. Ses changements de tons et de registres sont trop radicaux : il est très énervé un moment puis plus, très content pour l’avenir de la France puis plus, on a du mal à suivre ses humeurs, il semble un peu bipolaire et indécis. »

Loubaki Loussalat : « Il demeure assez illisible, et ne met pas en avant assez d’idées fortes : il devrait rabâcher des phrasés et des concepts plus puissants, articuler et faire exister des punchlines. En poésie, on doit faire correspondre le sens et le son. Lui n’a pas su mettre le contenant au service du contenu. »

JEAN LASSALLE

Bertrand Perier : « Il est le seul à avoir un accent, on remarque le souci que cela peut être dans une campagne électorale. Eva Joly a payé cher son accent, on s’est moqué d’elle en continu. Lassalle semble décidé à ne pas abandonner son accent et donc ne pas oublier d’où il vient. Il se veut le président des terroirs contre l’oligarchie parisienne. »

Loubaki Loussalat : « Il y a eu de nombreuses railleries à son encontre. Il a pour lui ce qui est apparu comme un défaut parce que les gens l’ont moqué. Pourquoi moqué ? Ces réactions expriment une dialectique entre le pouvoir central et la structure régionale. Une élite parisienne rit d’un accent différent du sien – ce qui ne fait par ailleurs pas de Lassalle un mauvais orateur – mais montre un manque d’humilité face aux régions, et trahit une normalisation parisianiste imposée par le pouvoir centralisé. Pourtant il a de nombreuses qualités, il a beaucoup de lyrisme, et un des rares candidats, pour ne pas dire le seul, qui arrivent à mettre de la joie dans ses discours, comme si c’était interdit d’être un tant soit peu heureux. »

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