Le Qatar vient de s’offrir la maison Balmain pour 500 millions, Dolce & Gabbana lançait cette année sa propre ligne d’abayas et les maisons de mode européennes accélèrent leurs ouvertures de boutiques au Moyen-Orient. Au royaume de l’ostentation et du dollar liquide, la ville de Dubaï se profile peu à peu comme un nouveau pôle de la mode internationale.
Ses atouts ? Un aéroport qui dessert plus de 70 millions de passagers à l’année, des plages de sable blanc, pas de taxes et une position géographique et politique confortablement nichée entre l’Orient et l’Occident. Alors que les marchés de la mode en Europe et aux États Unis s’essoufflent, le Moyen Orient, et plus précisément Dubaï forte de ses malls qui, à eux seuls, font marcher une grande partie du revenu des enseignes du luxe mondial, cherche à se tailler une place aux côtés de Paris et de New York. Son challenge ? Soutenir la Now Generation créative afin de faire la différence sur la scène internationale. « Le marché de la mode dans le monde arabe a été estimé à 75 milliards de dollars en 2014, en particulier pour les Émirats Arabes Unis qui contrôlent 28.3 % de ce marché suivi par l’Arabie Saoudite avec 16.8 % », déclare Nez Gebreel, PDG du Dubai Design and Fashion Council, une autorité mise en place par le gouvernement de Dubaï en 2014, avec pour mission de structurer ce marché importateur de luxe en pôle de création mondiale.
Après tout, l’émirat a été un acteur silencieux du luxe depuis sa sortie de crise en 2010 et, alors que les marques ont investi massivement sur les événements en Chine, au Brésil, ou en Corée, Dubaï n’a pas bénéficié du même traitement. « En parlant avec les marques internationales et leurs distributeurs, je vois un changement en cours. Les préférences des clients sont en mutation et en particulier dans le secteur du luxe. Ils se font plus exigeants et demandent à être traités de manière exclusive, veulent une expérience de shopping différente et personnalisée et les marques sont de plus en plus investies dans ce changement », continue Nez Gebreel.
C’est Karl Lagerfeld qui a ouvert la danse avec sa collection croisière Paris-Dubaï en mai 2014 pour laquelle il a invité des centaines de journalistes à venir découvrir la ville futuriste, vision de son dirigeant, le Cheikh Mohammed ben Rachid Al Maktoum.
Depuis, Alber Elbaz, Stella McCartney, Stefano Gabbana et Domenico Dolce, Christian Louboutin et Olivier Rousteing entre autres sont passés par les frontières de l’émirat. Dolce & Gabbana viennent d’ailleurs de sortir leur première collection d’abayas qui promet d’être un hit auprès des femmes voilées de la région. Le duo urbain et super cool Public School, composé de Maxwell Osborne et Dao Yi Chow, a aussi choisi Dubaï pour présenter sa collection pre-fall 2016 en novembre 2015 dans le nouveau Dubai Design District, une zone franche gérée par le gouvernement et destinée à accueillir les médias, sièges sociaux et créatifs du monde de la mode et du design.
Ce quartier, comprenant neuf bâtiments aux courbes modernes qu’on peut distinguer derrière l’aiguille de la tour Burj Khalifa, fait partie des quelques projets immobiliers que Dubaï destine aux tribus créatives (qui pourront se permettre le loyer). Les bureaux de Dior et de Bulgari y ont déjà ouvert et d’autres marques internationales envisagent de s’y implanter.
« Pour que la ville devienne une capitale internationale de la mode, il est nécessaire que ce paradis mercantile devienne un paradis de création. »
Les choses bougent à Dubaï. Franca Sozzani, rédactrice en chef du Vogue Italie, l’a bien compris. En 2013, elle s’allie avec le Dubai Mall pour le Vogue Fashion Dubai Experience, une sorte de Fashion Night Out doublée d’un gala de charité et plus récemment d’un concours de talent.
« Why Dubai ? », lui ai-je demandé. « Je sens que le Moyen-Orient est dans une bonne situation aujourd’ hui. Dubaï garantit déjà d’avoir les meilleurs clients au monde. Mais quand il y a tellement de demande, il faut faire en sorte d’avoir quelque chose à vendre. Les meilleurs produits peuvent et doivent être innovés. Qui mieux que la nouvelle génération pour le faire ? », m’a-t-elle répondu.
En effet, ce microcosme condense 200 nationalités différentes au détour de tel ou tel mall, et par son système de visa, refoule à l’entrée tout chercheur d’emploi. Il est sans doute l’un des plus beaux paradis capitalistes en 2016, un atout affriolant pour les marques de luxe. Mais au-delà des imports de LVMH ou Kering, qu’est-ce que Dubaï doit vendre ? Une idée du luxe ostentatoire et baroque à l’image de l’intérieur du Burj Al Arab ou des designers stars comme Elie Saab et Zuhair Murad ? Ou, comme l’imaginent Bong Guerrero et Ramzi Nakad, fondateurs de Fashion Forward, la fashion week de Dubaï, une nouvelle plateforme pour la mode internationale et diversifiée ? La ville avait l’argent, et maintenant également une infrastructure et le soutien de l’Etat.
Mais c’est par Fashion Forward et le Dubai Design and Fashion Council que ses ambitions deviennent réalité. « Pour que la ville devienne une capitale internationale de la mode, il est nécessaire que ce paradis mercantile devienne un paradis de création », ajoute Firras Alwahabi qui représente Mochi et Madiyah Al Sharqi, deux des marques nées à Dubaï qui vendent le plus à l’heure actuelle et ont été vues sur Kim Kardashian et Cara Delevigne. Dans l’un des marchés les plus férus de « grandes marques », la clientèle arabe est-elle prête à investir dans ses nouveaux talents ? D’après les études de marché du DDFC, « les clients veulent soutenir les marques indigènes et demandent que les multimarques investissent plus dans ces designers régionaux », affirme Nez Gebreel.
Le créateur Hussein Bazaza a remporté le Style.com/Arabia-DDFC Fashion Prize.
Pour amorcer cette émergence de nouveaux talents, le Style.com/Arabia-DDFC Fashion Prize a été lancé en novembre 2015 et vise la mise en place d’un vivier créatif. Ce concours, remporté par le créateur d’origine libanaise Hussein Bazaza dont les créations dont disponibles via la plateforme Farfetch.com depuis février 2016, a rassemblé les plus grands noms de la mode arabe dont notamment l’homme d’affaires Patrick Chalhoub (qui représente Chanel, Dior, Sephora, et une pléthore de marques aux Émirats Arabes Unis), les couturiers Zuhair Murad et Reem Acra, marque le début de cette nouvelle ambition dubaïote, celle de se coudre une identité faite maison. En effet, que serait Paris sans Paul Poiret ou Gabrielle Chanel, que serait Londres sans Burberry ou Vivienne Westwood ? Ici, des noms comme Faiza Bouguessa ou Faisal Al Malak se démarquent et sont les porte-flambeaux du Dubaï 2.0, un Dubaï qui ne veut plus être une capitale de superlatifs mais bel et bien un pôle culturel.
Le challenge est de taille, surtout sachant que Dubaï n’a qu’une école de mode, ESMOD, et aucune industrie du textile. « Nous sommes en train de travailler sur l’ouverture de la première école de design dans le pays. Ce sera une université à part entière et nous sommes également en train de démarcher des écoles internationales », répond Nez Gebreel. Alors que, en Égypte ou au Liban, l’artisanat est présent, à Dubaï, côté petites mains, le bât blesse. Les deux pays ont, de surcroît, une réelle scène artistique et underground mais manquent de moyens. Nourrir l’artisanat et encourager les jeunes à la création semble un pari incontournable pour Dubaï. Il est rare d’être le témoin de l’émergence d’une vraie scène culturelle et c’est ici à Dubaï que la Now Generation fera la différence.
Cet article est extrait du dernier numéro du Magazine Antidote : Now Generation, disponible sur notre eshop.