Texte : Violaine Schütz
La mythique directrice artistique du Vogue US, dont on vient d’apprendre le départ aujourd’hui, avait en 2012 publié ses mémoires. Un livre à se procurer d’urgence.
Déjà il y a cette couverture qui fascine. Une jeune femme gracile en paréo, une fleur dans les cheveux, sur un fond orange criard. Orange comme sa chevelure de feu, presque afro. Cette image de l’élégance, c’est Grace Coddington, ex mannequin devenue un temps directrice artistique du Vogue américain.
Ses mémoires possèdent la même grâce et le même pouvoir d’attraction que cette image. Née de parents hôteliers sur l’île d’Anglesey, et élevée dans un couvent catholique, elle passait ses week-ends, à aider ses parents à l’hôtel familial. À onze ans, son père décède et sa passion pour la mode de l’adolescente la sauve d’une vie monotone. Elle lit assidûment le Vogue britannique et raconte que sa première histoire d’amour était les pyjamas en coton rayé. Passionnée par le monde du chiffon, Miss Coddington quitte son île pour une école de mannequinat à Londres. Elle travaille dans un café comme serveuse, et sur les conseils d’un client qui remarque sa beauté étrange et peu commune, débute comme modèle en Angleterre, notamment pour le coiffeur Vidal Sassoon et Mary Quant, deux grandes figures du « swinging London ». Son agent la juge trop grosse pour réussir, mais elle le fait mentir en remportant un concours de mannequins pour British Vogue, dont elle fera bientôt la couverture. Agée de 26 ans, un grave accident de voiture l’oblige à subir cinq opérations et à remettre sa vie en question. Ses paupières en gardent des séquelles terribles, ce qui lui vaudra de se maquiller très lourdement les yeux, artifice lui donnant un air d’icône anachronique issue de la Renaissance.
Grace décide alors d’abandonner le mannequinat pour épouser le fondateur des restaurants chinois Mr. Chow (dont elle divorcera avant de se remarier, puis de vivre aujourd’hui avec un coiffeur). Elle commence sa carrière comme éditrice junior pour le Vogue britannique et apprend le métier avec le photographe Norman Parkinson. Très vite, elle impose son style, notamment lors de célèbres séries mode auxquelles elle apporte une dimension artistique, de riches références visuelles et culturelles (notamment pour une série inspirée de Lewis Carroll) ainsi que dans sa manière de choisir les photographe et de se mettre en scène à l’intérieur. Après avoir accepté un poste chez Calvin Klein à New York, elle rejoint en juillet 1988 Anna Wintour (qui l’a repérée) à l’édition américaine de Vogue, dont elle devient le bras droit. Toutes deux sont alors surnommées dans le milieu «le cerveau et le coeur » du magazine. Grace entre comme styliste avant de devenir dès 1995 directrice de la création, grâce à sa vision et son énergie. Fougueuse et perfectionniste, elle assiste jusqu’à 500 défilés par an et certains créateurs fabriquent des vêtements spécifiquement pour ses séries de photos réalisées avec des photographes de renom comme Helmut Newton, Mario Testino, ou Annie Leibovitz (dont elle critique dans le livre le comportement de « diva »). A travers des caricatures, des illustrations, des anecdotes croustillantes (dont une racontant le narcissisme de Puff Daddy voulant apparaître au centre du magazine) et de nombreuses pointes d’humour, Grace apparaît à travers ses mémoires comme un personnage riche en couleur, corrosif et passionné, de ceux dont la mode raffole.
Révélée par le documentaire The September Issue en 2009 où elle apparaissait comme la seule à oser répondre à l’inquiétante Anna Wintour, son personnage fera bientôt l’objet d’un biopic, inspiré de ses mémoires. Sera-il mieux taillé et encore plus incisif que Le Diable s’habille en Prada ? On l’espère.
Grace: A Memoir
416 pages
32,99 euros
Random House