La marque américaine Supreme inaugurait le 9 mars en plein cœur du Marais à Paris sa seconde boutique européenne. Une énième étape dans l’incoercible conquête du monde menée par son empereur visionnaire James Jebbia. Retour sur la success-story planétaire d’un label streetwear devenu culte.
Vous vous dirigez naïvement vers le eshop de la marque pour commander l’iconique sweatshirt à logo rouge et blanc. Votre taille ne semble pas disponible. Vous faites un bon L mais tentez le M. En blanc, en noir, en gris. Rien. L’ultime recours au vert pomme, lui aussi signalé « sold out », vous confirme qu’il serait vain de persévérer. Inutile d’attendre un prochain réassort, il n’y en aura pas.
En 1994, James Jebbia investit quelque 12 000 dollars dans l’ouverture d’une petite boutique à downtown Manhattan. Estampillé du logo Supreme, le shop se destine à un public de skateurs venus sur roulettes chercher la quintessence du streetwear. Ce que l’on appellerait aujourd’hui de façon galvaudée concept-store expose non seulement sa propre ligne de vêtements mais aussi des sélections de marques telles que Vans ou Thrasher. Rapidement, Supreme devient le temple du cool new-yorkais et la file d’attente devant la boutique s’étire à vue d’oeil. On patiente parfois des heures pour y pénétrer comme dans le club le plus select de la ville.
L’exclusivité est sans conteste l’un des principes fondateurs du label. Dès l’ouverture du premier point de vente, « uniquement les vrais cool kids pouvaient demander certains articles encore précieusement conservés dans l’arrière-boutique », raconte le journaliste Alex Hawgood dans un article pour 032c. Aujourd’hui, les quantités très limitées de vêtements et accessoires rendues disponibles ne semblent pas augmenter au même titre que la demande toujours plus hystérique. La décision semble sage, ne veut-on pas toujours ce que l’on ne peut pas avoir ? La stratégie s’est avérée payante pour d’autres marques de streetwear à l’instar de Bape mais également dans le domaine du luxe avec Mansur Gavriel dont la waiting list pour son sac sceau ne cesse de s’allonger.
« Rapidement, Supreme devient le temple du cool new-yorkais et la file d’attente devant la boutique s’étire à vue d’oeil »
Si l’irréductible attente attise le désir, la lente et restreinte distribution développe chez le fier possesseur d’une pièce un sentiment de privilège valorisant. Et les chances de rencontrer quelqu’un vêtu du même sweatshirt sont quasi-nulles.
Cette stratégie se manifeste aussi dans le choix du retail. James Jebbia adopte, comme pour certaines grandes griffes de luxe, la vente exclusive dans les points de vente en propre de la marque, à l’exception de Dover Street Market à New York et Tokyo.
Ces points de vente, loin de fleurir comme le muguet au printemps, se comptent exactement sur les doigts de deux mains. Depuis début mars, Paris peut se targuer de disposer en son sein d’une boutique Supreme. Inaugurée en grande pompe au 20 rue Barbette dans le Marais, ce nouvel espace signe l’expansion internationale de la marque, initiée en 1999 avec l’implantation à Tokyo. Dix huit ans plus tard, Google Maps répertorie deux boutiques aux Etats-Unis (New York et Los Angeles), six au Japon (Tokyo, Osaka, Nagoya et Fukuoka) et deux en Europe (Londres et Paris).
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New York conserve son statut originel de capitale mais l’empire Supreme s’étend au-delà des frontières qu’auraient aimé délimiter les puristes les plus conservateurs. Et force est de constater que la conversion des masses à sa religion se fait sans recours à la violence.
Parmi ses nombreux fidèles, des célébrités devenues ambassadrices de la marque, parfois malgré elle mais jamais à ses dépens. Bien sûr il y a les stars du RnB de Drake à Rihanna, mais aussi des figures plus confidentielles et indispensables comme Léa Seydoux et Chloë Sevigny. Sans compter sur la scène artistique avec qui Supreme a toujours conservé d’excellents rapports et ainsi entrenu une légitimité supplémentaire. Outre le logo de la marque inspiré de l’œuvre de l’artiste américaine Barbara Kruger, Jeff Koons, Damian Hirst, Takashi Murakami et Kaws ont participé à plusieurs reprises à la création de planches de skateboard.
De l’art du co-branding
S’il est un art que Supreme maîtrise à la perfection, c’est d’ailleurs celui de la collaboration. Pionnière dans ce domaine, la marque a compris assez tôt que se rapprocher d’autres noms à l’univers complémentaire ne pouvait que lui être bénéfique. En roi du co-branding, on ne compte plus les partenariats signés par James Jebbia : Nike, Vans, Comme des Garçons, Undercover, Adam Kimmel, The North Face, Timberland et dernièrement Stone Island. Sans se fourvoyer dans des associations trop commerciales, Supreme profite de l’aura de ses nombreuses marques pour accroitre encore un peu plus sa notoriété et sa zone d’influence.
« Je ne supporte pas l’idée que les gens se ruinent pour un t-shirt. »
Ces collections capsule garantissent une couverture exhaustive de la presse spécialisée, sans débourser un single penny. Et l’entreprise – indépendante – prospère. Très discret sur ses résultats, James Jebbia assure toutefois que les finances vont bon train. La nouvelle boutique de Paris ne désemplit pas et aucun des potentiels clients n’en sort sans gâter la caisse enregistreuse.
Certains d’entre eux ne découperont même pas l’étiquette de leur acquisition. Le marché de la revente en ligne est le revers de la médaille d’une politique de production limitée. Malgré les prix souvent triplés, les articles trouvent rapidement preneur. Déjà en 2002, Jebbia voyait cette industrie parallèle d’un mauvais œil : « Je n’aime pas ça parce que nous faisons de notre mieux pour rendre nos vêtements abordables aux jeunes. […] Je ne supporte pas l’idée que les gens se ruinent pour un t-shirt. Je préfère que quelqu’un nous achète quelque chose dans l’optique de le porter et non de le revendre ».
Le phénomène s’est tellement intensifié que le magazine Complex lui a dédié un documentaire d’une quarantaine de minutes intitulé « Sold Out ». A chaque mise en ligne de nouveautés, des internautes se ruent par dizaines voire centaines de milliers sur le site de la marque dans l’espoir d’obtenir la pièce déjà repérée. Seule une poignée de minutes suffisent pour provoquer l’inévitable et contrariante rupture de stock des articles, qu’il s’agisse d’un sweat à capuche… ou d’une boîte de dominos. « Les gens pensent que quoi que l’on fasse, il y a rupture de stock », déclarait James Jebbia dans une interview accordée au Business of Fashion, « On ne l’explique pas, sinon par le fait qu’on a vraiment des putains de produits. »