Comment Renzo Rosso a fondé un empire mode prospère

Article publié le 21 novembre 2016

Renzo Rosso, le fondateur italien de Diesel, est depuis 2002 à la tête du groupe OTB, maison mère des griffes Marni, Maison Margiela ou encore Viktor&Rolf. L’homme d’affaires s’exprime ici sur ce qu’il considère être la prochaine limite du luxe, la plus-value de la jeunesse et la raison pour laquelle commettre des erreurs est essentiel.

Au sein de l’industrie de la mode, nombreux sont les créateurs, artistes et artisans qui s’accrochent à leur liberté créative comme si leur vie en dépendait. Mais en coulisses, parmi tous ceux chargés de l’aspect commercial de la croissance d’une entreprise et parmi les esprits aussi inventifs qu’inspirés dans leur façon de gérer leurs marques, un seul demeure irréductiblement légitime – Renzo Rosso.

À 60 ans, ce père de sept ans a fondé un foyer pour certaines des maisons les plus créatives et audacieuses de toute l’industrie. Son holding OTB – l’acronyme d’ « Only The Brave », ce qui vous donne une idée plutôt claire de la vision du monde de Rosso – abrite Maison Margiela, Viktor & Rolf, Marni, et son premier amour – Diesel, qu’il a fondé en 1978.

« Mon succès s’explique par le fait que je dis toujours ce que je pense, lance Renzo Rosso, en visite à Paris pour un contrôle de routine chez Maison Margiela, autour d’une tasse de café. Parce que si vous avez l’opportunité de dire aux gens ce que vous pensez réellement, c’est comme ça que vous allez apprendre ».

Et Rosso est célèbre pour ne jamais garder bien longtemps sa langue dans sa poche. Il est aussi bien connu pour son extrême générosité, son approche non conventionnelle de la stratégie commerciale et sa capacité à soutenir et protéger les artistes. Sa notoriété, il la doit également aux visites improvisées qu’il rend aux boutiques de son groupe pour se faire une idée propre de l’état de santé de son entreprise, au regard des retours faits directement par ses équipes de vente. « J’entre et me dirige directement vers la caisse pour demander à la personne qui s’y trouve ce qui fonctionne, ne fonctionne pas et ce que les clients demandent et dont nous de disposons pas. Trois questions simples qui vous permettent de comprendre la vraie réalité du marché », explique Rosso, persuadé que les réponses qu’il récolte sont tout aussi pertinentes que n’importe quel rapport d’analyse statistique déposé sur son bureau.

Le magnat est aussi convaincu que laisser les personnes présentes au premier rang être à l’initiative de nouvelles stratégies profite à son entreprise. Il encourage sans relâche ses équipes à tester et envisager les choses non pas comme elles le sont actuellement mais plutôt comme elles pourraient l’être. « Je tiens à ce que les gens qui travaillent avec moi se sentent complètement libres. J’essaie de faire que les gens avec qui je collabore se sentent proches de moi et suffisamment en sécurité pour dire ce qu’ils pensent en toute honnêteté. Ce sont eux qui sont sur le terrain au jour le jour. Qui mieux qu’eux pourrait envisager de nouvelles alternatives ? », clarifie-t-il.

« Mon succès s’explique par le fait que je dis toujours ce que je pense. »

Et en bon père qui se respecte, Rosso est conscient que le fait d’accorder des responsabilités à son équipe pour qu’ils puissent prendre des décisions de leur propre chef convient aussi de leur permettre de commettre des erreurs afin qu’ils puissent ensuite mieux en tirer les enseignements.

« Si vous faites toujours tout bien, vous n’allez jamais développer les anticorps que les erreurs produisent. Quand vous faites une erreur, vous prenez du temps pour comprendre ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est passé. Et cela développe en vous ces anticorps qui vous font grandir et vous endurcissent pour ce qui vient ensuite », déclare-t-il. N’oublions pas que la devise du milliardaire est « Sois stupide ». Autrement dit, seuls ceux qui prennent des risques finiront un jour par réussir.

L’inébranlable confiance qu’accorde Rosso à son staff a fait naître au sein de la société non seulement une culture corporate de diversité et d’audace mais aussi un dévouement profondément ancré pour son fondateur. Antonella Viero, main droite de Renzo et directrice de la communication institutionnelle du groupe OTB explique pourquoi son nouveau livre « Radical Renaissance 55 + 5 » ne s’est pas appelé « Sixty », alors que ses deux précédents ouvrages voués à commémorer chaque décennie du règne de Rosso ont été baptisés respectivement « Fifty » et « Forty ».

“Quand Renzo a fêté ses soixante ans le 15 septembre, l’équipe internationale de Diesel au complet lui avait réservé une surprise : d’innombrables posts Instagram d’employés qui imitaient la pose de sa célèbre photo prise par Rankin avec le hashtag #happy55plus5, raconte Antonella Viero. Cinq est son chiffre favori et il a toujours dit en rigolant, qu’après avoir fêté son 55e anniversaire, il arrêterait de les fêter, ils ont donc pensé que 55+5 serait plus drôle que 60 ! Quand nous avons vu cela, il a adoré l’idée et a choisi de l’intégrer au titre du livre”.

Le livre Radical Renaissance 55+5 de Renzo Rosso est disponible aux éditions Assouline.

Ce que le coffee table book assène à coups d’images évocatrices et de citations de créateurs, du staff ou de Renzo Rosso lui-même, c’est la caractère radical de cet homme de la Renaissance. S’il est occupé à superviser ses prestigieuses maisons de mode, il développe aussi une activité de décoration d’intérieur, est l’heureux propriétaire d’un vignoble fructueux, mène les actions de sa fondation Only The Brave à but non lucratif qui milite pour un mode de vie durable, chapeaute H-Farm, son incubateur de start-ups digitales et trouve le temps d’investir dans EcorNaturaSí, une entreprise d’agriculture biologique.

S’il y a bien une chose que toutes les marques regroupées sous le toit d’OTB ont en commun, c’est un esprit rebelle et une détermination à maintenir un point de vue à la fois unique et très personnel. Viktor Horsting et Rolf Snoeren de Viktor & Rolf ont abandonné les défilés de prêt-à-porter pour se consacrer exclusivement à l’arène de la haute couture, une démarche encouragée par Rosso. « Notre nature est fondamentalement rebelle, le fait de repousser les limites stimule notre créativité », explique le duo dans le livre. Et le choix d’inscrire John Galliano dans le sillage de la Maison Margiela en tant que directeur artistique a montré une nouvelle facette de Rosso. Celle d’un homme prêt à prendre des risques dès lors qu’il discerne un potentiel créatif qui en vaudrait le coup.

En janvier, Diesel présentait sa nouvelle ligne de meubles au Salone del Mobile de Milan.

Maintenant que l’entrepreneur peut se targuer de sa capacité à habiller le monde, il cherche de nouveaux moyens pour l’héberger et la nourrir. Il a imaginé un grand nombre de pièces de design récompensées au Salon du Meuble de Milan. Là-bas, Diesel a allié ses compétences créatives au savoir-faire d’entreprises capables de construire des intérieurs de pointe afin d’en extraire des créations collaboratives qui ont propulsé l’activité vers de nouveaux sommets inattendus. « Je trouve que ce segment est particulièrement intéressant parce que les gens restent de plus en plus à la maison, explique Rosso. Aujourd’hui, vous pouvez travailler depuis chez vous, et tout peut vous y être directement livré. Les opportunités de rester à la maison se font donc de plus en plus nombreuses, et en conséquence cette activité devient de plus en plus importante. »

« J’aime la mode, je viens de la mode mais parfois, je trouve les gens de la mode un peu too much. »

Leur allure extérieure, c’est chose faite. Rosso veut maintenant dédier son énergie à rendre les intérieurs de ses clients tout aussi remarquables. Pour ce faire, il est revenu à ses racines. Né et élevé dans une ferme à Brugine, un petit village situé à la sortie de la ville de Padoue en Italie, l’entrepreneur investit à présent et de façon significative dans l’industrie de la nourriture biologique. C’est un domaine dans lequel il souhaite s’immiscer depuis plus de vingt ans. Il est aujourd’hui intimement convaincu que le monde est désormais prêt à manger sainement. « Je crois beaucoup en la pérennité de cette industrie et je souhaite voir mon entreprise se diriger de plus en plus dans cette direction », confirme Rosso.

Néanmoins, la nourriture saine n’est pas le seul attrait de Renzo pour l’entreprise d’agriculture écologique EcorNaturaSì. Ce sont les fermiers eux-mêmes qu’il estime. “J’aime vraiment discuter avec ces cultivateurs. J’aime la mode, je viens de la mode mais parfois, je trouve les gens de la mode un peu too much. C’est peut-être parce que j’ai 60 ans, je n’en sais rien, sept enfants, c’est beaucoup de responsabilités et j’ai envie de m’entourer de vrais gens”, explique Rosso.

En réalité, il existe deux types de personnes dont Rosso veut s’entourer ; les authentiques, et les jeunes. Il croit profondément en le pouvoir de la jeunesse et en son esprit indépendant. Un esprit qui n’a pas pâti du fardeau de l’expérience ou du temps qui passe, parfois à l’origine d’une diminution du champ de vision. C’est pour cela qu’il soutient des récompenses de mode à l’instar du prix de l’ANDAM et c’est aussi la raison pour laquelle il a fondé en Italie le think tank H-Farm. 

H-Farm, entré en bourse l’an passé, est le deuxième plus grand incubateur au monde. Rosso et son équipe reçoivent plus d’un millier de propositions chaque année de la part d’investisseurs désireux de rejoindre H-Farm. D’ordinaire, il finance sept ou huit start-ups chaque année et s’engage à les sponsoriser pour trois ans. Le dessein étant de trouver des entreprises qui pourront bénéficier de nouveaux concepts issus d’H-Farm et être capable de les allier entre eux afin que ce soit profitable aux deux entités.

« J’y vais et j’y passe la journée entière. Ça m’inspire tellement. Être autour d’eux est très stimulant. J’ai toujours aimé être entouré jeunes », raconte Renzo Rosso. Il admet aussi en riant que son équipe n’aime pas le savoir à H-Farm car à chaque fois qu’il en revient, il est pris de l’envie soudaine de changer l’intégralité du fonctionnement de sa société.

Aujourd’hui, Rosso relève en famille le défi de la gestion d’une multinationale. Ses deux fils aînés, Stefano Rosso, PDG du groupe OTB et Andrea Rosso, directeur de la création des licences Diesel, épaulent leur père dans ses audacieuses prises de décisions commerciales. Le secret du succès de Rosso père réside dans sa capacité à aussi bien écouter que diriger. “Si je crois en quelque chose, 90% du temps, je peux convaincre les gens de le faire”, déclare-t-il de fait.

Quant au futur d’OTB, les rumeurs qui courent autour de l’entrée en bourse prochaine de son business ne sont pas infondées. “Plus je vieillis et plus je pense qu’il va bientôt être temps pour l’entreprise d’entrer en bourse et d’en diviser les parts avec les enfants et les managers afin de concevoir le fonctionnement telle une communauté impliquée dans le groupe. L’entreprise pourrait entrer en bourse demain, les bonnes personnes sont là où il faut, mais ce sera peut-être plutôt dans cinq ans”, ajoute-t-il. En complément d’un sourire avant de filer à son prochain rendez vous. “J’ai encore beaucoup de progrès à faire”.

Cet article est extrait du dernier numéro du Magazine Antidote : The Freedom Issue, disponible sur notre eshop.

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