Comment la délinquance est-elle devenue tendance ?

Article publié le 8 février 2017

Texte : Alice Pfeiffer
Photo : campagne Alexander Wang automne-hiver 2014 par Steven Klein

Thug, caillera et pimp : si ces figures animent l’imaginaire de la mode, c’est pour leurs propositions d’une société parallèle et contestataire.

« Salu sava? Voilà mon num. New cam top. Dispo rapide everyday ». Ce texto ne provient pas du monsieur louche qui rôde près du métro, mais d’un créateur américain, Stefan’s Head, qui envoie des faux SMS de dealer pour annoncer l’arrivée de nouvelles pièces à ses clients.  « Je suis un dealer de fringues » explique-t-il sur son site.

Si la mode se passionne pour nombre d’identités alternatives, les délinquants en tout genre ne cessent de l’émouvoir. Bad boys et thugs habitent un imaginaire fantasmé sans cesse remis à jour par les actualités. Dans un contexte politique et social houleux et une force de l’ordre abusive, la sublimation de ces voix contestataires serait-elle une façon de donner son approbation silencieuse?

C’est certainement ce que semble penser Fausto Puglisi, qui invite des prisonniers à défiler lors de son show en juin 2016 au Pitti Uomo. Dans un décor inspiré par le milieu carcéral (remixé avec un backroom), il dit voir « une force masculine essentielle, sans détour, le remède à cette affreuse culture hipster qui tue la société.»

Campagne Moschino automne-hiver 2016

Quant à Moschino, deux mannequins apparaissent dans sa campagne en train de jeter des grenades contre une force invisible – un rappel, sans doute, aux émeutes et manifestations récentes, le reflet d’une société en colère. Et Moncler, peu de temps après l’attaque de Charlie Hebdo, présentait des doudounes aux ornements inspirés de balles.

@maxfieldla

Une photo publiée par VETEMENTS (@vetements_official) le

Ce lien entre refus des règles et mode est aussi présente dans l’accessoire : après l’explosion des coups de poings américains et des Grillz dans les marques de luxe, Vetements introduit un collier-grinder de weed dans sa collection actuelle, en or ou argent orné d’un diamant – rappelant sa volonté de demeurer aux marges de l’industrie.

La tendance ne se limite pas qu’à l’imitation de codes provocateurs : le rappeur Gucci Mane est interviewé par le Vogue US après trois ans de prison, lorsqu’il est encore détenu chez lui. Le magazine le félicite pour son style, sa perte de poids et lui propose même de couvrir des défilés. Et Jeremy Meeks, criminel arrêté pour port d’arme et agressions à main armée, se voit recruté par une agence de mannequins après que son mugshot ne fuite sur internet. Ses agents saluent « ses tatouages de gang qui lui donnent un côté sexy et audacieux.»

MAUVAIS GARÇON, PETIT VOYOU, GRAND TRUANT : FIGURES EROTIQUES HISTORIQUES

Dans Notre Dame des Fleurs, Jean Genet, qui rédige ce premier roman depuis la prison de Fresnes, décrit le monde carcéral comme un microcosme indépendant et stratifié. Celui-ci est peuplé de figures minorées, houleuses, et profondément homo-érotiques. « Je voulais donner un chant à tout ce qui est muet », écrit-il au sujet de cet ouvrage – liant ainsi figure du délinquant à une forme d’héroïsme, comme une vie alternative qui aurait refusé prisme normatif.

Marlon Brando dans L’Equipée Sauvage

C’est donc dans un entre-deux-mondes que réside la figure du malfrat, sans cesse explorée par le cinéma pour sa force à révéler les failles de la société. Marlon Brando, biker rebelle dans L’Equipée Sauvage (László Benedek, 1953), révèle les anxiétés d’une société en plein Baby Boom – et dévoile en parallèle sa bisexualité, ce qui ne fait que grandir son mythe.

Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard (1965), fuit sa vie de petit bourgeois et tombe dans le petit banditisme – présentant une sorte d’ode au désir de liberté des années 60. Puis, dans les années 70, Le Parrain de Francis Ford Coppola présente un contrepied provocateur à ces années hippy, sorte de gouvernement parallèle, clanique, antique. Selon Dominique Kalifa, auteur de l’essai Virilités Criminelles, ces figures sont émoustillantes car elles sont la preuve d’une virilité et d’une force si grandes qu’elle ont su imposer leur domination sur un groupe ; qu’elles réinventent un monde régi par des valeurs opposées et des pratiques interdites.

LA RÉBELLION COMME FORME D’ENGAGEMENT EN 2017 ?

Cette figure de bad boy est remise à jour par le rappeur – qui revendique souvent un imaginaire ou la délinquance devient une forme d’émancipation — et fait tout particulièrement rêver le milieu de la mode. Tous deux ont en commun de dénoncer en passant par la voix créative.

Aujourd’hui plus que jamais. « Dans l’ère Trump, nous sommes tous contre le gouvernement. Son élection a fabriqué un ennemi commun qui a poussé tout le monde à contester », analyse Maroussia Rebecq, fondatrice et directrice artistique du label Andrea Crews, rappelant que la Women’s March, la plus large manifestation de l’histoire américaine, unissait des millions, y compris des milliers de créateurs, mannequins, musiciens, à travers le refus du système gouvernant. À l’heure où un homme d’affaires gouverne les Etats-Unis, la figure du rebelle serait-elle la promesse d’une nouvelle résistance future ?
« Je ne m’attends pas à ce que ma société me protège, je n’accorderai pas ma confiance à des politiciens dont le seul don est d’avoir su tromper les gens en les faisant voter pour eux », dit Le Parrain – un mafioso dont la pensée n’a jamais autant reflété la pensée actuelle, en quête de solutions nouvelles.

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