La prochaine exposition du Metropolitan Museum est dédiée à l’esthétique de la religion chrétienne, et notamment à son opulente iconographie.
Un visage ruisselant de larmes couronné d’un halo, le corps vêtu d’une longue robe blanche : ceci n’est pas une peinture baroque, mais le défilé 2007 de Jean-Paul Gaultier inspiré par les vierges de l’iconographie catholique mexicaine.
Il n’est pas le seul à puiser son inspiration dans cette religion : en 2018, le Metropolitan Museum de la ville de New York lui dédiera son exposition majeure du printemps, intitulée Heavenly Bodies : Fashion and the Catholic Imagination. Y seront explorés l’impact qu’a eu la foi sur les créateurs de mode contemporains, mais aussi l’esthétique fastueuse de l’Eglise et son lien profond au sacré.
Photos de gauche à droite : Saint Laurent automne-hiver 2010, Alexander McQueen automne-hiver 2013, Valentino automne-hiver 2017, Christian Dior automne-hiver 2000.
Des robes de la maison Chanel inspirées par celles des communiantes, des références papales signés John Galliano, des couronnes religieuses et des crucifix Dolce & Gabanna, des pièces de Valentino citant les uniformes de moines : voici quelques unes des tenues qui seront rassemblées, toutes dessinées par des créateurs élevés dans cette croyance. Ce thème majeur apparaît régulièrement dans l’Histoire de la mode : on peut également penser aux nonnes et cardinaux punk d’Alexander McQueen, aux motifs inspirés par le visage du Christ de Givenchy, et bien avant, aux symboles du Vatican recyclés par Elsa Schiaparelli. Un détournement de ses symboles qui ne manque jamais, année après année, d’offusquer l’église catholique. L’art religieux est originellement destiné à promouvoir l’opposé parfait de l’achat de mode : atteindre une humilité ultime, et non accumuler des signifiants luxueux, individualistes.
Foi et opulence, un paradoxe ?
Comme de nombreuses religions monothéistes, le catholicisme interdit l’adoration d’idoles et tout animisme – ou l’idée qu’un objet puisse être magique—, dans le but de se détacher des cultes païens qu’il vient remplacer. Il condamne les plaisirs comme des péchés capitaux et les voit comme un détournement de la dévotion de l’individu à la croyance.
Paradoxalement, son art sacré est d’une extrême richesse. Dès l’époque Byzantine et ses mosaïques grandioses, sont développés des savoir-faire des plus éclatants : de l’orfèvrerie, de l’enluminure, le tout avec une utilisation de la feuille d’or quasi-omniprésente dans les églises. C’est d’ailleurs ces métiers d’arts et le corpus d’œuvres qui en découlent qui inspirent l’exposition du Met.
Photos de gauche à droite : détail du tableau L’adoration des Rois mages de Hugo van der Goes, Wiz Khalifa.
Pourquoi ces fastes pour promouvoir le dépouillement ? Jusqu’à la séparation de l’Etat et de l’Eglise en 1905, et la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican en 1904, cette foi dominante en France joue un rôle fondamental sur la population, à la fois politique, économique et culturel. Ce bling avant l’heure vient alors souligner la puissance dogmatique de l’Eglise. Il donne également aux rites une dimension enivrante de par son contraste radical avec les vies des populations locales. Les messes, accompagnées de chants religieux, emportent les foules dans une expérience quasi-magique, grandiose et intime.
Le capitalisme, religion contemporaine ?
Cette relation décomplexée aux dorures et plus largement à l’argent dans l’Eglise explose lors de la Renaissance, où le Pape Sixte IV développe le « commerce des indulgences », ou la possibilité d’acheter sa propre rémission devant Dieu. Naît alors le slogan : « Aussitôt que l’argent tinte dans la caisse, l’âme s’envole du Purgatoire ». Ce tintement est précisément l’origine du mot « bling », onomatopée pour le son de pièces de monnaie, ou de bijoux s’entrechoquant.
Aujourd’hui, de nombreux sociologues comparent le capitalisme à une religion – comme l’écrit Roland Barthes dans Mythologies, la perte du culte comme ordre national a été remplacé par l’acte d’achat, ainsi que la vénération d’acteurs, de chanteurs et de politiciens.
Depuis les débuts du hip-hop, les rappeurs mêlent quant à eux bling et références divines en guise de marqueurs de réussite ; cette année, Kendrick Lamar et Stormzy choisissent tous deux de poser à la manière du Christ de La Cène de Léonard de Vinci pour leur portrait officiel, et Lamar porte également une robe papale dans son clip Humble. Freddie Gibbs apparaît sur la pochette de son dernier album You Only Live 2wice en Jésus montant au ciel et Life of Pablo de Kanye West fait référence à l’apôtre Paul.
Catholique ou post-moderne, le bling est à la fois transcendantal, exaltant et décadent ; il permet d’échapper à son statut humain tout en le ramenant paradoxalement à son besoin de validation externe. Et surtout, souligne encore et encore, un profond besoin de magie dans notre quotidien.