Sonia Rykiel est décédée à l’âge de 86 ans. L’héritage qu’elle laisse à la mode et la bonne humeur qu’elle a su lui insuffler tout au long de sa carrière sont sans précédent. Antidote lui rend hommage.
Tout au long de ma carrière, j’ai eu la chance et le plaisir d’interviewer Sonia Rykiel une poignée de fois. Ce qui m’a toujours frappé chez la créatrice, c’est sa façon de parler franche et on ne peut plus directe. Elle avait cette intrépidité qu’ont toujours les gens conscients d’avoir laissé leur empreinte sur le monde. Elle se moquait de savoir si vous aimiez ce qu’elle avait à dire ou si vous étiez d’accord avec elle, elle était la femme qu’elle avait choisi d’être et entendait bien être acceptée ainsi – ou pas du tout.
Cette sorte d’auto-prise de pouvoir n’était pas étrangère à son succès en tant que femme d’affaires. Après tout, elle a d’abord fondé son entreprise car elle ne trouvait pas de vêtements de maternité à son goût lorsqu’elle était enceinte de sa fille Nathalie. Prendre les choses en main et devenir maître de son propre destin est ce que Rykiel voulait encourager à faire les femmes qui endossaient ses vêtements. C’est sans aucun doute ce qu’elle fit avec avec son iconique « Poor Boy » sweat près du corps en maille rayée. Audrey Hepburn s’en est offert pas moins de 14, de chaque couleur, lors d’une unique virée shopping. Tandis que François Hardy incarnait à la perfection la femme Rykiel quand elle posait pour la couverture de Elle en 1963 vêtue de l’un de ses célèbres tricots.
Françoise Hardy en couverture d’Elle France en 1963
Rykiel est une histoire de féminité et de féminisme. Elle voulait imaginer des vêtements pour des femmes qui travailleraient aussi dur qu’elles. Des pièces crées pour flatter, libérer le mouvement d’une femme mobile et toujours insufflées de cette touche à la fois sexy et enjouée. Sans cesse en train de tenter de domestiquer sa crinière rousse afin qu’elle demeure derrière son épaule, Rykiel esquissait, page après page, des croquis fantaisistes de filles à la chevelure bouclée, pourvue de bérets, de fleurs intriquées dans leurs tresses, vêtues de pantalons larges, de combinaisons volumineuses, de mailles chamarrées et de robes à pois. Charmantes et séductrices, ses créations célébraient le chic quotidien et le fait qu’être à l’aise dans ses vêtements concourait à bien les porter.
Sonia Rykiel printemps-été 1990 et printemps-été 1995
Pendant son règne au sein de sa maison signature, les podiums des défilés Rykiel étaient toujours un moment de gaieté et de légèreté dans le calendrier de la mode. Voir les mannequins rire, sourire et danser le long du catwalk occultait toujours la fatigue d’un mois de présentations de collections de prêt-à-porter.
Saison après saison, je surprenais toute une audience d’irréductibles rédacteurs de mode le sourire aux lèvres et les pieds en train de cogner le sol au rythme des bandes-son joyeuses tandis que défilaient devant leurs yeux des mannequins insouciantes. Et l’exploit est tel qu’il témoignait du pouvoir de la créatrice à faire du discours de la mode, ne serait-ce que l’espace d’une quinzaine de minutes, un message de motivation et de positivité.
Autant qu’elle aimait passer de bons moments, Sonia Rykiel attachait un intérêt particulier à l’innovation et pouvait se targuer d’être en avance sur son temps sur de nombreux plans sartoriaux. En mêlant à ses mailles des lignes de poésie et des dictons, elle instiguait vraisemblablement le phénomène des t-shirts à message qui jouit toujours d’une place de choix dans la mode aujourd’hui. Elle s’est aussi affranchie des ourlets visibles, et bien avant le mouvement déconstrutionniste, elle créait délibérément des pièces dont les coutures s’affichaient à l’extérieur du vêtement. Et même les survêtements peau de pêche qu’elle décorait de strass et lançait sur ses podiums avaient prédit depuis longtemps la tendance d’un sportswear luxueux qui balaie actuellement la mode.
Sonia Rykiel printemps-été 2005
Lors de la célébration du 40e anniversaire de sa marque au travers d’une grande rétrospective organisée au Musée des Arts Décoratifs, l’aspect le plus fascinant de l’exposition était l’allure résolument moderne qu’avaient toujours ses créations des années 1960, 1970 et 1980 en 2010. Il était évident que Sonia Rykiel n’était pas une marque de mode. Mais plutôt le meilleur allié pour se construire un style durable. À cette époque, la créatrice elle-même m’assurait que : « la femme Rykiel est la même femme que celle pour qui je dessinais il y a 40 ans, elle est juste 40 ans plus âge, et maintenant je crée aussi pour la fille de cette femme, et sa petite-fille aussi ».
Qui est alors la femme Sonia Rykiel que la fondactrice a passé sa vie à incarner à travers ses créations ? Elle est intelligente, chic, sexy et drôle. Et en y pensant bien, quelle femme ne voudrait pas en être autant ?