Andreas Kronthaler, digne héritier de Vivienne Westwood ?

Article publié le 8 janvier 2017

Texte : Dean Mayo Davies pour Magazine Antidote : The Freedom Issue
Photo : Andreas Kronthaler et Vivienne Westwood par Meinke Klein

Andreas Kronthaler se tient au côté de la créatrice Vivienne Westwood depuis près de 30 ans. Cette collaboration se manifeste de façon publique depuis que la maison a récemment pris la décision de changer le nom de son label signature pour “Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood”. Il s’ouvre ici sur leur vie de couple et le futur qu’il envisage pour la marque la plus rebelle du monde de la mode.

Andreas Kronthaler est la moitié de Vivienne Westwood, à la fois dans la mode et dans la vie. Ils se rencontrent en 1988 dans une université de Vienne où Westwood donne une conférence ; elle est tellement impressionnée par la série de robes Renaissance convertibles réalisées par un étudiant nommé Kronthaler qu’elle l’invite à Londres en 1989 pour développer ces créations. Elles intégreront finalement la collection de Westwood, il restera à ses côtés et ils se marieront en 1993. Tout ce que vous associez depuis à Westwood, doit également lui être associé. Ils stimulent respectivement leurs forces et forment ainsi une équipe des plus symbiotiques.
Andreas Kronthaler m’a donné rendez-vous au studio de Westwood, voisin du Royal College of Art et situé à Battersea, un quartier du sud-ouest de la capitale britannique. De l’autre côté du fleuve, nous sommes à dix minutes du Saint Graal : la boutique World’s End, là où, avec Malcom McLaren, Westwood défiait autrefois le statu quo de la société à coups de créations scandaleuses, vendues par des filles extravagantes à un nouveau monde plein d’audace. C’était avant qu’elle ne s’installe à son compte et qu’elle ne devienne l’une des esthètes les plus iconoclastes du XXe siècle.
La pluie s’abat sur le toit du laboratoire de création de Kronthaler et Westwood, où tissus et livres s’empilent sur une gigantesque table centrale. Des images d’inspiration découpées aux ciseaux occultent les fenêtres. Andreas porte un sweat gris imprimé d’un slogan de cowboy. Il revient d’un shooting où il s’est déshabillé, le sourire aux lèvres (ce n’est pas une première, souvenez-vous de la campagne de Juergen Teller avec Kronthaler, Westwood et Pamela Anderson). Il engage la discussion ; dans votre tête, surgit une explosion de feux d’artifice aux couleurs fantastiques.
Ses collections, empreintes de joie, proposent des robes sexy pour hommes et femmes, de belles capes et le style toujours chiffonné emblématique de Westwood. Leur première boutique parisienne est ouverte à l’heure où vous lisez ces lignes, et New York suit sur la liste. Ce que l’on connaissait jusqu’ici comme « Gold Label » s’appelle à présent « Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood ». Et Vivienne n’est pas étrangère au changement de nom des lignes de prêt-à-porter masculin et féminin, désormais tout simplement baptisées « Vivienne Westwood ». Parce que le nom et les idées se suffisent à eux-mêmes.

« Vivienne est une femme très politique et veut toujours exprimer ses pensées et opinions »

 


Campagne Vivienne Westwood Gold Label automne-hiver 2009-2010
Antidote : À l’adolescence, vous gagniez votre argent en réalisant et en vendant des vêtements. Ces créations étaient-elles semblables à ce que vous proposez aujourd’hui ?
Andreas Kronthaler :  Elles ont probablement quelque chose de similaire [Rires]. J’étais autodidacte, j’avais 18 ou 20 ans. Je connaissais quelques femmes pour qui je pouvais créer ce qui me chantait et qui m’achetaient inlassablement les pièces. Elles portaient ces fringues. Parfois, elles me donnaient leurs propres habits pour que j’en face quelque chose de nouveau. Je faisais pas mal de désordre, je coupais tout, notamment des manteaux en fourrure à l’époque. C’était dans les années quatre-vingt et j’y suis plutôt opposé aujourd’hui.
Il faut beaucoup de confiance en soi pour découper un manteau en fourrure.
Oui, mais je m’en fichais [Rires]. J’ai vraiment commencé à coudre quand je me suis installé à Vienne. Je vivais en colocation avec Alex [Kreen], qui travaille avec moi depuis très, très longtemps et encore aujourd’hui. On partageait un appartement, enfin, plutôt une chambre dont les toilettes se trouvaient sur le palier. Nous avions une microscopique table sur laquelle nous avions juste la place de poser nos deux machines à coudre. On cousait toute la nuit pour se confectionner des trucs que l’on portait ensuite pour sortir.
La collection de cette saison, « Sexercice », que vous avez présentée à Paris fait aussi appel à plusieurs de vos souvenirs.
C’était assez personnel et autobiographique dans la mesure où je me suis remémoré cette amie de Vivienne, une nonne bouddhiste. Elle nous rend toujours visite aux alentours de Noël, et passe avec nous une semaine ou deux. Vivienne est une femme très politique et veut toujours exprimer ses pensées et opinions, la situation dans laquelle se trouve le monde. Je me suis donc posé la question suivante : « qu’est-ce que, moi, j’ai vraiment envie de dire ? ». J’avais envie de montrer mon côté spirituel. Et c’est toujours un bon look. Je pense que tout le monde a envie de ressembler à un yogi ou à un gourou.

Collection Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood automne 2016
Tout le monde veut trouver la lumière, n’est-ce pas ?
Mais ce n’est pas chose facile, vous devez travailler pour cela ! Si déjà vous portez les bons vêtements, vous avez fait la moitié du chemin [Rires].
On peut voir à travers vos défilés que vous êtes vraiment épanoui en ce moment – le dialogue entre les hommes et les femmes est tellement énergique. Les pièces sont mélangées, lancées avec bravoure et arborées avec nonchalance.
J’ai toujours aimé ce « jeu ». Il y a vingt ans de cela, c’était déjà la même chose. J’ai toujours adoré joué avec les clichés. Il m’est aussi arrivé d’être attiré par l’humour car je le pense vraiment essentiel. Et je crois qu’il est important d’avoir une apparence qui vous rend à la fois heureux et léger. Le sexe était majeur aussi, les choses sexy. Vous passez par de nombreuses phases, n’est-ce pas ? Vous changez et votre travail évolue avec vous, c’est normal. Vous ne voulez pas nécessairement à 40 ans être celui que vous étiez à 25.

« Je veux juste du changement et je veux changer moi aussi »

D’autres designers se posent aussi la question des frontières entre masculin et féminin, mais jamais de façon aussi optimiste que vous.
Je veux le faire de façon enjouée. Si quelqu’un me demande ce que je préfère faire dans un défilé, c’est le casting, rencontrer les gens, leur parler. Nous y avons porté une attention très particulière cette fois-ci [pour le défilé printemps-été 2017, présenté à Milan en juin, ndlr], avec des types de garçons et de filles différents. Je pense qu’ils étaient tous en phase avec ce qu’ils portaient.
Aimez-vous constater la réaction d’un mannequin au regard des vêtements qu’on lui demande de porter ?  
Oui. Et vous les choisissez selon leur attitude. Il y a des mannequins totalement indifférents, qui peuvent porter une robe sans problème, avoir l’air complètement naturel sans même y penser. Et ça n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle du mec. Je trouve que plus ils sont jeunes, plus ils sont à l’aise avec cette idée : les garçons de 17/18/19 ans sont tellement cool. Leurs idoles ont peut-être un peu changé, de la même façon que le monde qui nous entoure. Ils se sentent vraiment en phase avec eux-mêmes. Le lieu du défilé était si grand que vous auriez pu y faire entrer un avion. Et pourtant, ils n’étaient pas effrayés. Vous savez, en 1991, au Royal Albert Hall, Vivienne a reçu le prix du créateur de mode de l’année et je jouais le mannequin pour son défilé. Je marchais derrière Linda Evangelista, j’avais si peur [Rires].
La collection parisienne, « Gold Label » s’appelle désormais « Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood » – et c’est écrit ainsi sur l’étiquette. Que s’est-il passé ?  
C’est le fruit d’un processus. C’était l’idée de Vivienne, comme toujours ! Mon nom recouvre la moitié du sien sur l’étiquette actuelle. C’est beau et j’en suis ravi. Nous avons toutes ces lignes et nous avons discuté de notre futur et de sa simplification. Ça m’arrange et ça arrange l’entreprise. Je veux juste du changement et je veux changer moi aussi. Tout ça vous aide à voir les choses différemment.

Collection Vivienne Westwood printemps-été 2012
Les tissus sont si riches et ravissants. Mais les bottes à plateforme n’ont rien à voir.  
Je suis convaincu d’avoir un certain style. Ce que j’ai appris de Vivienne assez tôt, c’est que ce que fais, je le fais pour moi – je me demande d’abord : « est-ce que j’aurais envie de le porter ? ». Si la réponse est oui, alors je suis content. Si non, je n’ai pas envie de le faire. J’aime les tissus riches comme la soie, et j’ai toujours adoré ça.
Et le taffetas !
Ah, le taffetas ! Des mètres et des mètres de taffetas. Je l’ai travaillé pour toutes ces robes de bal, des robes dont absolument personne n’a besoin et ça m’a beaucoup amusé. Au début des années quatre vingt-dix, elles étaient parfois énormes ; une femme qui réalisait toutes nos jupes est allée une fois jusqu’à utiliser 600 mètres de tulle. C’était juste hallucinant [Rires]. La robe prenait l’intégralité du van quand on l’a livrée. Vous deviez littéralement grimper à l’intérieur pour parvenir à l’enfiler et tout le studio était hilare. La collection s’appelait « Grand Hotel » et au final, nous en avons fait trois : des robes Winterhalter inspirées de l’artiste du même nom qui peignait l’aristocratie européenne dans ses robes signées Charles Frederick Worth. Elles étaient portées par Naomi, Christy et Tatjana Patitz. Et il fallait avoir de la force car elles ne pesaient pas loin de vingt-cinq kilos. Certaines filles ne pouvaient même pas marcher. Je ne ferai plus ce genre de vêtements aujourd’hui, à moins que ce ne soit pour des costumes de théâtre. À l’époque, ça faisait sens et j’adorais le faire. Les gens étaient impressionnés.

« Vivienne est mon meilleur juge et mon premier soutien. Je fais ce qu’elle me dit. »

Après tant d’années passées à travailler ensemble, votre discours et celui de Vivienne se sont entremêlés. C’est très beau.  
Vivienne est mon meilleur juge et mon premier soutien. Je fais ce qu’elle me dit. Elle aime la mode, c’est sa deuxième nature. Elle est extrêmement douée avec le corps, qu’il soit masculin ou féminin, elle est très respectueuse et veut toujours le montrer sous son meilleur jour. Si vous avez de petits seins, elle les rend plus gros. Si à l’inverse, ils sont trop gros, elle leur donne l’air plus petit. Elle est très précise. Vivienne peut prendre une simple chute de tissu et en faire quelque chose de fantastique ; quand j’ai besoin d’un million de choses autour de moi. Ensuite, je dissèque ce que j’ai fait, et il devient parfois très fatigant de devoir envisager toutes les possibilités. C’est si exaltant quand on y arrive. Elle me connaît. Quand je suis content, je le suis vraiment.
Assistez-vous à autant de manifestations qu’elle ?
Quand il y en a une importante, bien sûr, j’y vais. Mais la plupart du temps, je reste ici à travailler. On se dispute parfois parce qu’elle emmène avec elle les étudiants et tous les gens qui travaillent sur la collection. Une semaine avant le défilé parisien de la saison dernière, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Elle leur a dit qu’ils devaient tous l’accompagner à une manifestation. J’étais furieux, en ébullition [Rires]. Au final, ils sont rentrés trois heures plus tard. Mais c’est très important de le faire, vous devez vous soulever et même vous battre pour ce en quoi vous croyez.

Andreas Kronthaler et Vivienne Westwood par Nick Knight
Lors de votre rencontre en 1998, la connexion s’est-elle faite instantanément ?  
Oui. Ça m’a frappé sur le champ. Au début, elle m’impressionnait, de par son allure d’abord. Je n’avais jamais vu personne qui lui ressemblait. À cette époque, je ne savais pas bien qui était Vivienne ni ce qui l’avait rendue célèbre. J’aimais juste son apparence, la façon qu’elle avait de s’adresser aux autres, de raconter les choses, et les sujets qui l’intéressaient. J’avais l’impression qu’elle s’exprimait depuis mon cœur, depuis mon âme. Soudainement, quelqu’un en face de vous formule tout ce que vous avez toujours pensé et tout ce en quoi vous avez toujours cru. Je sentais qu’elle mettait des mots sur mes ressentis, et soudainement tout s’éclaire. Elle aimait l’art classique et les objets anciens, j’allais dans des galeries et je passais des heures à observer les tableaux de maîtres. Les vêtements parlent de la condition humaine. Parfois, quand vous regardez des habits, baroque ou élisabéthains par exemple, vous pouvez vous mettre dans leur peau l’espace d’un instant. C’est fascinant.
Quelles qualités sont requises pour avoir de l’allure dans vos créations ?
Vous devez vous sentir bien dans votre peau. Je pense que c’est très important de ne pas donner dans la surenchère, il faut que l’on remarque le visage avant de pouvoir remarquer les vêtements. La personnalité, quoi que cela veuille dire. J’aime aussi le corps nu… peut-être avec une paire de chaussures [Rires].
Et quelle est, d’après vous, votre plus grande force ?
Je ne renonce jamais.

 

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