Elle comprend mieux que vous le monde qui l’entoure. À 32 ans, Alexandra Jubé est responsable insight chez Nelly Rodi, l’une des agences majeures de prospective parisiennes. Son job? Étudier les nouvelles attitudes, les futurs profils et comportements de consommateurs et leurs manières de se répercuter dans les industries créatives de la mode, de la beauté, de l’art de vivre, de la gastronomie ou des médias…. Pourquoi ? Car une fois digérées, ces informations sont précieuses pour des marques qui courent sans cesse après le ton d’une époque. Du festival annuel South by Southwest au Texas à une ouverture de restaurant à Paris, Alexandra Jubé est partout, les yeux grands ouverts et les oreilles bien tendues. Son objectif : toujours avoir un coup d’avance. D’habitude, ses prévisions s’arrachent à prix d’or. Antidote l’a rencontrée, alors sortez vos carnets et prenez des notes.
Déterminer les tendances à venir, sentir l’époque… C’est avant tout de l’instinct non ?
Il en faut, mais c’est loin d’être suffisant. Tu as effectivement besoin d’une partie d’instinct mais qui est basé sur l’observation. La base, c’est de savoir comment les comportements de consommateurs existent. Tu complètes avec ce que tu vois. Comment évoluent les générations, comment les gens vivent, comment ils sortent… C’est de l’observation, c’est de la lecture, des voyages, c’est de l’étude des comportements.
La force de ce métier c’est de savoir croiser les domaines et faire des ponts. Quand tu commences tout paraît nouveau, et tu as besoin d’apprendre beaucoup de choses. Ensuite, tu sais repérer les changements. Il faut aussi savoir éviter les tendances anecdotiques.
Mais concrètement ?
Concrètement, c’est lire au moins deux magazines par jour, visiter des dizaines de sites internet, sortir dans des endroits précis, observer en permanence les gens qui sont connectés. C’est un job qui ne s’arrête pas une fois que tu as quitté le bureau, tu observes, tu recoupes en permanence.
Question Madame Irma…. Comment vois-tu 2020 ?
Nous sommes à l’aube d’un système qui est en train de changer, notamment avec la crise et l’überisation. On va tendre de plus en plus vers une société de services : tu commanderas ta manucure et une fille arrivera 30 minutes après, tu pourras déménager hyper facilement. Le traitement de données va bouleverser le marketing. L’autre exemple d’évolution c’est la personnalisation. Demain ton frigo te dira si tu as grossi et fera des courses en conséquence.
Comment sera la génération à venir, la fameuse génération Z ?
Les jeunes d’aujourd’hui ont des valeurs différentes. Ils n’ont pas connu les années 80, sans crise. Ils sont naturellement engagés, mais quand ils ont des choses à dire, ils ont tendance à le faire via des médias alternatifs. Maintenant, avoir un ordinateur suffit pour apprendre des milliers de choses. Auparavant les gens étaient obligés de faire des études, d’avoir un diplôme pour s’accomplir, avoir un statut et parler au monde. Aujourd’hui, cela n’a plus d’importance. Et demain, tu auras des génies de 12 ans, qui dans leurs domaines de compétence seront plus capables que les anciennes générations. Les élites intellectuelles telles que nous les connaissons vont disparaître.
Le fossé entre les générations des baby-boomers nés dans les années 50 et la génération Z n’est-il pas énorme ?
Il y a beaucoup d’incompréhension de cette nouvelle génération par celles à venir, qui n’intègrent toujours pas comment on peut gagner de l’argent en postant des vidéos sur YouTube. Ils vont considérer que ce n’est pas un travail. Sauf que la personne qui passe douze heures par jour à faire ça, il ne faut pas lui dire que ce n’est pas un travail.
Internet a tout changé : les anciennes méthodes de travail, d’apprentissage, n’ont plus de sens. Aujourd’hui par exemple, les étudiants préfèrent arrondir leurs fins de mois en ayant leur propre business qu’en travaillant dans un resto.
Qu’est-ce-qui va changer dans les années à venir, au niveau des valeurs, de la société ?
Déjà, ce qu’on appelle transhumanisme, et qui consiste utiliser la technologie pour améliorer les conditions de vie humaine n’a jamais été aussi d’actualité. Nos façons de communiquer ont changé. Par exemple, on ne s’appelle plus, on s’envoie des messages. Il y a un truc que je trouve génial c’est que quand je discute avec une copine sur Facebook par exemple, le fil ne s’arrête jamais. Tu ne dis plus jamais « bonjour », tu termines sur une phrase et le lendemain ça repart la dessus. On considère qu’on est tout le temps connectées.
Les valeurs digitales vont-elles changer les valeurs sociétales ?
Elles ne sont plus séparées. Regarde par exemple, dans les années 90, un écolier un peu marginal pouvait se sentir isolé à l’école. Aujourd’hui il peut se trouver un pote à l’autre bout du monde qui est exactement comme lui, il ne le verra jamais mais leur relation sera bien plus intime qu’avec n’importe qui d’autre de sa classe. Pourquoi cette relation aurait-elle moins de valeur ?
Pour continuer sur l’exemple de l’école, nous sommes à un virage où puisque toute l’information est disponible sur internet, terminé d’apprendre par cœur, comme à notre époque! Il va falloir se concentrer sur « comprendre » au lieu d’« apprendre ».
Lessive The Laundress
“Auparavant on se définissait avec ses vêtements, sa coiffure, sa déco d’interieur… . Demain tes produits ménagers aussi devront raconter qui tu es. Il n’y a plus un domaine qui ne sera pas soumis à la dictature du cool ; tu peux même aller dans des drogueries qui ressemblent à des concept-stores pour t’acheter tes torchons et balais comme chez Labour & Wait à Londres. Et avec des méthodes comme celles de Marie Kondo (et son livre La magie du rangement), l’entretien de sa maison est presque devenu une démarche spirituelle. “
Bouquet de l’Atelier Saison et pot pourri de l’officine Buly
“Les prochaines années continueront de sacrer l’avènement du végétal dans la maison : plantes ou fleurs. Ce bouquet par exemple n’a pas de fleurs, tout est autour de la plante, qui est denue également un objet de mode soumis à des règles strictes.”
Sac Amey Martin
“Le sac, qui était sous le monopole statutaire et historique des marques de luxe a été bousculé par l’arrivée de nouvelles marques d’accessoire, moins chères et plus cools.”
Vêtements et livre de photos de Gosha Rubchinskiy
« Il est un des créateurs phares en ce moment : tout ce qu’il sort est sold out. Il propose un truc plus brut, plus street, avec de nouvelles références notamment de Russie. La mode s’était endormie pendant un moment, et là on se rend compte que quelque chose est en train de se passer. Il y a un nouveau style, de nouveaux designers qui montent, de nouveaux codes. Burberry va changer les rythmes de ses collections, Gucci a mélangé les hommes et les femmes sur les défilés. La mode s’était endormie… en ce moment, elle se réveille”.
Les légumes
“Considéré pendant des années comme chiant et ascétique, le vegan est devenu sexy, et les légumes tout court aussi. Les restos à la pointe (le Noma par exemple) composent des menus totalement veggies. Et se posent la question de la récupération des déchets et épluchures alimentaires”.
Minéraux et produits de beauté de la marque Herbivore
“Maintenant la beauté est holistique et méditative. On te propose des produits qui n’ont pas forcément d’effets tangibles sur toi, mais t’aident à te sentir mieux, et par extension, te rendent plus belle. Tout celà agit sur un deuxième niveau avec un message mystique”.
Photos d’Afrique (Sénégal) par le photographe Romain Bernardie James
“Le Botswana sera la destination numéro 1 selon le Lonely Planet en 2016. La mondialisation a fait que l’on ne peut plus voyager sans se retrouver face à un Starbucks même dans les coins les plus reculés du monde. L’Afrique reste un des derniers endroits où l’on trouve des territoires un peu sauvages, authentiques et méconnus des voyageurs ».
Carnets de papier
“Alors qu’on pensait que tout était dématérialisé, le papier continue a avoir de beaux jours devant lui . On observe le retour de l’écriture pour une jeune génération qui se remet à écrire. Ca a commencé y’a quelques années avec la Fan fiction, la littérature de fans et maintenant ils écrivent aussi leurs propres histoires. Contre toute attente, il se passe aussi quelque chose autour du papier, comme on le voit avec le succès de la marque Papier Tigre, ou du calligraphe Nicolas Ouchenir. Et à Los Angeles on voit naitre de nouveau de petits journaux, notamment édités par des marques ou des restos ».